Parler de loisirs à Constantine n´est pas une mission de tout repos, en un mot c´est le désert.
D’aucuns n’ignorent pas son importance touristique, ses atouts historiques millénaires et son poids économique et politique. «La capitale de la culture arabe» a fasciné lors de cet évènement international des milliers de visiteurs venant du monde entier, pourtant, elle reste une ville écartée, non pas par manque de moyens, ou d’argent, mais par une volonté inexpliquée de ses responsables. Elle a perdu cette image de ville propre, sans enthousiasme et surtout sans aucune motivation. Elle s’est transformée en un immense «ghetto» pour ses habitants. Une prison à ciel ouvert faisant de ses locataires des captifs «malheureux», d’autant plus que certains quartiers sont devenus des lieux à haut risque. En été, elle est tout simplement invivable et ce n´est pas dû uniquement aux conditions climatiques, mais beaucoup plus cette lassitude qui se lit sur le visage de ses habitants, notamment les jeunes. C’est tout à fait normal de dire que les étés à Constantine sont de plus en plus monotones et cela ne peut forcément être qu´un euphémisme faussement exprimé pour voiler une bien triste réalité que tout le monde décrit, mais qu´aucun n´a essayé de changer.
La ville de Massinissa et Ben Badis, a bien perdu ses repères. Pourtant, cette Cité mérite au moins le respect de ses gérants. Les années 1970 et même 1980 assuraient à Cirta sa notoriété de cité conviviale. Néanmoins, elle a subi de plein fouet les conséquences de l´époque terroriste, tout comme plusieurs autres villes du pays. Mais ce n´est pas tout pour expliquer la léthargie qui l´atteint chaque saison estivale. Hormis la catégorie des privilégiés qui ont les moyens de s´offrir des vacances à l´étranger, généralement en Tunisie, l´écrasante majorité des Constantinois subit, depuis toujours, le poids de la canicule et l´absence totale de moyens de distraction.
Les élus qui se sont succédé à la tête des Assemblées élues au fil du temps peinent à élaborer un plan de redressement, pour ne pas dire à trouver les solutions car trop occupés à gérer leurs propres intérêts.
Leur seul effort se limite à échafauder quelques programmes d’une manière très superficielle. Aller au fond des choses, initier une révolution pour parfaire des solutions serait trop leur demander. Parler de loisirs à Constantine n´est pas une mission de tout repos, en un mot c´est le désert. Depuis qu´elle a perdu sa «Brèche» (la place la, Ndlr) où des familles venaient, il y a maintenant plus de 15 ans, déguster une glace ou des boissons rafraîchissantes, Constantine n´offre plus d’alternative et, dans ce contexte, elle ressemble plutôt à une prison à ciel ouvert.
Les jeunes en désarroi errent de café en café et pour tromper l´ennui, fument du haschisch.
L´été à Constantine, c´est tout simplement le chaos. C’est le cas de le dire quand à longueur de journée, rien ne se passe, la ville semble morte. On voit des jeunes à l’abri du soleil, alors que la température frôle parfois les 46 degrés, sous un arbre à s’adonner aux jeux de cartes, de dominos ou dans un des stades de football à extérioriser leur frustration. Ceux-là, par faute de moyens, n’ont pas droit aux vacances, à l’air frais des plages que compte le pays, au camping, encore moins aux voyages. Prisonniers de la canicule, Mohamed, Anis et Amir, ne dépassant pas les 25 ans, ont bien accepté de s’exprimer pour dire la mal-vie qu’ils subissent, mais avec le sourire. Ce sont des habitués. A nos questions sur les vacances: «Mohamed répondra «Les vacances? Je connais pas, il m’arrive de voler une journée pour aller vers les plages de Skikda ou Annaba, mais sans plus! encore quand on arrive mes copains et moi à trouver de l’argent, on cotise et on part. Pour moi ça reste mémorable».
Il ajoute, «vous savez je n’ai pas honte d’être pauvre, mais j’ai honte pour ces responsables qui ne se gênent pas, mais oublient leurs devoirs. Ils ne sont même pas capables de restaurer des trottoirs, de remédier à ces routes impraticables ou encore de cerner le problème de l’hygiène dans la ville. Pourquoi on n’a pas de piscine à Constantine? Pourquoi ce manque flagrant d’infrastructures de loisirs? Pourquoi l’absence des grandes surfaces d’attractions? Oui on aimerai avoir des réponses, pourtant, l’Etat n’a jamais manqué de verser de l’argent!» Mohamed est un jeune de 23 ans, il vient de terminer ses études en sociologie. Il n’a pas d’emploi et il est conscient qu’il lui faut encore plusieurs années pour espérer programmer un voyage ou des vacances.
Anis, 24 ans, est employé dans une entreprise étatique via l’Anem. Son père est décédé. Il s’occupe de sa petite soeur qui vient de décrocher son bac et sa maman qui touche une petite pension. «Je n’ai pas fait des études supérieures, mais juste une formation professionnelle, qui m’a permis de travailler pour cette entreprise», dira-t-il. Il ne cite pas le nom.
«Vous croyez qu’avec 15 000 DA le mois je peux aller en vacances, c’est à peine si cela suffit à mes besoins de transport et rarement je peux me payer un vêtement. Les vacances? non il faut oublier, puis je n’ai pas le droit de me donner ce plaisir et de laisser ma famille derrière moi. Pour le moment je me contente de la joie que m’a procurée ma petite soeur, peut-être qu’elle me payera un jour des vacances.»
On a presque les larmes aux yeux face à des jeunes qui n’ont aucun espoir, et acceptent leur destin car ils savent pertinemment que la solution n’est pas pour demain. Le cas d’Amir n’est pas différent. Issu d’une famille nombreuse, ce jeune de 24 ans a également tenté toutes ses chances pour rejoindre un des corps de sécurité, mais en vain, c’est un échec à chaque fois, maintenant il n’a plus aucune chance. Son âge ne le lui permet plus. Amir a fait des études de droit, il a réussi quand même malgré les conditions difficiles dans lesquelles il vit. C’est le plus jeune de ses frères et soeurs, dont la majorité a déjà fait sa vie, a des enfants, on ne peut donc pas compter sur celle-ci.
Il occupe un F2 avec ses parents de plus en plus vieux, dans un ancien quartier de la ville. «Je ne peux même pas rêver, de toute façon je ne peux pas quitter mes parents, ils ont besoin de moi. C’est vrai que vous allez publier ça sur votre journal?» Amir pose la question car pour lui «les médias sont rarement intéressés par les problèmes des jeunes». Pour lui «trop de politique sur les chaînes de télévision et les quotidiens», il pense aussi que «la presse en général s’intéresse à la vie privée des responsables gouvernementaux et un peu trop aux personnes même». Il croit bien dire, de souligner que «la presse ne fait pas son devoir envers la société». Il marque un arrêt et poursuit «je sais que je parle trop, mais je rejoins Mohamed quand il s’interroge sur l’argent affecté par l’Etat aux projets, on ne voit rien venir, si ce n’est ces infrastructures hôtelières à l’occasion de «Constantine, capitale de la culture arabe» pas de piscine ni de lieux de loisirs, même pour approcher l’une des piscines de ces hôtels il faut être locataire ou payer une somme d’argent, je ne peux pas me le permettre. On vit dans une société qui juge et qui condamne, je ne veux pas qu’on pense que je suis irresponsable vis-à-vis
de mes parents», souligne-t-il d’un air de révolte et sur un ton énergique.
Ces jeunes lancent de vrais débats de société. Loin d’être inconscients, pour eux le retour à la paix est déjà une satisfaction, sachant qu’il y a quelques années, même avec les moyens, des familles restaient chez elles à cause du terrorisme. Pourtant, ils n’ont pas été trop exposés à ce phénomène subversif à cause de leur jeune âge. Cependant, même très matures dans leurs paroles, ces jeunes méritent de vivre sous un ciel plus clément, voire plus serein au nom du droit au bonheur.