Les Femmes d’Alger, et les maîtres de la peinture

Les Femmes d’Alger, et les maîtres de la peinture

En 1955, Picasso exécute quinze peintures et de multiples dessins préparatoires, d’après le tableau de Delacroix, Femmes d’Alger dans leur appartement. Ce dernier a en effet eu la chance de pouvoir visiter à Alger une maison musulmane, et fut très impressionné par les femmes arabes : «C’est beau ! C’est comme le temps d’Homère», écrit-il dans son journal.

 De Delacroix à Picasso

Tout au long de sa vie, depuis son apprentissage académique aux dernières années de sa vie, en passant par la révolution cubiste etfemme la période néoclassique, Picasso se nourrit de la peinture du passé. Dans les années cinquante, il peint trois grandes séries de variations d’après des chefs-d’oeuvre du passé, et parmi lesquelles « les Femmes d’Alger » d’après, la célèbre toile deDelacroix en 1954. Treize années de sa vie sont dominées par ces variations, qui comportent plus de 250 toiles, sans compter les innombrables dessins et gravures.

En 1955, Picasso exécute quinze peintures et de multiples dessins préparatoires, d’après le tableau de Delacroix, Femmes d’Alger dans leur appartement. Ce dernier a en effet eu la chance de pouvoir visiter à Alger une maison musulmane, et fut très impressionné par les femmes arabes : « C’est beau ! C’est comme le temps d’Homère » écrit-il dans son journal.

Les motivations du choix de Delacroix et des Femmes d’Alger, par Picasso sont multiples : elles vont de la ressemblance fortuite de Jacqueline, sa nouvelle compagne avec la femme au narguilé assise de profil, au mythe d’un orientalisme sensuel et voluptueux, en passant par des concordances historiques, comme la mort récente de Matisse en novembre 55 – avec un hommage à la couleur – au début de l’insurrection algérienne.

Picasso, en fait, pense à Delacroix depuis longtemps. Dès 1940, il dessine dans un carnet à Royan les personnages du tableau, la composition, et reprend même la palette colorée du peintre. Puis, en juin 1954, dans un autre carnet, il fait une copie fidèle de l’Autoportrait de Delacroix du musée du Louvre. Lorsqu’en 1947, Georges Salles lui propose de montrer un choix de ses œuvres dans la Grande Galerie, il les présentera à coté des Delacroix. De Delacroix à Picasso Au fil des études, Picasso change le nombre des personnages, leurs positions, renversant sur le dos la femme assise pour en faire un nu couché et retrouvant ainsi un thème qui lui est familier, celui de la dormeuse et de la femme assise. Tantôt les formes féminines sont toutes en rondeur et arabesque, tantôt il contraint les corps dans des formes rigoureuses et anguleuses. Les deux dernières versions sont très opposées : l’une est en grisaille géométrique et stylisée, l’autre déborde de couleurs. Les harmonies chatoyantes de rouge, bleu et jaune vif sont une concession à l’Orient et surtout un hommage à Matisse. « Il m’a légué ses odalisques » dit-il à Daniel Henry Kahnweiler, « en somme pourquoi est-ce que l’on n’hériterait pas de ses amis ». Picasso s’en donne à cœur joie, d’une scène d’intérieur secrète et langoureuse, il fait une scène dynamique d’un érotisme agressif et joyeux.

La femme du fond se transforme parfois en phallus et se confond avec l’arrondi de la fenêtre mauresque. L’unité, dans cette profusion, est créée par le quadrillage décoratif de céramiques dans lequel s’insèrent les personnages. Cette scène d’intérieur, proche du voyeurisme avec ses femmes nues et le rideau rappelle Le Harem, 1906 et les Demoiselles d’Avignon, 1907. Elle permet à l’artiste d’étudier l’intégration d’une figure à un fond décoratif. Picasso expérimente sur un motif donné diverses écritures picturales et tire les leçons du simultanéisme issu du cubisme, qui présente les corps à fois de face et de profil.Le musée du Louvre présente dans le Salon Denon, en regard des Femmes d’Alger de Delacroix, trois petits tableaux (provenant des musées d’Hartford, San Francisco et de la Nahmad Gallery de Londres), quatre grandes compositions (Nahmad Gallery et collections particulières), deux Jacqueline en costume turc (Centre Pompidou et collection particulière) ainsi qu’une dizaine de dessins préparatoires et deux carnets (musée Picasso, Paris) .