Les fantasmes de l’extrême-droite sur les prénoms des bébés belges

Les fantasmes de l’extrême-droite sur les prénoms des bébés belges

Plusieurs sites d’extrême-droite ont relayé ces derniers jours une étude sur les prénoms des bébés nés à Bruxelles en 2014, y voyant la preuve d’un « grand remplacement ». Avec beaucoup de mauvaise foi.

Ces bébés portent des prénoms qui agacent l’extrême-droite. Plusieurs sites proches de la mouvance identitaire ont relayé ces derniers jours un « classement » des prénoms les plus donnés aux des nouveaux nés en Belgique en 2014. Dans leur viseur: les petits noms « à consonances étrangères », trop répandus à leur goût à Bruxelles. Sauf qu’ils présentent les faits de façon partielle et partiale. Explications.

Des données incomplètes

Adam, Imran et Mohamed chez les garçons; Lina, Malak et Sarah chez les filles. Voilà les trois prénoms les plus répandus chez les nouveaux nés à Bruxelles au premier semestre 2014, selon un article de Sudinfo.be publié le 30 octobre dernier.

En France, la blogosphère d’extrême-droite relaye cette information, censée accréditer ses idées. Voir des prénoms dits « à consonances étrangères » émerger à Bruxelles serait, selon des sites de la mouvance, une matérialisation concrète du « grand remplacement ». Une théorie de l’écrivain Renaud Camus, proche du FN, selon laquelle le peuple français « de souche » est en passe d’être remplacé, principalement par des immigrés venus du Maghreb ou d’Afrique.

Problème: ces sites extrapolent sur la base de données incomplètes. Sudinfo.be ne donne en effet que le « top 10 » des prénoms les plus utilisés. Le site nous explique ce mardi avoir téléphoné aux échevins (adjoints au maire) des villes concernées (Bruxelles, Charleroi, Mons, Liège), qui lui a donc fourni ces listes. La rédaction ne dispose pas, en revanche, de statistiques détaillées.

Une réalité plus contrastée

Pour cela, il faut donc remonter aux chiffres officiels du gouvernement belge. Joint par L’Express, le service public fédéral (l’équivalent d’un ministère en France) de l’Economie belge précise n’avoir pas publié de données pour 2013 et 2014 à ce jour. Les seuls chiffres complets pour l’ensemble de la Belgique disponibles actuellement sont donc ceux de 2012.

Leur lecture permet de nuancer l’interprétation des militants identitaires.

Chez les garçons, Adam (250 nouveaux nés sur l’année) et Mohamed (220) sont bien les prénoms les plus donnés dans la région de Bruxelles. Mais ces chiffres sont à rapporter sur un ensemble bien plus important 11 276 naissances (filles et garçons confondus), pour pas moins de 752 prénoms. Présenté de la sorte, le constat est moins spectaculaire.

On remarque également que de nombreux prénoms « à consonances occidentales » sont également représentés dans le haut du tableau, contrairement à ce que les tableaux publiés par SudInfo.be pouvaient laisser entendre. C’est le cas de Gabriel, David ou Nathan chez les garçons ou encore de Sarah, Louise ou Léa chez les filles.

« La diversité est notre force »

Les arguments de l’extrême-droite sont d’autant plus approximatifs que ces statistiques ne donnent aucune information sur les parents des nouveaux-nés. Impossible, donc de savoir s’il s’agit d’enfants de couples qui ont la nationalité belge ou non, ou encore de connaître leur durée de résidence dans le pays.

Au-delà des chiffres, de nombreux internautes se sont d’ailleurs indignés face aux commentaires racistes qui ont accompagné la diffusion de ces informations. « Je suis belge et pourtant ma fille s’appelle Anissa », rétorque Allisson dans les commentaires de Sudinfo.be. « La diversité est notre force, pas une faiblesse », plaide un autre.

Par ailleurs, la région de Bruxelles, où l’on compte 11% des naissances du pays, est loin d’être représentative du reste de la Belgique. Elle fait au contraire figure d’exception. Plus d’un tiers des résidents de la ville y sont étrangers (33,8% à l’heure actuelle, selon Eurostat), avec d’importantes communautés espagnole, italienne, portugaise, turque, marocain ou encore africaine. C’est quatre fois plus que dans la plupart des capitales européennes.

Ce phénomène vient de loin: en 2014 a par exemple été célébré le cinquantenaire des accords d’immigration de travailleurs venus du Maroc et de Turquie en Belgique. Cette réalité n’a donc rien de nouveau, mais l’extrême-droite française tente aujourd’hui de l’exploiter, non sans mauvaise foi.