En cherchant à étouffer la mobilisation citoyenne par toutes sortes de stratagèmes, le pouvoir accentue non seulement la crise, mais aussi booste le “hirak”.
Le constat est largement partagé : les marches du 34e vendredi dans de nombreuses wilayas du pays ont été si imposantes que d’aucuns n’ont pas manqué d’évoquer un “second souffle” de la révolution, les qualifiant, à juste titre, des plus importantes de la rentrée sociale. Alors qu’on redoutait un éventuel reflux, voire un essoufflement de la mobilisation, notamment après l’escalade dans la répression et la multiplication des arrestations ciblant particulièrement des figures du hirak dont des animateurs politiques et des activistes de la société civile à l’image d’Abdelouahab Fersaoui, président de la dynamique association Rassemblement Actions Jeunesse (RAJ), l’on a assisté plutôt à un surcroît de vigueur dont on peut dire qu’il risque sérieusement de chambouler les calculs des tenants de l’organisation à tout prix du scrutin présidentiel. Que ce soit à Alger où la manifestation a été grandiose, à Oran, à Béjaïa, à Constantine, à Tizi Ouzou, à Annaba, à Blida, à Mostaganem ou à Bouira, pour ne citer que quelques villes, des milliers de personnes sont descendues dans les rues pour réitérer leur rejet de la prochaine élection, la libération des détenus et le départ de tous les symboles du régime. Mais les deux faits marquants de ce vendredi ont été, sans aucun doute, la dénonciation de la répression de la marche des étudiants de mardi dernier et le rejet du projet de loi sur les hydrocarbures. Pour nombre d’observateurs, l’attitude agressive de certains éléments des services de sécurité à l’égard des étudiants, dont les manifestations ont pourtant été pacifiques et exemplaires depuis le début de l’insurrection citoyenne, ont eu un rôle catalyseur sur la mobilisation.
À Alger, durant toute la manifestation, les citoyens n’ont cessé de dénoncer la violence faite aux jeunes. “Talaba, machi Tliba” (Ce sont des étudiants, pas Tliba), scandaient-ils, comme pour signifier qu’on ne peut valablement mettre sur un pied d’égalité un député, aujourd’hui en fuite, qui a fait fortune à l’ombre du régime de Bouteflika, et les étudiants dont l’ambition légitime est de construire leur avenir dans leur pays. Le rejet du texte de loi, dont l’examen est prévu théoriquement pour aujourd’hui à l’occasion du Conseil des ministres, assimilé à une vente concomitante aux puissances étrangères, confirme le rejet de tout ce qui est entrepris par le pouvoir en place. En persistant à tourner le dos aux revendications populaires et en recourant à des méthodes que l’on croyait révolues et qui commencent à susciter des condamnations à l’étranger, parmi les ONG — les gouvernants s’astreignent pour l’heure à un silence dissimulant difficilement leur impatience —, le “pouvoir de fait” confirme l’échec de sa stratégie. En cherchant à étouffer le mouvement par toutes sortes de stratagèmes pour mener à bon port sa feuille de route, le pouvoir accentue non seulement la crise, mais aussi booste le mouvement plus que jamais déterminé, au regard de son endurance, à entrer dans une nouvelle époque.
Et à voir les appels sur les réseaux sociaux, notamment pour la symbolique journée du 1er novembre, nul doute que la mobilisation s’annonce encore plus imposante. Signe qu’une nouvelle séquence s’écrit, les avocats ont décidé de renouer avec la protestation, comme pour renforcer cette mobilisation. Le pouvoir va-t-il revoir ses calculs ?
Karim Kebir