Les juges et les procureurs y recourent systématiquement : Usage abusif du mandat de dépôt

Les juges et les procureurs y recourent systématiquement : Usage abusif du mandat de dépôt

Le recours systématique à la détention préventive “cache une arrière-pensée politique”, estime un avocat qui y voit un viol du code de procédure pénale et une grave atteinte à la Constitution.

Longtemps dénoncée par les juristes, notamment les avocats, la détention préventive à laquelle recourent souvent les juges d’instruction et les procureurs pose une réelle problématique du respect des lois. Ainsi, conçue pourtant pour être une exception, la détention préventive est devenue, contrairement à ce que précise le code de procédure pénale, une exceptionnelle règle.

Depuis le début du mouvement populaire, des dizaines de citoyens ont été arrêtés et jetés en prison. Les procureurs et les juges d’instructions devant lesquels ces dizaines de manifestants ont comparu n’ont pas hésité à les placer en détention préventive. La mise sous mandat de dépôt est devenue ainsi la règle alors que la loi en a fait, pourtant, une exception. Selon l’article 123 du code de procédure pénale, “la détention provisoire est une mesure exceptionnelle et ne peut être ordonnée ou maintenue (…) que si les obligations de contrôle judiciaire sont insuffisantes”. C’est en ces termes que la loi définit les cas dans lesquels un prévenu est mis en détention préventive. Il est clairement souligné, entre autres, dans le même article, que “lorsque l’inculpé ne possède pas de domicile fixe ou ne présente pas de garanties suffisantes de représentation devant la justice, ou que les faits sont extrêmement graves”, ou bien “lorsque la détention provisoire est l’unique moyen de conserver les preuves ou les indices matériels ou d’empêcher soit une pression sur les témoins ou les victimes, soit une concertation entre inculpés et complices risquant d’entraver la manifestation de la vérité”. Le même article précise, en outre, que le procureur ou le juge d’instruction peut recourir à la détention préventive lorsqu’elle “est nécessaire pour protéger l’inculpé, pour mettre fin à l’infraction ou prévenir son renouvellement”. L’article 124 du même code énonce qu’en matière de délit, “lorsque le maximum de la peine prévue par la loi est inférieur ou égal à 3 ans d’emprisonnement, l’inculpé domicilié en Algérie ne peut être détenu, sauf dans les cas où l’infraction a entraîné mort d’homme ou causé un trouble manifeste à l’ordre public. Dans ce cas, la détention provisoire ne peut excéder une durée d’un mois non renouvelable”.

Toutefois, toutes les mesures prononcées par la justice contre les manifestants, notamment ceux pour port du drapeau amazigh et ceux du 30e vendredi, n’ont aucun lien avec les infractions pouvant conduire à une détention préventive. Au contraire, elles présentent toutes les garanties nécessaires pour qu’ils bénéficient d’autres mesures, comme la liberté provisoire, le contrôle judiciaire…
Me Abdelghani Badi, avocat et militant politique, estime que le recours systématique à la détention préventive “cache une arrière-pensée politique”. Pour lui, cet abus de la détention préventive n’est pas uniquement un viol du code de procédure pénale, mais une grave atteinte à la Constitution. L’avocat considère que cet abus “est une mise en péril des libertés”. “Nous sommes en état d’alerte non déclarée”, a-t-il souligné. Il a expliqué que la loi est claire sur la détention préventive, mais cet abus, notamment contre les manifestants “répond à un impératif politique”.

L’avocat a rappelé les cas du détenu atteint d’un cancer, Billal Ziane, du vieux de plus de 70 ans, Bouheraoua Sid-Ahmed et d’un jeune qui devait se marier et dont l’arrestation l’en a empêché. Il a ajouté également que les accusations portées contre les manifestants, à savoir l’atteinte à l’unité nationale et au moral des troupes “sont anticonstitutionnelles”. Il s’est interrogé sur l’objectif du dégel de ces articles conçus dans les années 60. “Un article de loi ne doit pas être flexible pour être appliqué à tout-va”, a-t-il dit, ajoutant que la situation actuelle “risque de replonger le pays dans les années où les accusations étaient collées à des individus sans aucune référence à la loi”.

Mohamed Mouloudj