Ghania Oukazi
La comparution, hier, de Khaled Nezzar devant le tribunal militaire de Blida marque une autre importante séquence du scénario qui pourrait être mis au point par le Haut Commandement de l’Armée pour une sortie de crise «négociée».
Hier, c’était au tour du général à la retraite Khaled Nezzar de comparaître «comme témoin» devant le juge d’instruction du Tribunal militaire de Blida. Nezzar devait répondre de ce qu’il avait avancé il y a quelques jours sur sa rencontre avec Saïd Bouteflika. Le général de corps d’armée, Ahmed Gaïd Salah a dû alors être éclairé davantage sur les intentions «avortées» de Saïd Bouteflika de le mettre au placard et de décider avec Toufik d’«un changement dans la continuité». Impliqué totalement dans l’émergence d’un puissant pouvoir militaire manipulant des personnels politiques dociles et disciplinés, le général à la retraite Khaled Nezzar a longtemps été le centre agissant d’un cabinet «noir» qui décidait de «l’avenir de l’Algérie» dans les périodes les plus sombres et les plus complexes de son histoire. En ayant présidé au début des années 90, le HCE (Haut comité d’Etat) pour «céder» la place à Liamine Zeroual, un militaire reconverti en civil, Nezzar a traîné, pendant longtemps, les lourdes accusations qui pesaient sur le clan des «Janviéristes», les hauts gradés de l’armée qui ont décidé de l’arrêt du processus électoral de 1991. Il a fait, dans ce sens, l’objet de plaintes même à l’étranger, ce qui l’avait obligé à quitter la France à partir de l’aéroport militaire du Bourget, sur intervention de Bouteflika auprès des autorités françaises.
Un retour «sain et sauf» au pays qu’il lui devait et qui l’a sauvé d’un procès devant des instances internationales. Nezzar n’a jamais été en odeur de sainteté avec les Bouteflika. Il l’a toujours montré. L’on dit que « son témoignage», hier, devant le juge d’instruction militaire a enfoncé Saïd Bouteflika. Mais il n’est pas dit qu’il a fait de même à l’égard de l’ex-patron du DRS.
Les clans diffèrent par les objectifs et par les cibles qu’ils se fixent d’atteindre. «Nous ne voulons pas entrer dans la guerre des clans, c’est ce que nous avons dit au sein même de la présidence ( ), nous savions que les guerres de clans vont détruire le pays», disait le président du MSP, Abderrezak Makri au forum d’El Moudjahid, du lundi dernier.
La guerre des clans de Ghediri à Nezzar
Propos qui ne souffrent d’aucune ambiguïté sur une guerre des clans qui, de sournoise en été 2018, est déclarée depuis le 22 février dernier. Makri expliquait, lundi, comment et pourquoi a-t-il répondu à l’invitation d’il y a quelques mois de la présidence de la République «une institution de l’Etat protégée par l’institution militaire» a-t-il précisé, à l’ouverture d’un dialogue politique pour une conférence nationale. La où les guerres de clans, Makri, comme tant d’autres personnalités politiques, civiles et militaires, en avaient senti le spectre. Premier indice de taille à ce qui allait enclencher une réelle guerre de tranchées, l’apparition publique du général à la retraite Ali Ghediri. Exécutant d’ordres «sous les drapeaux» pendant près de 40 ans, et mis à la retraite depuis près de 10 ans, le nouveau acteur militaro-politique, faut-il le rappeler, avait défrayé la chronique par «ses contributions» dans les médias et sa candidature à l’élection (annulée) du 18 avril dernier.
Les choses sont allées très vite pour un personnage qui avait travaillé longtemps dans les casernes pour les superviser, quelque temps, des hauts des Tagarins de son poste de directeur central des personnels. Avant même que Ghediri n’apparaisse à la lumière du jour, le richissime homme d’affaires Issad Rebrab disait à un responsable que nous avons rencontré, ces derniers temps, qu’ «il n’y aura pas de 5ème mandat». Cette certitude, Rebrab l’a exprimée à un moment où tous les partis, organisations, associations socioprofessionnelles, satellites du pouvoir, opportunistes d’avant février dernier, prenaient position pour la campagne électorale. Ces rappels – le rappel profite aux Croyants- sont pour recentrer des éléments qui, aujourd’hui, apparaissent clairement comme étant les facteurs témoins de la guerre actuelle des clans.
En qualifiant Ghediri de «général bavard» dès «ses» premières contributions écrites, le chef d’état-major de l’ANP sentait le vent tourner en sa défaveur. Beaucoup d’autres «observateurs» s’étaient depuis, prononcés sur le comment du pourquoi de l’apparition du phénomène Ghediri. Le soutien « indéfectible sonnant et trébuchant de Rebrab, à ce candidat, à la candidature «hors catégorie » a été la carte maîtresse d’un scénario dont l’acte I a été le «hirak» apparu le 22 février dernier. En janvier dernier, des voix proches de Rebrab, de milieux opposants, de personnalités tapies dans l’ombre, comptées sur plus «enfoui», le général Toufik, l’ex patron du DRS, susurraient à ceux qui voulaient les entendre que «Bouteflika est fini, il ne passera pas.»
«Des contre-attaques sont attendues»
Aujourd’hui que les choses se sont passées comme ils les avaient prédites, ils font part de leur crainte de voir Gaïd Salah changer une oligarchie par une autre. Son insistance sur la tenue de la Présidentielle, le 4 juillet dernier, sème en eux le doute que le général de corps d’armée, – si ce n’est pas lui puisqu’il a eu à dire par le passé et pourquoi pas moi ? ! – a un candidat parmi les 70 qui ont, selon le ministère de l’Intérieur, déposé leur lettre d’intention à la candidature pour les prochaines élections présidentielles, loin des caméras, des micros et des plumes. «Un favori parmi la dizaine qu’on dit déjà prête pour jouer le jeu », pensent des observateurs qui rappellent encore une fois que Abdelaziz Belaïd reste le plus indiqué. «Belaïd mange dans la main du pouvoir depuis qu’il avait 16 ans», nous dit à ce propos un ancien responsable en rappelant les longs passages, à l’UNJA et son office Nedjma, du président, du front Al Moustakbal, un parti né des entrailles du FLN sur décision du clan Bouteflika.
En étant candidat à l’élection (annulée) du 18 avril dernier, Belaïd avait tourné rapidement casaque contre Bouteflika pour soutenir, en mars dernier, dans une conférence de presse qu’il voulait «mettre fin au système politique actuel». Le système actuel, Gaïd Salah est en train de le démanteler – à sa manière- en faisant convoquer par la justice civile et militaire tous ceux ou celles qu’il pense être partie prenante dans la projection de sa fin de règne. Le général de corps d’armée connaît bien le système et les effets de ses pairs militaires sur son fonctionnement et sa ténacité à se régénérer. Lui non plus ne doit pas avoir de sympathie pour Nezzar, «le général qui ne lui a jamais accordé une quelconque considération», dit-on. La scène politique nationale grouille d’événements et de rebondissements médiatiques. Les clans s’affrontent « entre les lignes» et au-delà, par des déclarations incendiaires, les uns contre les autres.
Gaïd Salah d’une part et le clan Toufik et ses réseaux, d’autre part, comptent gagner la guerre par l’usure. Le chef d’état-major a certainement remarqué que le «hirak» s’essouffle un peu mais se radicalise contre lui. Bien que silencieux depuis plusieurs jours, il continue de régler des comptes par la voie de la justice. «Des contre-attaques sont attendues des deux clans, dans peu de temps,» pensent des responsables inquiets de ce qui risque de se passer d’ici au 9 juillet, date de la fin des 90 jours constitutionnels de Bensalah.