Le mouvement populaire est parvenu à transcender l’écueil du Ramadhan. Le chemin du régime vers la présidentielle du 4 juillet est semé d’embûches. Le pays s’achemine vers l’inévitable vide constitutionnel.
Le doute sur le maintien de la mobilisation de rue en haut niveau, entretenu depuis le 22 février dernier, a plané pendant des jours avant l’entame du Ramadhan. Le pouvoir en place misait sacrément sur cet interlude de trente jours pour voir s’affaiblir l’insurrection populaire et reprendre son destin en main. Les centaines de milliers d’Algériens, ayant manifesté le vendredi 10 mai en s’accommodant des effets du jeûne et de la chaleur, lui ont fait perdre ce pari hasardeux. Les manifestants, partout dans le pays, ont d’ailleurs montré une détermination inébranlable à ne point abandonner le mouvement à mi-chemin et qu’ils sauront transcender les écueils entravant leur procession vers un nouvel ordre républicain, qui donne la primauté au civil sur le militaire. À un fondamental de la révolte citoyenne “Yatnahaw gaâ” se sont greffés, à la douzième marche, des slogans contre des velléités de primauté du militaire sur le civil. Il s’avère, dès lors, de plus en plus difficile d’imposer au peuple des projets auxquels il n’adhère pas. Dans cette optique, dire que le scrutin présidentiel du 4 juillet prochain est déjà compromis ne serait guère une vue de l’esprit. Le chef d’état-major ne cesse, pourtant, de marteler qu’il veillera au respect du champ constitutionnel.
Le chef de l’État et le Premier ministre accomplissent les obligations liées à l’organisation de la présidentielle sans considérer le contexte politique exceptionnel du pays. Ils donnent l’impression de préparer un passage en force, quitte à menacer ouvertement, par le truchement de l’éditorial d’un journal gouvernemental, de représailles les parties qui entravent le processus électoral. À supposer que l’écrit visait les élus locaux (les maires, notamment dans plusieurs localités) et les magistrats qui refusent de superviser l’opération électorale, la démarche ne profitera pas au régime, dont la cote de popularité est dans le rouge. L’option de l’organisation de l’élection présidentielle dans les délais constitutionnels perd de sa pertinence au fur et à mesure que l’on s’approche de la date du scrutin. Les Algériens, insurgés, monteront fatalement au créneau à chaque étape cruciale du processus électoral : dépôt des dossiers de candidatures ; annonce de la liste définitive des postulants à la magistrature suprême retenus par le Conseil constitutionnel ; campagne électorale et, enfin, le jour du vote. Ils ont déjà mis en échec deux phases importantes : la révision du fichier électoral et la collecte des parrainages. En clair, la présidentielle ne peut avoir lieu contre la volonté du corps électoral et sans candidats sérieux, jusqu’alors du moins.
Il reste à savoir pour quelles raisons le chef de l’institution militaire tient encore, contre vents et marées, à l’application stricto sensu de l’article 102, au lieu de mettre en place, dans l’intervalle de ces deux mois, les mécanismes d’une transition vers une deuxième république, dans les formes et avec des personnes acceptées par la rue. D’autant que sans le renoncement au scrutin présidentiel et, par ricochet, la démission immédiate du chef de l’État par intérim, Abdelkader Bensalah, et du gouvernement Bedoui, l’Algérie entrera de facto dans une période de vide constitutionnel au lendemain du 8 juillet 2019. Au regard de certains observateurs, le régime retarde une échéance inéluctable, espérant qu’une de ses ruses réussira à atomiser le mouvement populaire. Ou peut-être, fomente-t-il un plan insoupçonné pour lui survivre ?
Souhila Hammadi