Les sept millions de Tunisiens sont appelés aujourd’hui à choisir leur président dans un climat de grande incertitude. Pas moins de 26 candidats de différentes obédiences politiques visent le palais de Carthage. Certains noms se placent déjà comme les favoris d’un scrutin très ouvert : Nabil Karoui, Abdelfattah Mourou, Youcef Chahed, Moncef Marzouki, Abir Moussi, Kais Saied, Abdelkrim Zbidi, Omar Mansour, Mohamed Abboud, Néji Jalloul, Mehdi Jomaa, Abid Briki.
Mais face à un émiettement général, aucune personnalité consensuelle n’est actuellement capable de s’imposer. Au cœur d’une transition politique infinie la Tunisie poste révolution semble toujours se chercher. Le puissant parti Nidaa Tounes, qui avait porté au pouvoir le président Beji Caïd Essebsi en 2014, a depuis volé en éclats. Le parti islamiste Ennahda a perdu de son côté les deux-tiers de son électorat de 2011. Ces deux partis qui ont dirigé le pays au sein de coalitions à rallonge depuis cinq ans ont cédé la place à un paysage politique désarticulé, au sein duquel populistes et nostalgique se sont frayés une place de choix.
Un débat télévisé inédit a mis au prise durant trois soirées consécutives les candidats à la présidentielle durant lesquelles les programmes et les intentions des uns et des autres ont été déclinés aux Tunisiens. Cet exercice médiatique à la veille du vote, jamais vu dans le monde arabe, aura été un grand moment de démocratie même si certains candidats ont déçu. Le nombre de candidats annonce déjà un deuxième tour particulièrement disputé. Deux candidats ont annoncé hier leur désistement en faveur d’un autre, preuve en est que les manœuvres ont déjà commencé.
Un favori en… prison
Ce scrutin est la seconde élection libre dans l’histoire de la Tunisie depuis la révolution qui a éjecté du pouvoir le système Benali et fait rentrer le pays dans une période de reconstruction toujours d’actualité. Parmi les poids lourds de la campagne figure Abdelfattah Mourou. Personnage populaire et premier candidat du parti Ennahdha, il aura un bon coup à jouer. Egalement en tête des sondages figure Nabil Karoui, un des propriétaires de la chaîne de télévision Nessma, homme d’affaires qui a pu séduire l’électorat. À la tête d’une association caritative, il a su engranger l’intérêt des plus pauvres de la population, avides de mieux-être. Il n’a ni programme ni connaissance des dossiers, mais il s’est constitué des réseaux et une base parmi les déshérités, tombés sous son emprise. Son arrestation inattendue le 23 août semble avoir renforcé sa popularité. Youssef Chahed, soupçonné d’être derrière ce coup tordu, a transformé celui qu’on accuse de délinquant économique en victime politique et accru ses chances de l’emporter au second tour.
Le pouvoir du Président en question
Le scrutin présidentiel en Tunisie intervient dans un calendrier non prévu, imposé il est vrai par le décès en exercice de Beji Caid Essebsi. Avant le décès de ce dernier, le 25 juillet, de le calendrier électoral prévoyait la tenue du scrutin législatif le 6 octobre, suivi en novembre par la présidentielle. La mort du chef de l’État, à quelques mois de la fin de son mandat, a bouleversé les échéances. Pour respecter le délai de quatre-vingt-dix jours octroyé au président par intérim par la Constitution, il a fallu avancer le premier tour de la présidentielle au 15 septembre. Le président de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), Nabil Baffoun viens juste d’annoncer que le deuxième tour des présidentielles aura lieu au plus tard le 13 octobre prochain. Après plus de cinquante ans de présidence omnipotente, la nouvelle Constitution de 2014 d’inspiration parlementaire avait rééquilibré les pouvoirs au profit du premier ministre, issu de la majorité du Parlement. Mais le consensus sur le sujet reste fragile. Certaines voix appellent à rétablir l’équilibre en faveur du chef de l’Etat, fort d’une légitimité issue du suffrage universel. Ainsi les observateurs politiques en Tunisie estiment que les législatives s’annoncent plus importantes que la présidentielle. Prévues entre les deux tours le choix des députés et représentants du peuple pourrait donner lieu à une lutte âpre. Avant que le nom du président ne soit connu au bout du deuxième tour.