Le mouvement de contestation qui s’exprime dans la rue maintient le cap. Mobilisés depuis le 22 février dernier, les Algériens réclament le départ de figures bien précises symbolisant l’échec de la gestion des affaires du pays ou associées aux cercles accusés de corruption et de pillage des affaires nationales.
Abla Chérif – Alger (Le Soir) – La rue exige des démissions, des départs immédiats. Des noms s’affichent régulièrement sur les pancartes brandies tous les vendredis depuis plus d’un mois, les manifestants y vont de slogans de plus en plus virulents, défilent avec des portraits, des caricatures, parfois grandeur nature et surtout surmontées de messages on ne peut plus clairs : «Dégagez !» Ces noms, les plus cités, sont bien connus.
Abdelaziz Bouteflika
Elu chef d’Etat en 1999, il s’apprêtait à briguer un cinquième mandat. Le mandat de trop contre lequel les Algériens ont fini par réagir pour recouvrer, disent-ils, une «dignité perdue», celle d’un pays offrant au monde l’image d’une société acceptant d’être gouvernée par un homme n’ayant pas su respecter l’alternance démocratique, centralisant tous les pouvoirs à son niveau et dépendant de son «clan» auquel l’opinion attribue de larges prérogatives.
Certains affirment qu’il en serait même «l’otage» depuis la perte de ses capacités physiques (due à deux AVC) et que ce dernier serait à l’origine de l’émergence d’une oligarchie qui s’est enrichie de manière douteuse. Depuis le 22 février dernier, les citoyens mobilisés revendiquent le départ de Bouteflika et dénoncent toute tentative de prolongation du quatrième mandat.
Saïd Bouteflika
Le frère conseiller du président de la République est, depuis un long moment, accusé de gérer le pays à la place de son frère affaibli par la maladie. Son nom est scandé par les manifestants tous les vendredis. Un peu partout à travers le territoire national, les Algériens défilent avec des caricatures grand format accompagnées d’une inscription qui en dit long : «Vous avez pillé le pays.»
Les Kouninef
Auparavant murmuré à voix basse dans les discussions des personnes bien au fait de la situation en cours dans le pays, le nom des Kouninef est, depuis quelques jours, au centre de tous les débats publics. On le trouve dans les médias qui s’intéressent de plus près à l’une des plus grandes fortunes du pays bâtie, dit-on, grâce aux liens étroits qu’entretient la famille avec les Bouteflika. Le plus gros de la polémique et des interrogations liées à son enrichissement circulent cependant sur les réseaux sociaux.
Les Kouninef sont soupçonnés d’avoir monté leur empire au lendemain de l’accession de Abdelaziz Bouteflika au pouvoir. La société phare du groupe familial, Kougc, concentre les activités les plus lucratives, dit-on, mais c’est sous l’ère Bouteflika qu’elle est devenue la plus grande entreprise privée algérienne dans le secteur de l’hydraulique.
L’amitié du père Kouninef avec le président de la République serait à l’origine de l’expansion de ses affaires et de celles de ses trois fils. Le plus en vue est Rédha, surnommé le «prince des oligarques» par certains médias étrangers ou «l’homme qui susurre aux oreilles de Saïd Bouteflika».
Depuis deux jours, des structures de l’Etat tentent de démentir le prêt de 100 millions de dollars qui lui aurait été fait par le CPA. Algérie Télécom a également réagi aux informations diffusées sur les réseaux sociaux et faisant état d’un procès intenté par les Kouninef contre Algérie Télécom et dans lequel l’opérateur public ne s’est pas constitué partie civile sur instruction de Houda Feraoun .
Sidi Saïd
A la tête de l’UGTA depuis 1997, il est considéré comme l’un des plus grands soutiens à Abdelaziz Bouteflika et d’avoir instrumentalisé l’organisation syndicale au seul profit du président de la République. Soutenu par le pouvoir, Sidi Saïd a réussi à faire échec à toutes les tentatives de «renversements» menées par la base.
Au lendemain des premières marches réclamant l’annulation du cinquième mandat et le départ du Président, il a tenu des propos qui ont provoqué la colère de la rue.
Selon lui, l’annulation du cinquième mandat risquait de faire sombrer le pays dans la violence. Aux yeux de l’opinion, il incarne le système dont le départ est réclamé.
Ahmed Ouyahia
En dépit de son éviction du poste de Premier ministre, son nom continue à être scandé dans les rues. Raillé, critiqué parfois en des termes trop indécents pour pouvoir être rapportés ici, Ouyahia concentre une grande partie de la colère populaire qui s’exprime régulièrement.
Auteur des mesures les plus impopulaires qu’ait connues l’Algérie postindépendance, il est aussi perçu comme étant l’homme de toutes les sales besognes, missions ayant plongé le pays dans la crise actuelle.
Ali Haddad
Il est le symbole par excellence de cette oligarchie qui s’est emparée du pouvoir. Proche du cercle présidentiel, connu pour sa grande proximité avec les Bouteflika, le président du FCE est au centre d’un véritable jugement populaire exprimé dans les chants et les slogans.
Lamamra, Bedoui, Brahimi, Moad Bouchareb, le FLN et le RND…
Ce vendredi 22 mars, les manifestants ont affiné leurs messages. Lamamra, Bedoui et Brahimi ont fait l’objet d’une caricature portée par de nombreuses personnes et les montrant vêtus d’une tenue de bagnards, liés, aux pieds, par des chaînes et des boulets.
L’image en dit long : vous vous êtes fait prisonniers, porte-parole d’un système dont le départ est réclamé, vous êtes jugés et condamnés pour cela. La caricature est également surmontée d’un écrit : «Dégagez!»
La pancarte circule au milieu d’autres affiches raillant l’actuel secrétaire général du FLN. «Tu es un apostat, tu t’es retourné contre ton Dieu», dit l’une d’entre elles. Son parti doit aller «au musée», scande la foule, doit disparaître tout comme le RND…
A. C.