La vague de chaleur, que connaissent la plupart des régions du pays, avec des pics de 45 degrés à l’ombre, pousse les citoyens à une irrésistible quête de fraîcheur. En ces temps difficiles, parler de vacances, notamment dans ce qu’on peut appeler l’Algérie profonde, est un bien grand mot, surtout pour une jeunesse désœuvrée.
Cette frange de la société, faute de moyens financiers ou tout simplement de lieux de loisirs et de détente, opte souvent pour le système D, afin de “s’évader” le temps d’un week-end.
Dans la wilaya de Bouira, une région où les lieux de loisirs et de détente font cruellement défaut, pour ne pas dire qu’ils sont carrément inexistants, les journées paraissent interminables. Les jeu-nes comblent “le vide” du mieux qu’ils peuvent et souvent au péril de leur vie et où la débrouillardise côtoie l’imprudence.
La plage à moindre frais
En été, la destination privilégiée des Algériens est sans conteste la plage. Pour les jeunes Bouiris, les plages de Boumerdès et d’Alger sont les destinations de choix et pour s’y rendre tous les moyens sont bons. Ainsi, en bus, en taxi clandestin ou bien à mobylette, l’objectif est le même : planter son parasol et piquer une tête. Mais avant cela, il faudrait trouver un moyen de transport et surtout collecter quelques “biffetons” pour payer le voyage. En effet, ces “navigeurs”, comme ils se définissent, ont trouvé l’astuce pour s’offrir de petits moments d’évasion sur les côtes. Athmane 24 ans, Anis 22 ans et Islem 26 ans, tous trois issus du quartier des 130-Logements de Bouira, ont raconté leur escapade et la façon dont ils procèdent. “Depuis le début de cette vague de chaleur, on a navigué trois destinations. La plage de Palm-Beach à Alger, celle de Zemmouri à Boumerdès et sans oublier Tigzirt, le tout pour 2 500 DA”, nous ont-ils confié.
Concernant les modalités de ces vacances low cost, Athmane nous a révélé : “C’est simple, on fraude dans les bus et de temps en temps, l’un de nous s’improvise receveur l’espace d’une semaine et nous fait monter
à l’œil”. Cette technique marche-elle toujours ? Non, d’après nos quatre compères : “Une fois, on s’est fait démasquer et on l’a chèrement payé”, avouera Islem, le sourire en coin.
Autre solution, certes, plus onéreuse et relativement moins risquée, celle consistant à louer une mobylette. “On loue deux mobs à 750 DA la journée et on y va à quatre, tout en évitant les barrages des gendarmes, car on n’a pas de casque”.
Baignades à hauts risques
Autre moyen d’échapper à cette canicule, aller se baigner dans les barrages et retenues d’eau de la région, avec tous les risques que cela comporte. En effet, nombre de jeunes, le plus souvent chômeurs et sans aucun revenu, n’hésitent pas à braver les dangers inhérents à la baignade dans ces endroits. D’ailleurs, depuis le mois d’avril dernier, ces baignades “en eaux troubles” ont coûté la vie à huit personnes, dont deux fillettes à travers les diverses retenues d’eau de la wilaya.
Cependant, certains téméraires et inconscients font fi des dangers que représentent ces baignades interdites. Imad est l’un de ces jeunes intrépides, qui ne reculent devant rien pour un plongeon dans les eaux du barrage de Tilesdit, ou encore la retenue collinaire de la forêt d’Errich. “Vous savez, nous n’avons pas trop le choix, c’est ça ou rôtir sous le soleil de Harket (son quartier, ndlr)”, s’est-il justifié.
Son ami, Akli, du haut de ses 18 printemps, va dans le même sens : “Quand on n’a pas un sou en poche, qu’on est sans aucun moyen de transport et qu’un soleil de plomb nous crame la peau, on n’a qu’une seule envie, plutôt une obsession, c’est de piquer une tête”, avant d’enchaîner : “Nous sommes bien conscients des risques que nous courons, néanmoins à 45 degrés, la raison cède la place à l’envie irrésistible de se rafraîchir.”
Samedi dernier, aux abords de la retenue collinaire d’Aïn Athmane (sortie ouest de Bouira), il y avait foule. Des dizaines d’adolescents et même des gamins d’à peine 10 ans barbotaient “tranquillement” et aucun adulte aux alentours. À la question de savoir si leurs parents étaient au courant de leur dangereuse activité, la plupart ont répondu par l’affirmative. “Oui, ils savent qu’on est ici ! C’est mon père qui m’a autorisé”, répondra innocemment le jeune Wassim, un écolier de 11 ans.
Les piscines prises d’assaut
Pour les moins intrépides, il existe une solution bien plus pratique et considérablement moins dangereuse, celle des piscines. Ces dernières, il faut bien le dire, font le plein. Les pouvoirs publics, notamment la DJS, ont énormément misé sur ces structures sportives afin de “capter” les jeunes et éviter qu’ils versent dans la délinquance. C’est bien connu, l’oisiveté est mère de tous les vices. Actuellement, chacune des douze daïras que compte la wilaya est équipée d’une piscine semi-olympique, offrant toutes les commodités nécessaires.
En cette période de grosses chaleurs, les inscriptions battent leur plein et le taux de fréquentation explose selon les différents responsables interrogés. Lors de notre virée à travers les piscines de Lakhdaria, Bouira, Bechloul et M’Chedallah, il nous a été donné de constater que les jeunes et moins jeunes
y affluent, chacun avec sa tranche horaire.
Pour les enfants, c’est la matinée, les adolescents, l’après-midi, et les adultes, c’est en soirée, le tout pour la modique somme de 1 500 DA/mois. “Enfin, à Bouira, nous avons des piscines dignes de ce nom”, soulignent nombre de citoyens croisés aux abords de la piscine semi-olympique de la ville.
À Lakhdaria et au moment de notre passage sur les lieux, la piscine municipale affichait complet. Et pour y accéder, il fallait montrer une carte d’adhésion en bonne et due forme, ce qui limite les risques d’intrusion et autres agressions. “Nous nous sentons en sécurité et quand je laisse mes enfants pour leur séance quotidienne, je pars l’esprit tranquille”, confiera un père de famille.
Tikjda boudée
Mais qu’en est-il des amoureux de la montagne ? Y trouvent-ils leur compte en cette saison estivale ? La station climatique de Tikjda est-elle prisée en cette période de canicule ? La réponse est évidemment négative. En effet, Tikjda semble être boudée par les jeunes et “l’appel de la forêt” ne semble pas intéresser grand monde.
Ainsi et lors de nos multiples passages sur les lieux, rares étaient les citoyens qui profitaient du calme qu’offre ce site touristique. On y croise des singes magots, toutes sortes d’oiseaux et même… des vaches, mais pas l’ombre d’un vacancier. Pourquoi ? D’abord, pour se rendre sur les hauteurs de Tikjda, culminant à 1 478 mètres d’altitude, il faudrait un moyen de locomotion. Et sur ce volet, aussi étrange que cela puisse paraître, aucune ligne de transport public ou privé ne dessert cette station climatique. Ensuite, une fois sur place, aucune activité n’y est proposée. Pas le moindre manège, ni piscine ou une quelconque étendue d’eau. Rien. Juste de la végétation à perte de vue, laquelle est jalousement surveillée par les gardes forestiers, qui réprimandent à la moindre incartade. Et le CNLST ? Eh bien, il n’offre pas grand-chose, sauf le gite et le couvert pour une clientèle bien déterminée.