Le déroulement et la finalité de ces interventions sont loin de faire l’unanimité. Des représentants de la communauté musulmane n’y voient qu’un coup médiatique. Pour les experts, le gouvernement se trompe de cible.
Le gouvernement français a-t-il raison de viser les lieux de culte musulmans dans sa guerre contre le terrorisme ? En affirmant avoir découvert des munitions et des vidéos de propagande salafiste dans la mosquée de Lagny-sur-Seine, dans les environs de Paris, le 2 décembre dernier, il semblait enfin détenir la preuve qui justifie des perquisitions menées, jusque-là, uniquement sur la base de “soupçons de radicalisation islamiste”. La plupart des établissements visités par les services de police n’ont d’ailleurs fait l’objet d’aucune poursuite.
Les motivations qui ont conduit à la fermeture de deux lieux de culte (en plus de celui de Lagny-sur-Seine) semblent elles-mêmes assez confuses et n’établissent pas de lien direct avec une quelconque activité subversive. À Genevilliers, dans le nord de l’Ile de France, des scellés ont été mis sur la porte de la mosquée du Port en l’absence d’indices probants qui prouvent que le lieu est bel est bien un “point de ralliement majeur de la mouvance islamiste”, comme il a été établi par les autorités. Le maire de la ville, Patrice Leclerc confirme : “La police n’a pas trouvé d’élément en lien avec le terrorisme. Il s’agit plus de petites bidouilles, d’argent dont on ne connaît pas l’origine, de salariés pas déclarés.” À Arbresle, près de Lyon, des présomptions et pas des faits ont également prévalu dans la décision de fermeture du lieu de culte local, qui représente selon la préfecture “un risque de radicalisation des plus jeunes”. Le maire a constaté, quant à lui, l’augmentation du nombre d’hommes en djellaba et de femmes voilées dans sa ville.
Or, pour beaucoup, ce genre de jugements aléatoires et stigmatisant faussent complètement la démarche du gouvernement, en matière de lutte contre le radicalisme dans les mosquées.
“Les autorités ratissent extrêmement large, sur la base de soupçons policiers largement tributaires des services du renseignement territorial, qui ne sont pas des spécialistes du fait religieux. S’il s’agit de trouver des terroristes ou ceux qui en font l’apologie, on tape à côté”, a expliqué tout récemment, Alexandre Piettre, du Groupe sociétés, religions, laïcités de l’École pratique des hautes études de Paris, dans les colonnes du quotidien Le Monde. Selon ce spécialiste de l’islam, ce ne sont pas les mosquées qui fabriquent les terroristes, estimant que “la violence djihadiste à la mode de Daech vient souvent compléter des trajectoires dans la délinquance. Les référents religieux n’y jouent qu’un rôle d’accessoire”.
Cette opinion est partagée par d’autres experts qui pensent que l’orthodoxie religieuse ne constitue pas forcément la voie à un radicalisme violent. Samir Amghar, sociologue et enseignant à l’université libre de Bruxelles, évoque “une stratégie d’affichage qui sert une lecture très particulière de la radicalisation”. Selon lui, les prêches les plus extrémistes ne comportent pas systématiquement des appels au djihad. L’affaire de l’imam de Brest, ciblé par une double perquisition dans sa mosquée et à son domicile le 20 novembre dernier, est symptomatique de cette confusion. La préfecture a avoué s’être appuyée sur des vidéos du prêcheur diffusées sur Youtube (où il a notamment qualifié la musique de haram) pour le considérer comme un fondamentaliste et agir en conséquence.
Or, les séquences en question ne sont pas tout à fait récentes. Elles ont été diffusées bien avant les attentats de Paris et avaient conduit en octobre dernier des groupuscules d’extrême droite en Bretagne à demander la dissolution de la mosquée. Mais à ce moment-là, les services préfectoraux n’avaient pas cru utile d’intervenir.
À Lagny-sur-Marne, le maire a également attendu que la mosquée soit close pour confier qu’il avait des soupçons sur ses activités.
Pourtant, son avis ne semble pas partagé par tous. D’autres responsables de la municipalité remettent en cause les raisons invoquées pour la fermeture de l’établissement.
Les munitions de kalachnikov auraient été en fait trouvées à proximité de la maison d’un habitué de la mosquée. Les vidéos de propagande et un revolver chez d’autres. Dans cette affaire, les autorités ont également fait valoir l’existence d’une école coranique clandestine alors qu’elle figurait dans les plans de construction parfaitement validés. Le procureur lui-même s’est abstenu de confirmer tous les faits cités dans le bilan de la perquisition, révélant qu’une seule poursuite a été engagée. Elle vise le propriétaire du revolver, accusé de détention illégale d’arme à feu. Dans la localité, les fidèles qui n’ont pas cru une seconde aux résultats de la perquisition, sont révoltés. Sur la radio communautaire BRF, certains ont évoqué un coup médiatique. Privés de leur mosquée, ils se réunissent désormais sur un terrain de hand-ball pour prier.
À Aubervilliers, au nord de la région parisienne, les fidèles gardent encore à l’esprit l’état chaotique dans lequel le lieu de culte “la Fraternité” a été trouvé après la perquisition de la police le 15 novembre. Des photos publiées sur les réseaux sociaux illustrent une intervention musclée. Pour calmer les esprits, le ministre de l’Intérieur, Bernard Caseneuve, vient d’adresser un courrier aux préfets leur demandant d’effectuer des perquisitions dans “le respect du droit” des personnes physiques et morales concernées. Pour autant, il a rappelé que ce n’est pas l’état d’urgence qui constitue une menace mais le terrorisme. “De telles mesures de fermeture de mosquées pour motif de radicalisation n’avaient jamais été prises auparavant, par aucun gouvernement, y compris en 2005 pendant l’état d’urgence”, a affirmé le locataire de la place Beauveau, assurant que l’État sera d’une fermeté totale contre tous ceux qui prêchent la haine en France.
Environ une vingtaine de lieux de culte musulmans ont été fouillés par les services de police depuis le début de l’état d’urgence. Plus d’une quarantaine d’imams expulsés depuis début 2015. En réaction aux dépassements signalés, des islamologues, des enseignants et d’autres associatifs ont lancé, à la fin novembre, un appel intitulé “Encadrer l’état d’urgence, c’est urgent !”.
S. L.-