Marrakech est une ville envoûtante. Chaude, colorée et fantasmatique. Au point où la secrétaire d’État américaine, Hillary Clinton, a oublié les précautions diplomatiques d’usage pour concéder au Maroc l’impardonnable.
Pour sa première maghrébine, Hillary Clinton n’a pas fait dans la dentelle. La secrétaire d’État américaine a soutenu le plan d’autonomie au Sahara du Maroc risquant ainsi de mettre le feu aux poudres dans la région. “Je voulais réaffirmer ici au Maroc qu’il n’y a pas de changement dans notre politique (…) ; il n’y a pas de changement dans la politique de l’Administration “Clinton” au sujet de l’initiative marocaine d’autonomie au Sahara”, a-t-elle martelé en conférence de presse sous le sourire approbateur et jubilatoire de son homologue marocain, le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, M. Taïb Fassi Fihri.
Alors que les exactions marocaines à Layoune ont fait le tour du monde, que le Polisario menace de reprendre les armes et que Christopher Ross, l’envoyé spécial de Ban Ki-moon pour ce dossier marche sur des œufs pour tenter de relancer un sixième round de négociations entre Rabat et la RASD, Hillary Clinton vient de faire exploser l’édifice fragile du dialogue dans la région. Invitée à la 6e édition du Forum pour l’avenir qui se tient durant deux jours à Marrakech, Clinton, dont c’est la première incursion diplomatique au Maghreb depuis neuf mois, a envoyé un signal négatif aux protagonistes du dossier sahraoui. Un alignement sur le projet d’autonomie marocain, la fâcheuse “troisième voie”, qui n’est certes pas nouveau pour l’Administration américaine, mais qui n’a jamais été formulé de manière aussi brutale et unilatérale que cette fois-ci.
L’anti-Ross
Pour comprendre ce petit scandale diplomatique, il faut remonter au Ramadhan 2008. Condoleezza Rice, son prédécesseur aux Affaires étrangères, avait tenté, avant la fin de l’ère Bush, une mission de la dernière chance au Maghreb pour trouver une solution à l’un des plus vieux conflits qui existent. Rice avait confié, à l’heure de la chorba à un Bouteflika attentif, que les États-Unis allaient s’atteler sérieusement à régler la question sahraouie en donnant toute latitude à l’ONU pour faire aboutir une solution viable pour les deux parties, marocaine et sahraouie.
Ce changement d’attitude américaine, marqué par une forte pression de lobbys du Congrès américain favorables à l’autodétermination du Sahara occidental, allait susciter l’ire de Rabat. Mohammed VI refusant d’accueillir Rice comme il se doit et réserve un accueil glacial à Ross, soupçonné par les Marocains de faire le jeu du président Mohamed Abdelaziz.
En vérité, ce sont les rapports de force au sein de l’Administration américaine qui étaient en train de changer jusqu’à l’arrivée de Barack Obama. Le nouveau président américain mit alors son poids dans la balance et adopte une attitude équilibrée entre Marocains et Sahraouis. On laisse faire Ross en tentant de ménager Alger et Rabat qui suivent de près les premières initiatives américaines dans la région.
Dans l’attente de l’arbitrage d’Obama
C’est alors que vint Hillay Clinton. Sa position au sein de l’Administration Obama est des plus floues. Obama truste les messages importants comme sur l’Iran ou au Caire et Accra. Le président américain met pour chaque région sensible un émissaire spécial (George Mitchelle pour le Proche-Orient, Stephen Bosworth pour la Corée du Nord, Richard Holbrooke pour le Pakistan et l’Afghanistan, Scott Gration pour le Soudan) et laisse ainsi des miettes à sa secrétaire d’État et ancienne rivale démocrate.
Hillary Clinton est à l’étroit dans son rôle malgré des visites remarquées à défaut d’être remarquables en Afrique, au Proche-Orient et en Chine. Au Maghreb, sa visite est maintes fois reportée. Il s’agissait certainement d’une tournée maghrébine classique. Mais à Alger et à Rabat, d’autres émissaires la précédent. Pour l’Africom, Mme Huddelstone. Pour le Moyen-Orient et le dossier iranien, Jeffrey Feltman. Ces envoyés très spéciaux tentent de sonder le président Bouteflika et Mohammed VI pour connaître leurs intentions sur des dossiers aussi divers que la normalisation avec Israël, le cas iranien ou le Sahel. En toile de fond, le dossier sahraoui qui est abordé par petites touches. Jusqu’à la déclaration de Marrakech…
La question que doit certainement se poser Alger est “pourquoi maintenant ?” Pourquoi Clinton a choisi un parti pris sur ce dossier ? Est-ce avec l’assentiment d’Obama ? Est-ce une position intangible ou juste une flatterie de Clinton au régime de Mohammed VI qu’elle a également loué comme étant à la tête d’un “pays tolérant, notamment en matière de libertés, de la démocratie, d’ouverture économique et de la consécration de l’État de droit”? Personne n’ayant apparemment prévenu Clinton qu’elle était à Marrakech et non à Stockholm.
Ces interrogations algériennes qui ne manqueront pas vont-elles plomber l’initiative américaine au Maghreb ? Certainement, même si l’on n’ignore pas à Alger la “proximité” du couple Clinton avec la famille royale, entre les visites privées de Bill Clinton au Maroc ou les donations financières du royaume depuis plus de dix ans à la Fondation Clinton. Ce qui est d’ailleurs paradoxal, c’est que Clinton, qui refuse de critiquer si ce n’est d’écorner l’oppression marocaine au Sahara occidental, milite en même temps pour l’arrêt des colonies israéliennes en Palestine. Une position troublante qui consiste à condamner ailleurs, légitimement, ce qu’on refuse de voir sous ses yeux. L’ocre de Marrakech trouble vraiment la vision !