L’Aïd El Fitr 2016 n’aura finalement pas dérogé aux habitudes. Ni les instructions du ministère du Commerce assorties de mesures de représailles, ni l’appel des associations de protection des consommateurs, ni celui de l’UGCAA n’ont eu un effet persuasif sur la majorité des commerçants ayant fermement décidé de fermer boutique durant les jours de fête.
Que ce soit au centre ou à la périphérie, les rues offraient en les deux jours de célébration de l’Aïd El Fitr un visage désolant fait de rideaux baissés. En dehors des cafés populaires et de quelques épiceries, les commerces de grande consommation étaient fermés. Déjà dans beaucoup de quartiers notamment des hauteurs de la capitale, la fermeture a commencé la veille et même deux jours avant l’Aïd. On peut citer, à titre d’exemple, Ben Aknoun,
El Biar et Bir Mourad Raïs où les marchands de volaille ont bouclé l’avant-veille sous prétexte de rupture de stock. Ironie du sort qui revient à chaque fête religieuse, la majorité des fournisseurs, livreurs et personnel d’abattage et de plumage est issue de l’intérieur du pays.
Ce qui est valable pour la boulangerie et la restauration, pour ne citer que ces activités. S’il est tout à fait normal que ces professionnels aillent passer la fête avec leurs familles, il est navrant toutefois de constater les conséquences que cela entraîne sur la vie des consommateurs en général durant cette période. Les scènes de ces pères de famille dépités faisant une chaîne interminable pour deux sachets de lait et quelques baguettes de pain se répètent malheureusement à chaque évènement.
Mais la raison arguée à l’origine des crises pose du coup la problématique de la main-d’œuvre dans beaucoup de secteurs d’activité mais ne semble pourtant pas inquiéter pour autant le gouvernement ou du moins les parties concernées pour une solution adéquate et définitive. A chaque fête religieuse, le problème revient avec son lot de produits rares à dénicher : lait, pain, viandes, légumes, sans parler du carburant. Cette situation récurrente fait qu’une fièvre acheteuse est déclenchée la dernière semaine précédant les fêtes. On pourra toujours remettre sur le tapis la mauvaise culture du consommateur.
Stock de guerre
La frénésie qui s’empare des consommateurs n’est en quelques sorte qu’une réaction en rapport avec ladite situation. Les dépassements en pareilles circonstances permettent à la boulimie de valoir le titre de huitième péché capital.
Certains citoyens ont trouvé la solution depuis longtemps, comme c’est le cas de ce père de famille habitant le quartier de Saïd Hamdine. Il avoue constituer un stock de guerre qui met sa famille à l’abri d’une quelconque pénurie durant les jours que dure la grande «fermeture». «Pour cela, dira-t-il, je consacre la dernière semaine du Ramadhan à congeler pain, lait, viande et légumes. Même l’essence pour ma voiture, j’en mets en réserve.
Cette prévention me permet d’éviter les chaînes éreintantes et de tenir jusqu’à ce que tout rentre dans l’ordre.» Un comportement à ne pas trop encourager certes car n’allant pas de pair avec nos traditions ni les préceptes de notre religion mais pour ce citoyen, la méthode machiavélique rapporte à plus d’un titre.
On ne peut en effet blâmer quelqu’un qui prend ses devants devant une situation que l’Etat n’arrive pas à réguler. On peut toujours parler de représailles à coups de chiffres à l’encontre de commerçants réfractaires mais les mesures ne semblent pas à la hauteur de la dissuasion. Et puis il y a les intouchables, ces exclus de la permanence durant les fêtes religieuses.
On en compte des centaines à Alger qui n’ont jamais reçu le moindre contrôle, encore moins un arrêté de fermeture comme le prévoit la réglementation. Le témoignage de ce gérant d’un commerce à Kouba en dit long sur cette frange hors-la-loi en bonne et due forme. Il raconte avoir été sanctionné d’un mois de fermeture pour n’avoir pas ouvert son magasin lors du passage de l’équipe de contrôle à… 7h30 du matin, pendant qu’il rendait visite à sa mère. «A 7h30, vous vous rendez compte ! A quelques mètres de mon commerce, se trouve une supérette qui n’assure jamais de permanence les jours de fête. Tout simplement, le propriétaire est le fils d’une grosse légume», lâche-t-il déçu par la pratique du deux poids et deux mesures.
A défaut donc d’appliquer la réglementation sans exception, ne faut-il pas revoir en l’approvisionnement en aval et obliger les marchés de gros à faire la permanence et astreindre ainsi les commerçants au détail à assurer un minimum de service sachant que tous les citoyens n’ont pas les moyens de constituer une réserve de plusieurs jours. Sous d’autres cieux où la même frénésie des achats s’exprime durant les fêtes religieuses, le problème d’approvisionnement ne se pose pas. Le secret ? La présence de l’Etat.