C’est à Rachgoun qu’on décide de jeter l’ancre quand le soir d’automne étend ses longs tentacules pourpres sur la plage et que le soleil s’apprête à tirer sa révérence.
Au début, ce n’était qu’une escale. Quoi de plus normal pour des voyageurs harassés que de jeter l’ancre, un instant, celui de casser la graine, siroter un café et reprendre la route … Nous avons donc emprunté la bretelle qui va à Aïn Témouchent, question de faire une courte halte et nous voilà subjugués par la ville qui semble faire la sieste en cet automne qui a volé des pans de chaleur à l’été et qui se complaît à les étaler sur les hommes toujours en bras de chemise malgré l’octobre qui s’est solidement installé. La grande avenue est cernée de part et d’autre par des platanes centenaires et il y a assez de demeures aux façades sculptées pour rappeler qu’elles n’ont pas jeté les armes face au béton et aux hangars qui font office de rez-de-chaussée dans l’écrasante majorité des bâtisses. C’est dans les nouveaux quartiers que l’on trouve ce genre d’architecture typique des années libéralisme lorsque chaque Algérien s’est découvert les vertus du commerce et des locaux à louer.
D’ailleurs, les nouvelles cités qui ceinturent la ville ont, à l’instar de toutes les villes du pays, empiété sur les terres agricoles et Aïn Témouchent, jadis terre de vignobles à perte de vue, est devenue une suite tentaculaire d’immeubles qui s’étendent comme autant de défis hideux à la verdure.
A la périphérie de la ville, les quartiers « arabes » qui façonnent la vieille ville ont gardé authentique leur cachet et on s’y balade comme des lieux de mémoire. Sidi Saïd et Diar el Marhaba constituent les lieux-dits du passé prestigieux de la ville.
Et on y déambule comme dans tous les vieux quartiers de nos villes, avec les mêmes étals de fruits et de légumes, la même ambiance bon enfant, les mêmes vieilles échoppes que tiennent des vieux comme pour défier le temps et ces boutiques rutilantes, ultramodernes qui sentent bon et dans lesquelles la marchandise coûte les yeux de la tête.
Les vieux commerces font, ici et ailleurs, de la résistance comme pour sauver de l’oubli ces petits métiers : cordonnier, dinandier, tailleur et…marchand de bonbons ! On a tous un Ammi Brahim ou Sadek ou Amar, niché dans notre mémoire et qui faisait notre bonheur quand on y courait acheter nos caramels ou nos nougats, dès que nous avions quelques sous en poche.
Celui de Diar el Marhaba s’appelle Ammi Ali et il garde intacts son vieux cache-poussière et sa chéchia rouge, fustigeant l’impatience des bambins et se disputant avec eux comme s’ils avaient son âge. En réalité, c’est lui qui a leur âge et, à force de fréquenter les enfants, le vieux a oublié de vieillir…
En sortant de la vieille ville, on s’approche du douar Gueraba (ex-village du nègre), quartier périphérique à la réputation surfaite comme dans toutes les villes du reste où les quartiers « pauvres » sont affublés de tous les noms d’oiseaux et accablés de tous les maux sociaux. A Annaba, par exemple, le quartier La Colonne est surnommé la « Colombie » en raison du trafic de drogue alors que les plus grosses prises sont souvent effectuées dans les quartiers cossus et des villas de luxe.
La ville a surtout son côté jardin, ses collines, ses vallées, ses plaines verdoyantes à longueur d’année. De plus, elle se situe à une dizaine de kilomètres d’un magnifique littoral qui s’étend sur quelque 80 kilomètres. Ici, les lieux de villégiature s’appellent Rachgoun, Madrid, Beni Saf Terga…s’ouvrant majestueusement sur la Méditerranée.
Durant la haute saison, ces stations balnéaires sont prises d’assaut et des hôtels pieds dans l’eau y louent des grandes chambres avec cuisine équipée et l’on y préparer soi-même ses repas, donnant ainsi à la formule un énorme succès qui se traduit par une véritable déferlante en été.
D’ailleurs, c’est à Rachgoun qu’on décide de jeter l’ancre quand le soir d’automne étend ses longs tentacules pourpres sur la plage et que le soleil s’apprête à tirer sa révérence. Un vent léger et frisquet se lève et le garçon a peine à maintenir la nappe sur la table.
Il y a peu de clients en cette soirée d’octobre et les vacanciers ont depuis longtemps plié bagages. Alors les commerces fonctionnent au ralenti et il y en a qui ont carrément fermé jusqu’à l’été prochain. Seuls une pizzeria, quelques échoppes d’alimentation et un buraliste tiennent encore commerce pour les grappes de promeneurs qui vont jusqu’à parfois défier la mer en folie.
Ce soir, elle est en colère et les vagues effleurent la limite de la terrasse. Seul un vieux couple fait office de clientèle. La pizza est excellente et la soirée s’annonce plutôt orageuse avec les lointains grondements qui déchirent le silence. Pourvu qu’il pleuve sur cette terre séculaire et ses cultures.
C’est que la saison s’annonce bien aride et Aïn Témouchent a soif…
A. A.