Ils ne sont pas optimistes quant à une éventuelle reconnaissance ou à un vote sur leur statut particulier, qui leur garantirait un devenir meilleur. Toutefois, ils continuent d’espérer.
Les artistes souhaitent que leurs revendications professionnelles, occultées jusqu’ici malgré leur caractère légitime, soient enfin reconnues. Ils pensent, en effet, que leur situation actuelle, sans statut social particulier, conjuguée au marasme que vit le secteur de la culture d’une manière générale, n’augure rien de bon. Aussi, appellent-ils, d’ores et déjà, les futurs députés à rompre avec l’ancienne attitude des Parlements passés, qui ont fait de la corporation des artistes une communauté démunie des plus rudimentaires droits sociaux.
À l’occasion des élections législatives, nombre d’artistes nous ont exprimé ce qu’ils attendent de la future Chambre basse du Parlement. Boudjemaâ Mehennaoui, musicologue et enseignant de solfège à l’Institut de musique de Batna, qualifie de nul l’apport de la chambre sortante pour la corporation. “Ils (les députés) n’ont pas présenté un seul projet de loi au profit des artistes”, dit-il. Toutefois, en fervent défenseur de la démocratisation de l’enseignement musical, M. Mehennaoui espère que le Parlement à venir accordera plus d’attention à l’ouverture d’écoles spécialisées en musique afin de préserver, d’une part, le patrimoine musical national, et d’autre part, donner une chance à la recherche de se développer. Les artistes annabis, chanteurs, musiciens et plasticiens, que nous avons sollicités pour connaître leurs impressions sur la campagne électorale pour les législatives du 4 mai prochain, ont refusé poliment de s’exprimer, pour la plupart d’entre eux.
Rares sont ceux qui ont bien voulu intervenir à ce propos, mais sous le sceau de l’anonymat, pour dénoncer l’opportunisme et l’entrisme de certains candidats, leur reprochant leur nomadisme politique. Ces mêmes artistes estiment que “l’argent est trop présent dans le paysage politique” et qu’il “influe négativement sur le déroulement de cette campagne”. Ils pensent que cela “exclut, de fait, toutes les véritables compétences engagées dans la course pour la députation”. Le mélomane bien connu, autant à Annaba que dans tout l’Est algérien, Mourad Riffi, qui est l’un des membres fondateurs du Syndicat des artistes dans la wilaya côtière, a toutefois, accepté de se confier à visage découvert.
Égal à lui-même, ce chantre local du malouf dit à voix haute son amertume devant le peu de considération que les élus, d’une manière générale, vouent à la frange dont il se revendique. “Bien que notre syndicat active sous l’égide de l’UGTA avec ce que cela suppose de son obédience FLN, les artistes ressentent pleinement la marginalisation qu’ils ont subie, et qu’ils continuent de subir”, dit-il, ajoutant que “la tendance penche franchement vers le boycott des prochaines élections”. Liant les législatives en cours à la composition du futur gouvernement, il ne cache pas son pessimisme, quant à l’émergence d’une personnalité politique qui daignera se pencher sur la longue liste des attentes des artistes. “Depuis 2014, les artistes algériens attendent la promulgation du statut de l’artiste. L’ex-ministre de la Culture, Khalida Toumi, l’avait annoncé fin prêt, puis en 2015 Leila Labidi, par voie de presse, avait déclaré qu’il serait promulgué fin 2015. L’actuel ministre n’en parle même pas….”, reproche encore notre interlocuteur.
Kamel Benziane, chef de troupe folklorique pense, quant à lui, que les subventions accordées aux troupes folkloriques sont inéquitables. “Les futurs députés doivent savoir que la répartition des aides de l’État aux troupes folkloriques n’obéit, jusqu’à présent, à aucune considération. Les troupes folkloriques qui ont le bras long sont bien servies en matière de subventions publiques, les autres sont marginalisées.” Il déplore, par ailleurs, la rareté des festivals locaux, qu’il considère comme la plus importante source de financement des troupes traditionnelles. “Les festivals locaux sont rares. C’est pourtant notre seule source de survie, en l’absence de subventions conséquentes. Je demande aux députés de s’intéresser à cette question pour le bien des arts populaires et le bien-être de ceux qui ont pris la responsabilité de les préserver et de les transmettre à la postérité.” Toufik Mezaâche, une figure du one man show à Sétif a un tout autre avis. Tout en affichant son refus du boycott, il dira que pour certains partis politiques, les listes ne répondent pas aux attentes des citoyens qui aspirent au changement. “Plusieurs partis ont choisi des militants qui n’ont aucun niveau et qui excellent dans le nomadisme politique. On se demande ce qu’ils font sur ces listes et ce qu’ils peuvent apporter de plus au pays ? Beaucoup d’entre eux n’ont même pas de convictions politiques. Ils ne sont venus que pour se servir”, dira notre interlocuteur. Et de renchérir : “Le fait que certains partis ont reconduit leurs députés sortants, est un choix qu’il faut respecter. S’ils sont reconduits, cela voudra dire qu’ils ont bien représenté ceux qui ont voté pour eux la dernière fois.” Un artiste peintre qui a, quant à lui, requis l’anonymat, nous a déclaré que la plupart des candidats n’ont pas été à la hauteur. “Quand on voit un député sortant se porter candidat pour la deuxième ou la troisième fois, cela fait mal au cœur. Nous savons tous qu’ils n’ont rien fait ou du moins qu’ils n’ont rien pu faire”, dira-t-il.