L’euthanasie à l’algérienne

L’euthanasie à l’algérienne

Nul besoin de chiffres ou de statistiques pour émettre un diagnostic sans appel. La santé va de plus en plus mal en Algérie et les expressions empruntées à son jargon ne font plus rire.

Plus que malade, le secteur agonise et ni les peintures refaites, ni les rideaux nouvellement accrochés dans les salles de soins, ne pourront voiler la réalité. Les citoyens sont révoltés, tant d’argent engrangé depuis près de vingt ans grâce aux recettes des hydrocarbures et nos hôpitaux devenus des mouroirs. Certificat descriptif, en attendant l’autopsie.

Djamila gît sur un matelas à même le sol. Elle doit attendre son tour avant de subir une opération chirurgicale plus ou moins urgente. Nous sommes à l’hôpital de Tizi Ouzou. Un CHU, centre hospitalier universitaire où des étudiants en médecine générale et en spécialité renforcent le personnel déjà expérimenté. De la bonne volonté, des promesses de prise en charge des malades dans le brouhaha des services des urgences.

Urgences médicales, de pédiatrie ou de chirurgie, toutes les salles d’attente, tous les couloirs saturent. Les blouses blanches se mélangent. Celles venues intervenir pour un hospitalisé d’un autre service ou un parent sont plus nombreuses que les praticiens qui font face à la marée de patients.

L’opérateur radio s’énerve, claque la porte et se plaint des médecins qui ne respectent pas l’organisation du travail. Quelle organisation ? sommes-nous tentés de lui demander. Devant sa porte, des dizaines de fracturés et autres souffrants brandissent une ordonnance pour obtenir un cliché. Anarchie. Tous veulent passer en premier, aucun numéro ni ordre logique en fonction de l’urgence pour mettre un peu de discipline. Le manipulateur radio proteste. Les malades attendent.

Aide-toi, Dieu t’aidera

Plus loin dans le couloir, Djamila garde les yeux grands-ouverts pour guetter à partir du sol, l’infirmière, la femme de ménage ou le chirurgien qui voudra bien la renseigner. Sa fille, qui l’a accompagnée, a été chargée d’aller récupérer les résultats d’analyses sanguines pour « gagner du temps ».

« On nous a aussi conseillé d’aller chez le privé pour le scanner afin de faire plus vite aussi… » nous confie cette vieille dame qui réprime la douleur de son abdomen par de pudiques grimaces silencieuses.

En 2015, les structures publiques de santé d’Algérie orientent les patients vers l’extérieur pour effectuer de coûteux examens pendant que les politiques se vantent de maintenir la gratuité de la médecine. Scandaleux ! Le vieux Lakhdar, dans un français bien scolaire fulmine : « Ils se soignent à l’étranger, comment voulez-vous qu’ils s’occupent d’améliorer l’état et le fonctionnement de nos hôpitaux. » La messe est dite.

Paramédical et paranormal

Nous sommes cette fois-ci à l’hôpital Mustapha d’Alger.Encore des cris, un agent de sécurité intervient. Le jeune homme ne se laisse pas intimider. Il jure qu’il portera plainte si son vieux père venait à pâtir de la négligence du personnel paramédical. Djillali, la trentaine passée, nous raconte ce qui l’a poussé à s’emporter contre les infirmières. Son père est diabétique et aucun contrôle de sa glycémie n’a été opéré depuis la veille.

Il est presque 17 H : « Il a fallu que je demande au médecin de garde si son diabète n’était pas en cause dans la dégradation de son état pour que ce dernier se rende compte qu’aucun dextro n’a été effectué depuis près de 24 heures. Ils laissent mon père mourir et m’envoient des gros bras quand je me révolte.C’est cela l’hôpital algérien ? » Nous déclinons notre identité et notre profession, l’agent de sécurité hausse les épaules et déclare qu’on l’a appelé mais qu’il comprend la colère de Djillali.

En ajoutant que c’est tous les jours ainsi. Le docteur, informé de notre présence, s’approche et nous prie de ne pas le citer : « Ils ne me le pardonneraient pas mais je vais vous le dire : les conditions de travail sont catastrophiques, nous soignons tant bien que mal mais c’est l’administration qui sabote la médecine, c’est voulu.On ne peut même pas faire une remarque aux personnel paramédical, il y a des clans, des relations mystérieuses… »

Silence !

Ahcène vient de sortir du CPMC, le centre Pierre-et-Marie-Curie de ce même hôpital. Bredouille. Il attend depuis plus de trois semaines pour un rendez-vous en radiothérapie. « Je ne sais pas si c’est pour nous donner le temps de crever. » Sa réplique nous fait froid dans le dos.

L’euthanasie à l’algérienne ? Des cancéreux sans soins. Le ministre a pourtant fait savoir qu’ils étaient désormais pris en charge. Mensonge d’Etat. Les cancéreux sont abandonnés à leur sort. Ils cherchent une connaissance, un bienfaiteur pour un rendez-vous pas trop éloigné.

On parle de deux mois minimum pour une séance de radiothérapie. Autre scandale. Nous voulons une version officielle : « Vous ne pouvez pas interroger le pesonnel sans une autorisation préalable du directeur de l’établissement ; s’il vous plait, je vous demande de quitter les lieux. » Cette fois, ils ont été rapides, efficaces pour…chasser la presse, mauvais témoin.

Une presse trop souvent complaisante à cause peut-être du respect qu’elle voue aux praticiens, malgré tout. Mais ceux-là sont victimes, comme leurs patients, du silence, de la chappe de plomb. La santé va très mal en Algérie, un constat. N’en déplaise au ministre de tutelle qui a été maintenu. Il faudra que cela change.