Les gendarmes sont partout mais les héros sont à Kolea

Les gendarmes sont partout mais les héros sont à Kolea

Dans un cafĂ© populaire de Kolea, un gendarme, qui est prĂ©sent en civil, s’Ă©nerve parce que la connexion Wifi du cafĂ© est beaucoup trop lente. Il trouve le parfait bouc Ă©missaire pour laisser exploser sa colère: un autre client, un Ă©tranger Ă  la peau noire, assis comme tous les autres pour siroter un cafĂ© et utiliser internet. Le gendarme l’insulte devant tous avant d’en venir aux mains: il frappe le jeune Noir, parce qu’il est, vocifère-t-il, « la cause de la lenteur de la connexion internet ».

On n’en saura pas plus sur l’identitĂ© ou la nationalitĂ© de la victime qui a vite fait de complètement disparaitre après les Ă©vĂ©nements qui ont suivi. Les faits sont survenus vendredi 10 mars 2017 dans la CitĂ© des 350 Logements Ă  Kolea. Ils sont rapportĂ©s par Abdou Semmar, le rĂ©dacteur en chef du site d’informations AlgĂ©rie Focus, joint par tĂ©lĂ©phone hier.

Abdou Semmar a consacré, la semaine dernière, deux articles à cette affaire et affirme avoir tenté à plusieurs reprises de contacter le commandement de la gendarmerie nationale sans réussir à les joindre.

Dans le petit cafĂ© de Kolea, en cette fin de journĂ©e du vendredi 10 mars, la scène d’agression raciste n’a pas Ă©tĂ© digĂ©rĂ©e par un autre jeune homme prĂ©sent, un AlgĂ©rien habitant du quartier, qui s’est interposĂ© pour empĂŞcher le gendarme de violenter le jeune Ă©tranger. Pris Ă  partie, le gendarme s’est senti humiliĂ©, a quittĂ© les lieux en jurant vengeance. Il est revenu plus tard, dans la mĂŞme soirĂ©e, avec une quinzaine d’autres gendarmes pour châtier ceux qui ont osĂ© s’opposer Ă  son comportement haineux, raciste, inadmissible. Voici ce que les habitants de la CitĂ© des 350 Logements de Kolea ont racontĂ© Ă  notre confrère d’AlgĂ©rie Focus:

« Plus de 15 gendarmes se dĂ©placent dans leurs 4X4 et foncent manu militari sur les jeunes du quartier pour les bastonner et les rĂ©primer. Plus de 7 personnes ont Ă©tĂ© interpellĂ©es et tabassĂ©es au niveau de la brigade de la gendarmerie. M. K, l’un des jeunes de la CitĂ© 350 Logements, a Ă©tĂ© gravement malmenĂ© et humiliĂ© par les gendarmes avant d’ĂŞtre relâchĂ©. « C’est ce jeune qui est intervenu pour empĂŞcher le gendarme en civil de rouer de coups le ressortissant subsaharien », rapporte notre journaliste prĂ©sent sur les lieux.

D’autres habitants de la CitĂ© ont Ă©tĂ© brutalisĂ©s sous les yeux de leurs familles Ă  l’image de M. A et S. K.

Ces reprĂ©sailles scandaleuses ont choquĂ© les habitants du quartier et de toute la ville et ont crĂ©Ă© une Ă©norme tension entre la population et la gendarmerie. Une pĂ©tition adressĂ©e au procureur de la RĂ©publique a vite commencĂ© Ă  circuler et les familles des jeunes gens qui ont Ă©tĂ© passĂ©s Ă  tabac ont dĂ©clarĂ© leur intention de porter plainte. Ce qui, selon Abdou Semmar, a très vite suscitĂ© l’inquiĂ©tude du commandant de la brigade de gendarmerie de Kolea qui, semble-t-il, n’avait pas mĂŞme Ă©tĂ© informĂ© par ses hommes de leur intention d’aller faire une descente punitive contre de paisibles citoyens.

Le commandant de la brigade a donc vite fait de convoquer les trois jeunes hommes qui ont Ă©tĂ© les victimes principales de la vendetta des gendarmes pour leur demander ainsi qu’Ă  leurs familles de ne pas porter plainte.

« Il s’est excusĂ© et a dĂ©clarĂ© aux victimes et Ă  leurs familles que les gendarmes responsables de ces brutalitĂ©s seraient punis et qu’ils seraient rĂ©affectĂ©s vers d’autres zones. Tout ce qu’il veut c’est que l’on ne parle plus de cette affaire », affirme Abdou Semmar pour qui c’est lĂ  « une manière de ne pas rĂ©gler un problème très grave et très ancrĂ© au niveau de la gendarmerie: le racisme des gendarmes ».

Pour le journaliste et rĂ©dacteur en chef d’AlgĂ©rie Focus, il est urgent que la gendarmerie algĂ©rienne confronte le comportement raciste de ses hommes: « J’ai personnellement appelĂ© le ministère de la DĂ©fense pour leur faire part de mes inquiĂ©tudes en tant que citoyen, je leur ai dit que le comportement raciste des gendarmes algĂ©riens est intolĂ©rable, c’est complètement indigne de l’histoire de l’AlgĂ©rie », ajoute Abdou Semmar. « C’est un tabou qu’il faut briser ».

Il rappelle Ă  cet effet d’autres Ă©pisodes, survenus il n’y a pas si longtemps, tout aussi sinistres oĂą la gendarmerie a refusĂ© d’enregistrer la plainte d’une femme camerounaise qui avait Ă©tĂ© brutalisĂ©e et violĂ©e par un groupe d’AlgĂ©riens dans l’ouest du pays, ou celui de deux Maliennes qui avaient subi le mĂŞme terrible sort et qui se sont vues refuser le droit de porter plainte par les gendarmes.

La cellule de communication du ministère de la DĂ©fense a dĂ»ment pris note des « inquiĂ©tudes » de notre confrère et lui a promis qu’il recevrait une rĂ©ponse prochainement.

En attendant, Ă  Kolea, oĂą le comportement ahurissant des gendarmes a rouvert de vieilles plaies, celles des annĂ©es 90. « Vous allez revivre le couvre-feu des annĂ©es 90 », s’est Ă©criĂ© un de ces gendarmes rongĂ©s par leur soif de vengeance, selon la mĂŞme source. La colère des habitants a Ă©tĂ© mise en sourdine par les mĂ©diations efficaces de plusieurs notables qui sont intervenus en faveur du commandant de la gendarmerie. « C’est le wait and see, tout le monde attend pour voir s’il va y avoir de vraies sanctions contre les 15 gendarmes qui ont menĂ© cette vendetta », dit encore Abdou Semmar.

La maladie du racisme dont souffrent les reprĂ©sentants de l’ordre en AlgĂ©rie est malheureusement une lèpre qui sĂ©vit bien au-delĂ  des casernes et des commissariats et nombreux sont les AlgĂ©riens qui se sentent libres d’insulter ou de s’en prendre publiquement Ă  ceux qui ont la peau noire, toute honte bue et sans susciter la rĂ©probation. C’est pour cela qu’il est urgent de non seulement rendre justice aux jeunes gens de Kolea, mais aussi de leur faire honneur, de les remercier car ils sont des hĂ©ros, des vrais. Ils se sont levĂ©s pour dĂ©fendre l’Ă©tranger contre le racisme odieux d’un compatriote et contre la violence et l’abus de ceux qui pensent qu’un uniforme leur ouvre les portes de l’impunitĂ©.

Et alors que le racisme de nos frères algĂ©riens en uniforme ou sans est une source de honte sans bornes, le comportement des jeunes de Kolea qui ont dĂ©fendu leur frère noir vendredi dernier nous rend Ă  tous ne serait-ce qu’un soupçon de la dignitĂ© piĂ©tinĂ©e de l’histoire glorieuse de notre pays