Le visage dévoilé de Téhéran : Quand Irane ôte sa burqa

Le visage dévoilé de Téhéran : Quand Irane ôte sa burqa

L’Iran, pour tous ceux qui n’ont visité ce pays qu’à travers les médias, renvoie à des images stéréotypées : femmes voilées en noir, drogue en grandes quantités et une bombe atomique en confection, bien enfouie sous les toits des maisons en tourbe.

Quelques jours à Téhéran suffisent pour effacer ces clichés. L’Iran n’est pas la burqa, les ayatollahs et l’intégrisme.

C’est tout le contraire. Certes, en Iran, une bombe est en préparation. Mais c’est celle d’une jeunesse en ébullition qui, doucement mais sûrement, réussit progressivement à desserrer l’étau de l’ordre religieux installé depuis la révolution islamique. Dans un pays où un habitant sur deux a moins de 25 ans, les évolutions sont inévitables, surtout à Téhéran, la capitale.

Même si, aujourd’hui encore, les jeunes n’ont d’autres choix que de braver en cachette les interdits, leur révolte, lente mais persistante, a poussé les autorités à ignorer certains écarts.

Dans les rues de Téhéran, spacieuses et propres, l’énergie juvénile ne peut être occultée. Encore moins le vestimentaire féminin : jeans, talons, vestes cintrées, ongles de pieds et de mains vernis…

Même si tout le corps est habillé, la tenue suggestive qui le moule est très loin du tchador imposé à l’époque de la révolution Khomeiny. Sur la tête, un petit foulard tombant qui laisse apparaître les mèches rebelles des belles Iraniennes.

Il s’agit là, d’une lutte quotidienne de ces femmes qui gagnent du terrain face aux gardiens de la révolution.

Ces derniers, appelés pasdaran, forment une organisation paramilitaire, dépendante directement du Guide Suprême.

Les Pasdarans, très motivés sur le plan idéologique, et véritables gardes de la République islamique, sont, entre autres, en charge du bon respect du code vestimentaire et moral en vigueur depuis la Révolution.

Mais à Téhéran, il semble que la rigueur imposée il y a une trentaine d’années n’arrive plus à contenir le flot de la vie qui rejaillit dans la ville des mollahs.

Une ville où, côte à côte, les jeunes Iraniens et Iraniennes se divertissent dans les jardins publics et les grands boulevards de la ville. Vitres relevées, mains sur le volant, voile sur les épaules et cigarette aux lèvres, c’est là aussi une autre image de la réalité de la femme iranienne.

On peut aussi apercevoir les couples sur des motocyclettes, où la jeune fille enlace l’homme sans aucune inquiétude.

Même de nuit, les femmes se baladent tranquillement sans crainte d’une quelconque agression. Dans les jardins publics, des dizaines de familles dînent paisiblement. En fait, à Téhéran, la nuit est illuminée avec le décor multicolore qu’offrent les magasins éclairés ou encore les nombreux panneaux publicitaires qui scintillent.

Les moyens de transport sont à la disposition des citoyens.

Les bus circulent de jour comme de nuit. Le métro assure le service jusqu’à minuit. Même les propriétaires de motocyclettes font dans le transport public.

Mais circuler de jour à Téhéran est une tâche difficile. Les voitures occupent le moindre espace. Les embouteillages permanents sont une véritable plaie.

Des essaims de motocyclettes, chargées comme des camionnettes, osent des slaloms de kamikaze. Pour oublier le risque d’un accident, il faut se laisser emporter par les fresques murales. Ces dernières représentent invariablement les martyrs de la guerre et les ayatollahs Khomeiny et Khamenei.

A voir ces vastes peintures murales, les fanions noirs accrochés le long des artères et des boulevards, un certain sentiment d’opposition et de contraste envahit le visiteur. Ce décor austère semble en porte à-faux avec la vivacité et la dynamique juvéniles.

D’ailleurs, d’aucuns révèlent que la jeunesse rebelle iranienne, qui transgresse toutes les limites – ou tente de le faire-, mène une vie clandestine dans son propre cercle social, loin des yeux indiscrets.

Mais il n’y a pas que la vie qui est clandestine à Téhéran. Même les produits vendus atterrissent clandestinement au Bazar.

Dans ce lieu, tout se vend, il suffit d’y mettre le prix.

Les frontières iraniennes sont très perméables et avec une économie de la débrouille, les jeunes arrivent à faire entrer tous les produits licites et illicites qu’ils écoulent très facilement.

Pour acheter, le rial iranien, le dollar ou encore l’euro sont acceptés par les vendeurs.

De toutes les manières et à l’instar du square Port Saïd d’Alger, le bazar fait office d’un bureau de change à ciel ouvert.

Mais il faut faire attention car «c’est très… très dangereux pour les étrangers», comme l’a affirmé un jeune Iranien qui n’expliquera pas plus en quoi réside réellement le danger.

Si ce danger n’a pas été perceptible pour les visiteurs que nous avons été, il a au moins été possible de se rendre compte des petites arnaques des vendeurs ou encore de celles des jeunes qui pratiquent le change de la monnaie.

Ce qui frappe le visiteur du bazar, c’est l’absence de produits traditionnels iraniens. Hormis le tapis persan et les pierres précieuses, rien ne reflète l’histoire de cette grande civilisation de plus de 5 000 ans d’âge. Probablement né à l’âge du bronze, le tapis persan est un élément essentiel de l’art et de la culture persane. Au XVIe siècle, les Safavides en ont développé la production et en ont élevé

le tissage au rang d’art.

Il est aujourd’hui un mode d’expression artistique avec ses couleurs vives et ses remarquables motifs.

Du côté des métaux et des pierres précieuses et fines, il y a l’embarras du choix. L’or et le diamant, transformés en de magnifiques bagues ou bracelets, sont exposés à perte de vue. Mais les prix ne sont pas à la portée de tout le monde.

Il aura fallu plus d’une journée de promenade dans les rues de Téhéran pour croiser un mollah avec sa longue soutane et son turban.

Les héritiers de Khomeiny semblent minoritaires dans leur propre République. La raison ? Elle semble évidente à première vue, la majorité de la population, jeune, rejette l’ordre religieux rigoureux –le seul qu’elle ait connu durant toute sa jeune existence- et elle l’a déjà exprimé clairement à travers de multiples manifestations estudiantines.

A Téhéran donc, les signes avant-coureurs de la révolution islamique ont muté en signes annonciateurs d’un profond changement dans les comportements et les mœurs que ce soit, par exemple, le maquillage intense des femmes ou encore l’attitude nonchalante (queue de cheval) des hommes.

Tous ces signes annoncent que Téhéran est au seuil d’une mutation capitale : dans cette ville grise et morose, un monde nouveau, très différent de l’ancien, va voir le jour.

Un monde qui aspire à l’ouverture vers d’autres horizons car l’actuel Iran, en plus de l’embargo qui lui est imposé par les puissances du monde à cause de sa prétendue arme nucléaire, s’auto-inflige un isolement qui ne dit pas son nom.

Cela est déjà perceptible sur le plan de la langue où la majorité iranienne rencontrée ne maîtrise que la langue persane. Même sur le plan de la communication, il est constaté que la majorité des journaux sont édités en persan, même si les journaux en langue anglaise ou autres existent également.

L’Internet, de plus en plus utilisé en Iran, est un moyen d’accès à l’information et à la libre expression parmi la population jeune. Mais il est contrôlé. Les antennes satellitaires sont interdites même si certains citoyens réussissent à se procurer des assiettes pour s’évader vers le monde extérieur.

Ces interdictions visent sûrement à protéger l’Iran de l’occidentalisation mais le pouvoir réussit-il à s’échapper de la mondialisation? Echapper à ce flux d’informations et d’images qui «polluent» les esprits iraniens que l’on veut garder sains et immaculés ?

Non. Parce qu’en Iran, la jeunesse impatiente qui n’a connu que le pouvoir islamique en place, veut être «polluée».

C’est d’ailleurs pour elle, la seule manière de pouvoir choisir d’aller vers ce nouveau monde ou de revenir vers l’ancien mode de vie imposé jusque-là.

Car, un rêve chamboule le cours d’une vie et crée un brouillage des repères initiaux. Il perturbe l’évolution réaliste et crée des échappatoires vers l’imaginaire et la seule manière d’en sortir est de le réaliser pour qu’il se banalise, permettant une meilleure perception des réalités et des choix.

Mais actuellement, le fossé entre le rêve et la réalité ne cesse de se creuser et d’alimenter les frustrations d’une jeunesse en ébullition. Avec toutes ses contradictions, Téhéran reste une ville fascinante. Arrogante et sournoise, elle se dresse entre montagnes et vallées. Sa neige qui couvre les monts sous un soleil tapant affiche, autant que les Perses contemporains, son entêtement à céder et… fondre.

Téhéran, c’est la joie de vivre et la rigueur islamique ; c’est la burqa qui couvre le visage d’une fille et le jean qui moule le corps d’une autre ; c’est la vie à l’intérieur des maisons et celle à l’extérieur ; c’est des personnes qui sont pour le régime et celles qui sont contre ; c’est les gardiens vieillissants de la révolution et les étudiants révoltés… On est sans cesse dans un rapport de contradiction.

Une dualité.

Téhéran n’est donc pas ce qu’elle semble être au premier abord. Cette ville ne peut pas vous laisser indifférent.

Elle ne peut être ignorée. Pour la comprendre, il faut la palper, la sentir. Surtout à l’heure de son tournant décisif.

Envoyée spéciale en Iran Hasna Yacoub