Après un début d’été clément, les grosses chaleurs sont de retour. Alors c’est la ruée vers le climatiseur. Petit «round-up» autour de l’invention de Willis Haviland Carrier, objet de toutes les convoitises en cette période de l’année…
Mardi 2 août, 8 h du matin. Le mercure dépasse déjà les 25°. On est au Hamiz dans la banlieue est d’Alger. Une chaîne humaine interminable se forme devant un magasin, et ce n’est pas pour le pain! Plusieurs dizaines de personnes étaient rassemblées devant ce commerce depuis les aurores déjà en attendant qu’il ouvre. La raison est simple: il a été dit qu’il venait de ramener un stock d’une marque de climatiseurs qu’affectionnent grandement les consommateurs et qu’il a été porté disparu chez les autres vendeurs d’électroménager, nous confient, déterminés, les clients. Personne ne veut bouger de sa précieuse place, malgré la chaleur suffocante. «Je préfère souffrir maintenant et bien dormir la nuit», nous confie Moncef, un jeune qui a convolé en justes noces depuis presqu’un mois. «Quand j’ai commencé à équiper ma maison avant le mariage, j’avais préféré reporter l’achat d’un climatiseur en voyant que le temps était plutôt clément. Je me suis dit que tout l’été sera comme ça. Alors je l’achèterai l’année prochaine», rapporte-t-il.
«Mais finalement, la canicule est là. Ni moi ni ma femme ne supportons cette situation. Et cela risque de détruire notre mariage…», poursuit-il en guettant l’arrivée de ce vendeur du bonheur.
Et dès que ce dernier arrive, c’est l’hystérie totale. Tout le monde essaye de grappiller une place. Le commerçant se voit obligé de menacer de ne pas ouvrir si les clients ne se calmaient pas. «Vous allez entrer par groupe», crie-t-il d’un ton des plus effrayants. En fait, il faut savoir que cette folie est due à un «pic» d’achats qui est enregistré chez les revendeurs de ventilateurs et de climatiseurs ce qui a provoqué une rupture de stock des marques les plus prisées. Rares sont ceux qui en ont encore dans leurs étals. Alors ils dictent leur loi. Même les prix montent au même rythme que le mercure.
«Mon frère a acheté ce modèle de cette marque de climatiseurs samedi dernier à 27 000 dinars. Je viens de le payer à 30.000 dinars», indique Mohand, un père de famille venu dépenser ses économies…
«Mais que voulez-vous, je n’ai pas le choix. Je suffoque dans ma cage à poules qui me sert d’appartement. En plus, je préfère investir un peu plus dans cette marque qui a fait ses preuves que de tenter le coup de poker d’une autre moins chère mais qui risque de ne pas tenir une saison», explique-t-il, dépité mais sans savoir ce qui se trame derrière cet appareil de toutes les convoitises.
Une spéculation digne de Wall Street!
Selon les «experts», les vendeurs se sont transformés en véritables traders. «Il y a une grande spéculation qui se fait autour des climatiseurs», rapporte Riyad, technicien en chaud et froid qui était venu avec un de ses clients au Hamiz pour chercher un bon climatiseur. «Les marques les plus demandées sont introuvables dans les showrooms car les commerçants d’El Hamiz ont acheté tous les stocks pour pouvoir spéculer sur les prix», atteste-t-il.
Explication: «Ils connaissent très bien la réalité du marché et les marques les plus prisées. Ils s’entendent entre eux pour vider les stocks des représentants officiels en leur achetant toute leurs marchandises. Puis, ils les stockent quand la demande est forte afin de créer la pénurie». Dès que la tension sur les climatiseurs s’installe, «ils commencent à sortir peu à peu leurs stocks et augmentent les prix à leur guise», ajoute-t-il. «Comme par exemple pour mon client, cela fait une semaine qu’il a commandé son climatiseur, ils lui ont dit d’attendre le temps qu’ils reçoivent de la marchandise tout en l’avertissant que cela allait lui coûter 7000 dinars de plus», relate-t-il en précisant le fait que ces climatiseurs sont bien stockés dans l’arrière-boutique desdits revendeurs.
«La preuve, regardez la poussière qui a recouvert le carton», nous montre-t-il de la main, le climatiseur que le commerçant venait de retirer de son «antichambre». Riyad, qui souligne le fait que ces commerçants se sont organisés en réseau pour arriver à fixer les prix du marché, compare cette spéculation à celle qui se fait pour le lait, la farine et tous les produits de large consommation. Riyad, qui, faut-il le signaler est devenu une denrée rare du fait que les installateurs et autres réparateurs ont un«agenda» plein jusqu’à la fin du mois, n’arrive plus à supporter le laxisme de l’Etat qui laisse les consommateurs livrés à eux-mêmes. «Non seulement ces commerçants ne déclarent pas leurs marchandises, mais ils se permettent de faire de la spéculation sur le dos des consommateurs et cela sans que les autorités daignent lever le petit doigt», peste ce technicien.
Des maisons transformées en chambres froides…
Néanmoins, cette spéculation ne refroidit nullement les consommateurs en quête de fraîcheur. Un petit tour au niveau de ce royaume de l’électroménager qu’est le Hamiz pour vite le constater. La canicule a boosté les ventes de climatiseurs et autres ventilateurs ces derniers jours. «Il y a rupture de stocks de la majorité des marques de climatiseurs», nous confie Krimo, commerçant en électroménager dans cette république d’El Hamiz.
«Ces deux derniers jours, les climatiseurs se sont vendus comme des petits pains, et ce n’est pas une façon de parler, je pense que le boulanger du coin n’a pas vendu autant de petits pains que nous de climatiseurs», ajoute-t-il. Tous les types de climatiseurs sont pris d’assaut par des Algériens en quête d’un peu de fraîcheur.
«C’est une dépense inattendue mais essentielle. J’ai dû emprunter un peu d’argent pour le jeûne, cela vaut la chandelle», nous explique Adel, un quinquagénaire, fonctionnaire de son état, qui était en train de charger son appareil à l’arrière de sa Maruti. «C’est infernal! La climatisation n’est plus un luxe mais une nécessité», rétorque cet homme dont l’invention de Willis Haviland Carrier fera pour la première fois son entrée à son domicile. Si pour lui, c’est une première, d’autres ont composé une véritable chambre froide dans leurs domiciles. Parmi eux Omar, architecte. «Je dispose déjà de trois climatiseurs, mais j’ai dû en acheter un quatrième pour la cuisine, ma pauvre femme n’en pouvant plus.
Elle suffoquait!», assure-t-il. Ils sont nombreux dans le cas de Omar qui disposent de cette «panoplie». Le pire de tout cela, c’est que les appareils sont tous allumés au même moment et dans la majorité des cas à moins de 20°. Un abus qui nuit à la santé, mais surtout à la…Sonelgaz. Un nouveau record de consommation d’électricité a d’ailleurs été enregistré dimanche dernier par l’opérateur système (OS) de Sonelgaz. Une situation qui a fait «sauter» le réseau.
Des coupures électriques ont été enregistrées à travers le pays, notamment au Centre. Les centrales électriques sont mises à rude épreuve, leurs équipements subissent difficilement cet état de surconsommation. Ainsi, en plus de ses responsables, qui ne doivent pas trouver facilement le sommeil, les employés de la Sonalgaz sont en alerte jour et nuit. Le climatiseur semble donc être le meilleur ami des Algériens et le pire ennemi de la Sonelgaz…
Préférant la bonne vieille moustiquaire ou le ventilateur
Il existe aussi des anticlimatiseurs
C’est un secret de Polichinelle: les Algériens sont devenus de véritables accros à la climatisation. Cela au point d’en abuser fortement avec une sur-utilisation à des températures qui dépassent l’entendement. Des 15° et 17°, bien loin des 24° conseillés. Mais au milieu de tout ce tralala, on arrive quand même à trouver des anticlimatiseurs qui souffrent le martyre en été dans leurs bureaux, les usagers des transports publics, les commerçants ou restaurateurs. Ils sont faciles à reconnaître: au volant de leurs voitures, ils sont les seuls à rouler vitre fermée. Dans un lieu public climatisé, vous allez les voir éternuer et paniquer, les yeux en l’air à la recherche de l’endroit le plus lointain de ce qu’ils appellent «fichu» climatiseur.
Parmi eux, Mehdi qui est très heureux sans climatisation. «Rien ne vaut un bon courant d’air», assure-t-il avec un large sourire. «Pour passer de bonnes nuits, j’ai tout simplement acheté des moustiquaires que j’ai collées aux fenêtres pour éviter que les moustiques ne me dévorent. Je laisse ainsi la fenêtre ouverte toute la nuit. Il y a l’air frais, qui entre. Contrairement au reste de ma famille qui utilise la climatisation, moi je ne suis pas malade tout l’été», se réjouit-il. D’autres restent par contre fidèles au bon vieux ventilateur. Leurs arguments: indémodables, toujours aussi efficaces et surtout ne rendent pas malade autant que la clim…