Les algériens refusent que leur baguette de pain fasse l’objet de chantage : Ne touchez pas au sacré!

Les algériens refusent que leur baguette de pain fasse l’objet de chantage : Ne touchez pas au sacré!

S’il estime la hausse des prix comme la plus mauvaise des solutions, le gouvernement n’en est pas moins obligé de trouver une réponse à l’équation complexe de la baguette.

Le prix du pain en Algérie relève de la décision politique. Ce n’est pas un produit comme les autres. Il a une histoire, une signification sociale, sociétale et même politique. Les Algériens y sont attachés, jusqu’à l’inclure dans leur lexique au quotidien. Tous les gouvernements de ces 20 dernières années s’en sont tenu au tarif où ils l’ont trouvé. Codifiées par décret, les spécificités de la baguette de pain sont, quelque part une affaire d’Etat. Même si, au quotidien, beaucoup de commerçants prennent quelques libertés avec les spécifications du produit, il reste que les Algériens tiennent fermement à leur décret. Qu’importe s’ils payent leur pain plus de deux dinars au-dessus du prix fixé par la réglementation, ils refuseront de voir celle-ci s’adapter à la réalité et reconnaître le prix pratiqué par les boulangers et les revendeurs qui, pour «habiller» une hausse illégale, se sont multipliés aux quatre coins du pays.

Tous les gouvernements qui se sont succédé à la tête du pays font le constat de cette «triche» et notent l’énorme gaspillage qui touche cette denrée, pourtant lourdement subventionnée au plan économique et sacralisée par le commun des Algériens. Mais ils tiennent tous au prix administré et annoncent régulièrement leur intention d’en finir avec cette situation «provisoire» d’anarchie et de marge bénéficiaire exagérée au regard du décret qui fixe le poids et le prix de la baguette de pain. En face, les boulangers qui disent «ne rien gagner» à pratiquer une activité pas du tout rentable, interpellent les pouvoirs publics aux fins de revoir à la hausse, soit le prix du pain, soit les subventions. En attendant un retour «d’ascenseur» de l’Etat, ils se sont servis dans la poche des citoyens par le truchement d’une augmentation qui ne dit pas son nom.

La multiplication des intermédiaires, la formule de «pain amélioré» et autres pratiques «grises» ont permis au boulanger de grignoter quelques dinars dans le prix final de la baguette. Mais, il semble que cette stratégie soit arrivée à ses limites.

En effet, les 2,5 dinars de différence entre le prix administré qui est de 7,5 DA et celui de la vente fixé à 10 DA, ne peuvent pas assurer la pérennité de la profession de boulanger. Ils proposent d’élever le prix à 12 DA, voire 15 DA pour certains. Objectivement, la proposition des boulangers n’est pas dénué de sens.

A voir le niveau extravaguant du gaspillage, l’augmentation des prix réduira certainement la consommation et aura un effet direct sur la boulimie des Algériens qui ne peut s’expliquer qu’à travers la valeur financière «insignifiante» du pain. Mais l’Etat refuse d’acter cette proposition et reste attaché à son décret. Il refuse toute discussion avec les boulangers sur la structure des prix de ce produit stratégique. Cette posture est amplement compréhensible au sens où l’élévation, ne serait-ce que, de 5 centimes du prix de la baguette, aura l’effet d’une bombe. Aucun gouvernement ne se risquerait à prendre une décision aussi sensible.

Ce qui est en jeu, n’est pas moins le prix actuel du pain que la symbolique qu’il représente pour la population. Tout le sens de l’engagement social de l’Etat est résumé dans le fameux décret. C’est dire à quel point, le prix du pain en Algérie prend une signification hautement politique. Dans l’esprit des Algériens, le fait de toucher à cette denrée populaire, équivaut à briser un pacte historique entre les gouvernants et la société.

De fait, les boulangers seraient inconscients de prendre unilatéralement la décision d’augmenter les prix du pain. L’on se souvient de l’émoi provoqué par pareille initiative prise il y a quelques mois par quelques commerçants. La réaction du gouvernement était d’une fermeté remarquable, de sorte que les contrevenants ont certainement compris le sacrilège qu’ils avaient commis à l’encontre de la société algérienne en touchant au produit, dont la symbolique est vraisemblablement très pesante dans l’esprit de chacun.

Le round de négociation qu’ils engagent à partir d’aujourd’hui avec le ministère du Commerce relève certainement de leurs prérogatives, mais quelles que soient les propositions qu’ils feront au gouvernement, la question du prix leur échappe complètement. De son côté, le gouvernement s’il estime, à juste titre, la hausse des prix, dans le contexte actuel, comme la plus mauvaise des solutions, il n’en est pas moins obligé de trouver une réponse à l’équation complexe de la baguette. La farine spéciale-pain, peu coûteuse, devrait être une réponse à la situation de crise que vivent les boulangers. Le gouvernement pourrait l’importer à moindre frais, la distribuer aux professionnels qui trouveraient leur compte à travers une marge bénéficiaire convenable. Mais depuis plusieurs années qu’il promet de passer à cette solution et qu’il ne le fait pas, l’Exécutif porte la responsabilité de cette crise.

Par Saïd BOUCETTA