Qu’ils soient instrumentalisés ou pas, et quels que soient leurs calculs, leurs ambitions et leurs objectifs, la prudence voudrait qu’ils ne cherchent pas à aggraver une situation par elle- même suffisamment détériorée.
La grève générale à laquelle a appelé la puissante Centrale syndicale tunisienne, jeudi dernier, a été massivement suivie, paralysant les administrations, les transports et les écoles. Le secrétaire général adjoint de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), Mohamed Ali Boughdiri, avait souligné, dès la matinée du jeudi, que le taux de participation était de 100% et qu’une large participation des agents de la fonction publique et du secteur public était enregistrée.
Le mouvement entendait protester contre le refus du gouvernement d’accéder aux exigences de la centrale syndicale en matière d’augmentations salariales dans la fonction publique. Mais les conséquences autant que les soubassements de cette grève sont évidemment politiques, depuis que l’accord de Carthage a commencé à battre de l’aile, sous les coups de boutoir des différents protagonistes de la crise. D’un côté le parti islamiste Ennahdha qui soutient mordicus le gouvernement de Youssef Chahed, de l’autre l’UGT et Nidaa Tounes, notamment, avec en ligne de mire la prochaine échéance électorale en décembre 2019 qui verra la tenue des législatives et de la présidentielle pour laquelle les couteaux sont en train d’être aiguisés.
Réagissant au coeur même de la tempête gréviste à la revendication de Nidaa Tounes martelée depuis plusieurs mois maintenant et relative au départ de Chahed et de son équipe, Mohamed Ali Boughdiri a affirmé que «c’est au peuple ou à l’assemblée des représentants du peuple de demander le départ du gouvernement». Ce qui ne signifie pas pour autant un blanc-seing en faveur de Youssef Chahed, la Centrale syndicale ayant convoqué la commission administrative pour décider des prochains mouvements de protestation à observer pour poursuivre la revendication des augmentations salariales dans la fonction publique. Se félicitant du succès prévisible de la grève générale opérée jeudi dernier, les responsables du syndicat en ont analysé, hier, les tenants et les aboutissants pour convenir de poursuivre le mouvement afin de mettre une pression continue sur le gouvernement, jusqu’à satisfaction des attentes des travailleurs qui attendent avec impatience les majorations salariales escomptées. On ne sait pas encore quelles vont être les nouvelles mesures de nature à aggraver l’escalade, sinon une paralysie totale du pays au moyen d’une grève qui durerait plusieurs jours voire même qui pourrait être illimitée. Une hypothèse à vrai dire suicidaire, compte tenu du contexte socio-économique dans lequel se trouve la Tunisie en proie à une chute sévère de sa trésorerie et déjà prise sous les fourches caudines du FMI. Qu’ils soient instrumentalisés ou pas, et quels que soient leurs calculs, leurs ambitions et leurs objectifs, la prudence voudrait qu’ils ne cherchent pas à aggraver une situation par elle- même suffisamment détériorée et qu’ils privilégient en toutes circonstances le dialogue avec un gouvernement aux moyens limités. Le fait est que la conjoncture semble aussi critique que les conjectures en vogue, tant la présidentielle a suscité des appétits féroces, au point que les partisans d’hier sont devenus les ennemis d’aujourd’hui. Avec une inflation supérieure à 8%, un chômage qui dépasse les 15%, et une chute brutale du dinar, c’est un magma politique densifié où, seul, le peuple tunisien est à la peine et point n’est besoin d’ajouter encore à sa détresse, au risque de provoquer, cette fois, une véritable révolution.