Mourad Djebel et grâce à l’initiative des éditions Barzakh, est enfin publié en Algérie. Son roman, les Sens interdits, est d’ailleurs disponible au Sila. Rencontré en marge de sa vente-dédicace, Mourad Djebel, évoque dans cet entretien son roman, son écriture, ses questionnements et ses projets.
Liberté : Quelles sont vos premières impressions par rapport à la publication de votre roman, les Sens interdits, en Algérie ? Et comment se passe votre rencontre avec le lecteur algérien ?
Mourad Djebel : En fait, c’est marrant ! C’est quelque chose de particulier car ce livre est loin, vraiment loin. C’est vrai il a été édité en 2001, mais il a été réellement écrit entre 1998-1999. Il est loin même dans ma tête et dans l’écrit. Il vient donc d’être édité en Algérie, je trouve la couverture très belle, et j’ai un énorme plaisir de voir ce livre enfin… en Algérie. Concernant la vente je ne sais pas encore, la vente- dédicace vient de commencer et j’ai dû signer deux ou trois fois pour l’instant.
L’histoire se déroule entre Annaba et Constantine, c’est l’histoire de trois hommes, une disparition et le dénominateur commun est Yasmina. Y a-t-il une parenté entre les Sens interdits et Nedjma de Kateb Yacine ?
On peut le voir dans ce livre, et sincèrement quand je l’écrivais, c’était un peu compliqué d’imaginer ça moi-même, cette espèce de réécriture de Nedjma de Kateb Yacine, parce que c’est l’histoire effectivement d’une jeune femme et de trois jeunes hommes, et les relations complexes et amoureuses qui se nouent.
Cela se passe entre Constantine et Annaba comme dans l’histoire de Nedjma, c’est l’histoire d’amour d’une femme et de trois hommes, cela y ressemble mais je n’ai jamais pensé m’inspirer. En réalité, on pourrait la considérer comme une réécriture, mais il n’y a pas que ça, il y a beaucoup de mon propre parcours dans cette histoire, une histoire d’amour et de violence, trois hommes et Yasmina, les différentes violences des années 80, les émeutes de Constantine en 1986 et la grève insurrectionnelle du FIS en 1991, qui forment un peu l’arrière du tableau de cette Algérie, le parcours de ces adolescents qui en 1986 étaient à la fin de l’adolescence et qui avançaient vers l’âge
adulte en pleine explosion de la violence.
On remarque dans votre écriture qui est quelque peu fragmentaire des longueurs au niveau des phrases. Mais ce qui la caractérise sans doute, c’est que c’est une prose poétique. Est-ce parce que vous êtes poète également ?
Il y a une certaine longueur dans mes phrases, je suis quelqu’un qui croit monumentalement – et je l’ai dit lors de la table ronde sur Kateb Yacine – que la littérature a deux exigences énormes, parmi les plus importantes il y a la hauteur esthétique ou la recherche esthétique et une forme d’insoumission. Je vis en France depuis quelques années et on a l’impression que le marché est formaté par des romans dans la même langue, et des histoires similaires, pourtant le nombre de livres explose et j’estime que je suis quelqu’un qui fait un travail artisanal, de travailler la langue, de la modeler, de la toucher, c’est pour cela que dans mon travail il y a de la recherche esthétique, il y a de la prose poétique, il y a aussi une écriture éclatée et des fois très longue parce que le personnage est très haletant en racontant son histoire. Il y a une espèce d’allaitement qui se crée. Je suis quelqu’un qui a publié de la poésie (je peux dire que je suis poète) et un poète n’est pas insensible à travailler sa langue même en prose.
Depuis votre dernier recueil de poésie paru en 2007, on ne vous voit plus dans les librairies !
J’ai publié des correspondances sur les questions politiques de l’émigration en France, dans un livre de correspondance entre écrivains en 2008. J’ai aussi un manuscrit que je vais publier bientôt, mais actuellement je travaille sur un livre de contes, que je dois rendre incessamment à un éditeur qui a fait une commande. Cela m’a fait plaisir d’écrire un livre de contes, précisément sur trois contes qu’on me racontait enfant. Après, j’ai pris énormément de liberté avec les contes. Mon travail d’écrivain est sur les contes et je ne les retranscris pas tels qu’on les raconte, d’ailleurs je trouve que c’est ça le grand travers, il n’y a pas de travail réel, parce que de l’arabe parlé on va directement vers le français, ce qui m’intéresse c’est comment je vais m’approprier ma langue de travail. Les trois premiers seront forcément ceux de mon enfance mais je ne peux pas m’étaler car je n’ai pas encore décidé de la suite.
L’Algérie vous inspire-t-elle encore ?
Je suis né et j’ai vécu 27 ans en Algérie, et je n’ai pas encore vécu 27 ans hors de l’Algérie. Mon parcours mental a été modelé ici et si je me suis mis à l’écriture, c’est aussi mon rapport avec l’Algérie, mon rapport au monde de manière générale car écrire, c’est un rapport au monde. J’ai vécu au Bénin pendant deux ans, j’ai vu le monde et c’est clair que je vais me mettre à écrire sur d’autres sujets, j’écrirais sur des personnages venant de plusieurs horizons mais j’évoquerais toujours l’Algérie.