Leurs noms sont attribués à de nombreux lieux publics: Ces Algériens honorés par la France

Leurs noms sont attribués à de nombreux lieux publics: Ces Algériens honorés par la France

Mohamed Arkoun, Lounès Matoub, Slimane Azem, Taos Amrouche… sont autant de figures emblématiques dont l’État algérien a choisi de censurer la mémoire. Comble de l’ironie, c’est en France qu’ils sont honorés.

Nul n’est prophète en son pays, surtout pas des personnalités de l’envergure de Taos Amrouche, dont le nom vient d’être attribué à un second établissement scolaire en France. Au début du mois de septembre, la municipalité de Saint-Denis, au nord de Paris, a procédé, à la rentrée, à l’inauguration d’une école élémentaire qui honore la mémoire de l’auteur du Grain magique. En 2014, la mairie d’Aubervilliers a mené une opération similaire dans un autre établissement d’enseignement public. Au sein de cette commune se trouve aussi la rue Mohammed-Dib ou encore Matoub-Lounès. Le nom du chanteur est attribué à au moins dix lieux publics dans l’Hexagone, à Paris, mais également dans d’autres villes comme Nancy, Grenoble, Lyon et Dijon.

Souvent, les démarches visant à donner à des lieux publics les noms d’Algériens célèbres sont suscitées et appuyées par des associations de la diaspora. Elles ont évidemment plus de chance d’aboutir dans des municipalités de gauche, surtout communistes, dont les élus ont toujours été proches de l’Algérie. À Saint-Ouen (un autre foyer de l’immigration algérienne au nord de la capitale française), une rue porte, depuis 2008, le nom de Nadia-Guendouz, une infirmière de la Révolution et poétesse. L’initiative émane de Jacqueline Rouillont-Dambreville qui dirigeait alors la municipalité. En Algérie, plus précisément à Alger où elle a vécu jusqu’à son décès en 1992, l’illustre militante est restée pratiquement une anonyme. Aucun hommage officiel ne lui a été rendu.

De même, presque personne ne connaît Abdelmalek Sayad, un éminent sociologue algérien, assistant de Pierre Bourdieu et ancien directeur de l’École des hautes études sociales de Paris. Après sa mort en 1998, un de ses disciples, M’hamed Kaki, qui dirige l’association culturelle Les Oranges à Nanterre (banlieue nord de Paris), a décidé de le porter à la postérité, en faisant tout son possible pour que son nom soit gravé sur le marbre. Les autorités ont finalement répondu favorablement en 2013 donnant le nom de Sayad à un collège de la ville. Pour M’hamed Kaki, il était important d’entreprendre cette démarche afin d’enrichir le travail de mémoire qui est fait par les élites de l’immigration en France. “Ce travail consiste à mettre en lumière ce qu’ont fait nos parents pour la reconstruction de la France. On s’aperçoit que, petit à petit, il n’y a plus de traces de nos jours de ce travail. On a surtout vu que dans l’espace public, aucune structure ne portait le nom d’un savant, d’une personnalité issue de l’immigration coloniale”, fait-il savoir.

Sans le vouloir, Mohamed Arkoun était également un porte-drapeau. Philosophe éclairé et humaniste de renommée internationale, il était un critique méticuleux de la pensée islamique.

À la suite de sa disparition en 2010, l’ex-maire de Paris a proposé de baptiser la bibliothèque des sciences sociales du 4e arrondissement  de son nom. Bertrand Delanoé avait évoqué, à l’époque, “un inlassable artisan du dialogue entre le christianisme, le judaïsme et l’islam, animé par la conviction que ce qui rassemble les différentes expressions de la foi monothéiste est infiniment plus puissant, et finalement plus réel, que ce qui les sépare”.

Une simple bibliothèque pour immortaliser Arkoun est sans doute une preuve d’estime très insuffisante. Au cours de sa vie, celui qui a prodigué son savoir dans les universités les plus prestigieuses du monde a été le destinataire de plusieurs distinctions, des honneurs dont il a été privé dans son propre pays. Pis, Arkoun est parti de son pays natal, chassé par les tenants de l’obscurantisme. En 2013, la direction de la culture de la wilaya de Tizi Ouzou avait pensé à lui rendre justice en donnant son nom à la bibliothèque principale de la lecture publique de la ville.

Cette initiative est, cependant, restée sans suite. Le Premier ministre Abdelmalek Sellal a inauguré les lieux en mai dernier, mais à aucun moment le nom d’Arkoun n’a été évoqué. Ce reniement est valable pour Assia Djebar qui avait dû quitter l’Algérie quelques années après l’indépendance, parce qu’on lui avait imposé d’enseigner l’histoire en arabe. Bien avant sa mort en 2015, l’écrivaine, membre de l’Académie française, était déjà un symbole. Son nom n’apparaît pas seulement sur des plaques de rues.

En mai 2016, un hommage supplémentaire lui a été rendu par l’École normale supérieure de Paris dont une salle lui est dédiée. Considéré comme un événement rare, cet acte de baptême a été qualifié par le directeur de l’école, Marc Mezard, de “marqueur symbolique important porteur d’un message”. Dans l’établissement, d’autres salles ont été également baptisées. Elles portent les noms de Jean-Paul Sartre, Aimé Césaire et Jean Jaurès.

En Algérie, les autorités ont bien tenté de rattraper le coup en créant un prix Assia Djebar à la suite de la disparition de l’écrivaine. Mais d’après ses proches, cette décision prise dans la précipitation relève plus d’une formalité. Ils évoquent pour preuve la qualité littéraire discutable des lauréats qui sont dans leur ensemble d’illustres inconnus.

Des initiatives qui ne plaisent pas à tout le monde

Encore aujourd’hui, Les partisans du Front national à Saint-Ouen ne se résolvent pas à l’idée qu’une rue de leur ville porte le nom de Nadia Guendouz. Choqué de voir le sigle du FLN sur une plaque, ils demandent tout bonnement que le lieu soit débaptisé.

Robert Menard et Julien Sanchez, respectivement maires de Béziers et de Beaucaire dans le sud de la France et figures emblématiques de l’extrême droite, n’ont pas hésité à franchir le pas en prenant des arrêtés municipaux en 2015 pour changer les noms de deux rues qui célèbrent les accords d’Évian, marquant la fin de la guerre d’Algérie.

Pis encore, Menard n’a pas hésité à donner à la même rue le nom d’un ancien officier de l’armée, Hélie Denoix de Saint Marc, partisan de l’Algérie française.

À l’époque, le Premier ministre Manuel Valls avait sévèrement critiqué cette démarche, affirmant que “la nostalgie de l’Algérie française n’apporterait rien de bon”.