Tout est parti de l’idée de Na Fetta, une villageoise qui a fait don d’un veau…
Ait Mahiou, ce village perché sur les hauteurs de la Soummam en contrebas de la forêt de l’Akfadou s’est encore une fois distingué par la réussite d’un événement, qui au-delà du partage et l’entraide a permis une réunification des rangs et une communion, qui rappellent les années phares de ce village, lorsqu’il était dirigé par Dda Lakhdar, paix à son âme, durant les années 1970.
Réunir tous les fils et filles, sacrifier et partager équitablement deux veaux, le tout dans un esprit de solidarité et de communion, c’est le pari réussi par les villageois d’Ait Mahiou, un village du douar Ikdjane dans la commune de Tifra. Cette région, relevant de l’Aârch Nath Mansour, voisin des Aârchs Ath Waghlis, Ath Amar et Ath Yemel, n’a pas dérogé à la règle. Connu pour l’esprit de solidarité et d’entraide de ses enfants, Ait Mahiou a récidivé dans l’un des moments forts, riches en couleur et empreints de toutes les valeurs qui ont toujours distingué le Kabyle.
Lawziaâ le «sacrifice collectif», un événement de taille, qui permet à «thasa atsamlil dway turew» c’est-à-dire «à la communauté de se retrouver». En ce vendredi de juillet, le village Ait Mahiou était paré de ses plus beaux atours. Ruelles et placettes nettoyées étaient les premiers indices indiquant qu’un événement de taille allait s’y produire. Mais c’est le soir après le ftour, que tout se confirmera. Sur la placette du village, éclairée comme lors des grands jours, une animation peu ordinaire s’y est installée. Lounis, Nadir, Boualem, Madani, Hamou, Saïd, Yahia et Zahir, tous membres de l’association, qui fait aussi office de comité de village nous accueillent. «Aujourd’hui, nous allons renouer véritablement avec les traditions de nos ancêtres», indique Lounis, expliquant que l’idée est partie d’un voeu d’une veuve, de la famille Ath Slimane, qui a fait don d’un veau à sacrifier pour les villageois.
«Nous avons jugé utile de renfoncer ce don par l’achat collectif d’un deuxième veau, une façon de bien satisfaire tous les membres du village», ajoute Said, le trésorier, qui recevait entre-temps les cotisations de villageois qui arrivent au fur et à mesure. Boualem Minouni, un élu du village à L’APW de Béjaïa a tenu à être présent parmi les siens pour ce double sacrifice. «C’est pour moi un honneur d’être parmi les miens pour un partage, qui au-delà de la viande, reste un moment, qui a toujours fait la force des Kabyles à travers le temps», nous dit-il. Fidèles aux traditions les plus nobles de la société kabyle, les habitants de Ait Mahiou ont, encore une fois fait preuve d’esprit de solidarité et d’entreaide en sacrifiant deux boeufs, dont l’un est un don d’une villageoise.
Dans ces contrées situées sur les hauteurs de la vallée de la Soummam, on ne se vante pas d’une charité, quelle que soit sa valeur. En deux phases, l’événement a réuni tous les fils et filles d’un même village pour partager équitablement le travail, la viande et la joie. En ces jours, qui bouclent le mois sacré de l’année 2017, le village «la tradition lawziaâ ou timechret est une tradition à perpétuer de par ce qu’elle véhicule comme valeurs, dont celles de permettre aux riches comme aux pauvres de renouer avec la joie et la solidarité», indique Yahia, un ancien dirigeant de l’association, dont le fils vient de décrocher son diplôme de médecin, le premier du village, qui a fait tout son cursus scolaire dans les établissements de la région.
Hamou, un autre ancien dirigeant, parle plutôt de cet esprit de communion, qui reste un pilier important dans la société kabyle. «La plus grosse perte qui peut arriver à un village kabyle c’est de perdre ce genre de traditions qui véhiculent beaucoup de valeurs, dont tous les enfants que vous voyez autour s’en inspirent pour construire leur avenir», soutient-il. Tout autour, insoucieux, les bambins jouaient, en effet. C’était pour eux la fête aussi. Placée sous le signe de la cohésion et de la fraternité, cette fête du sacrifice collectif était un rendez-vous d’attachement, d’union et «tagmats» dans une ambiance de joie, d’harmonie et de rires.
«Cette année franchement, c’est la totale», remarque avec joie Nadir, venu lui aussi de la capitale pour participer à la fête. En effet, elle a constitué une bonne occasion pour resserrer les rangs entre les enfants d’un même village, comme l’attestent ces clichés et ses prises de photos et vidéos pour immortaliser un moment que l’on apprécie le plus. Alors que les sages s’affairaient à valoriser l’événement, d’autres villageois, les plus jeunes secondaient les bouchers. C’est comme si chacun devait apporter sa part du grain, ne serait-ce que par des mots. Hier, c’était la journée du partage. De manière équitable, la viande est répartie entre les villageois dans une ambiance conviviale qui se lisait sur les visages.
Les 550 kg de viande ont été répartis en 112 parts soit le nombre de foyers que compte le village. Le riche et le pauvre ont eu la même part de viande et de même qualité. N’est-ce pas là une manière de mettre tout ce beau monde au même niveau, ne serait-ce que par un pensée momentanée. Ait Mahiou venait de vivre pour la énième fois consécutive un moment fort qui n’a de valeur que de ressusciter l’espoir quant à la réhabilitation des valeurs de la société kabyle que beaucoup disent disparues à jamais.
A Ait Mahiou, on dit non! Elles sont toujours là. Les citoyens de ce village, surtout les jeunes, ont donné une fois de plus la preuve. D’autres villageois en ont fait autant un peu partout. Plusieurs dizaines de veaux ont été sacrifiés dans plusieurs villages de la région. La même tradition est perpétuée dans pratiquement tous les villages de la Kabylie. Réhabiliter ses propres traditions est une autre manière de chasser les démons véhiculés par des idées importées, qui tentent de s’implanter dans les villages kabyles pour les détruire jusqu’à leurs fondations. Le retour aux sources, est à ce titre, salutaire. Des initiatives qui méritent encouragement et soutien. «C’est même indispensable en ces temps qui courent», rappelle Dda Ikhlef à l’adresse des jeunes qui l’écoutaient lui et les plus âgés du village, aborder les risques qu’encourt la société devant les fléaux, qui nous arrivent de loin au prétexte religieux. Si nous avons aujourd’hui réhabilité le partage, il faut le faire aussi pour que notre islam qui fait face à des menaces salafistes», souligne Madani, un militant infatigable des causes justes. Vers midi hier, les villageois se quittent pour rentrer chez eux, fiers d’avoir réussi ce pari, qui se présente comme un pas important vers une union sans faille à même de faire face à toute éventualité, comme ce fut le cas dans l’histoire récente de ce village.