PARIS- Les chercheurs algériens sont « talentueux » et ne sont pas moins que ceux de n’importe quel autre pays, mais ont besoin de moyens pour mener la recherche, a affirmé mardi l’astrophysicien français d’origine algérienne, Tahar Amari, connu mondialement pour ses découvertes sur les éruptions solaires.
« Les chercheurs algériens sont talentueux, pas moins que ceux de n’importe quel autre pays. J’en rencontre dans des conférences internationales de haut niveau. Mais le niveau qu’ils arrivent à atteindre peut être disparate en raison des moyens nécessaires pour mener cette recherche qui sont aussi différents suivant les disciplines », a indiqué dans une interview à l’APS .
Ce chercheur qui reconnaît que son impulsion initiale dans la recherche et la réussite viennent de son père Mohand-Saïd, venu des montagnes de petite Kabylie.
Pour ce fils de cantonnier, pour qui l’ensemble des produits de l’éruption solaire peut avoir des impacts « importants » sur de nombreux secteurs de l’activité économique mondiale, un chercheur « vit par son lien avec l’International », car la recherche est internationale « avant tout ».
« Il faut penser ainsi, car la recherche concerne l’humanité toute entière et est acceptée par elle. Sinon, l’enfermement est une sorte de mort incompatible. Il faut envoyer à l’étranger et accueillir des chercheurs étrangers dans les laboratoires algériens. C’est ce qui est fait dans les pays en pointe de la recherche », a-t-il expliqué, soutenant que les expériences nécessitent des moyens « importants » qui, seuls, peuvent permettre de « se hisser à un niveau » et ainsi permettre que les jeunes chercheurs algériens « aient une valeur à l’étranger ».
Pour lui, investir dans la science et la recherche « c’est gagner dans le développement économique et éducatif de manière naturelle », soulignant que la science « ne s’arrête pas qu’aux scientifiques ».
== Accroître les investissements dans la recherche ==
« Elle inonde et nourrit l’éducation et la société. La recherche sert à former les politiques, les décideurs, les entrepreneurs qui ne deviendront pas tous des chercheurs. Ils pensent au-delà de l’utilisation immédiate, et cela paie, pour le durable. Le monde politique y gagne aussi », a ajouté cet ancien handballeur né à Bobigny, dont les parents, immigrés, n’avaient jamais connu le banc d’école, appelant à accroître les investissements dans la recherche car, a-t-il dit, « c’est la science et l’éducation qui seront utiles pour le futur ».
Pour ce directeur de recherche au Centre nationale de la recherche scientifique (CNRS) et au Centre de physique théorique de l’Ecole polytechnique, rencontré à l’ambassade d’Algérie en France dans le cadre du Cercle Saint-Augustin, un cadre de réflexion et d’échange, c’est avant tout la formation en Algérie qui est le « secteur primordial », une formation adaptée aux besoins économiques.
« Former par l’enseignement supérieur c’est bien, mais je m’interroge sur le sens d’engagement sans se soucier de l’intégration professionnelle en même temps. Il faut travailler avec les entreprises et ne pas attendre la fin de formation pour s’intéresser à elles », a-t-il préconisé, citant, à titre d’exemple, le Big Data où « la demande est tellement grande que les entreprises manquent de candidats ». « Les grandes écoles intègrent de telles formations pour répondre à cette demande pour l’avenir », a-t-il ajouté.
== Il faut une synergie entre la recherche et l’industrie ==
Tahar Amari pense que, pour le cas de l’Algérie, « il faut une synergie, entre la recherche, qui nourrit l’enseignement, et l’industrie locale et internationale », soutenant que les Algériens doivent trouver un emploi « correspondant aux besoins » des entreprises présentes sur le sol ou à l’étranger.
« Des formations avec un lien fort avec l’industrie, incluant de nombreux stages, doivent être renforcées. On comprend qu’on rejoint alors la question des moyens », a indiqué ce spécialiste du magnétisme solaire, décoré en novembre 2016 de la Légion d’honneur, la plus haute distinction française.
« Prenons par exemple encore l’informatique, nourriture de base de toute formation ou industrie. Former à la théorie informatique c’est bien, mais ce sont les nombreux stages et classes d’apprentissage qui rendent la connaissance utile. Et pour cela, il faut beaucoup de cours pratiques avec des moyens informatiques à la hauteur », a encore expliqué cet astrophysicien qui a découvert cette année, avec son équipe, que les éruptions solaires étaient produites par une corde magnétique enfermée dans une cage magnétique.
Concernant le Cercle Saint-Augustin, qui avait réuni en septembre dernier des chercheurs issus de la communauté algérienne en France, qu’il a qualifié d’ »excellente initiative », Tahar Amari estime que ce cadre devrait permettre la création « active » d’un réseau d’expertises et d’expériences permettant de favoriser les interactions « fructueuses » avec les institutions, jeunes et moins jeunes chercheurs, universitaires ou non en Algérie.
L’astrophysicien Tahar Amari à l’APS :
Question 1: Enfant de la banlieue parisienne, dont les origines sont algériennes, comment êtes-vous arrivés à devenir astrophysicien de renommée mondiale ?
Réponse : Pourquoi l’astrophysique ? C’est vrai que cela aurait pu être aussi la recherche médicale, ou les lois qui gouvernent l’Univers.
C’est précisément, tout d’abord, à mon père Mohand-Said venu des montagnes de petite Kabylie, que je dois cette impulsion initiale. En effet, il me disait de lever la tête et que tout avait une explication, et qu’à toute maladie, il existait un remède qu’il fallait chercher…. Sans savoir lire, il était déjà scientifique, car la science se définit par cet état d’esprit, savoir qu’il existe des lois qui gouvernent le monde et les chercher. Voilà ce qui m’a profondément marqué. Le reste n’est que chemin pour y arriver, et il en existe des milliers de façon. Le moteur était là.
J’ai donc été formé en physique théorique à Paris, puis voulu faire de la recherche sur les lois de l’Univers, mais … c’est le Soleil qui m’a pris le premier et je ne l’ai jamais quitté !
Je n’ai pas choisi d’être de renommée mondiale, car cela n’est pas un but, tout au moins, ce n’était pas le mien. J’ai pratiqué le handball à haut niveau et là, c’est vrai, que c’est un objectif pour beaucoup de sportifs en général. Mais pour la science, je souhaiterais juste comprendre, éprouver la joie de découvrir. Pour reprendre l’analogie sportive, je voulais juste avoir plaisir à « jouer » !
Question 2 : Ce n’était pas évident pour quelqu’un né à Bobigny, fils d’un cantonnier, de réussir son intégration en France et parvenir à atteindre la sphère scientifique ?
Il faut être juste. A Bobigny, là où j’ai été élevé, comme partout en Seine Saint-Denis où je suis né, et souvent décriée, bien que mes parents, immigrés avant ma naissance, n’avaient jamais ni connu ni passé 5 minutes sur aucun banc d’école qui permettait à tous de réussir. La difficulté venait du milieu social, de la culture, de la langue, du niveau de vie très bas. Mais, à l’école, à part de rares cas, tout était possible.
Les institutrices et instituteurs, que j’ai eu la chance de rencontrer, étaient pour la plupart juste et aidant, à l’écoute, ne faisant pas de distinction.
La ville apportait des aides pour contrecarrer les problèmes financiers.
C’était donc dur, oui, comme conditions avec 11 enfants à la maison, mais je pouvais rêver, la tête dans les étoiles, suivant les cours ainsi jusqu’au doctorat !