La bronca a fait tâche d’huile. De jour en jour, les manifestations s’enflent et se multiplient dans les différents postes frontaliers, d’abord Sakiet Sidi Youcef où la colère contre la taxe de 30 DA tunisiens a mis le feu aux poudres, puis jusqu’à Oum Teboul, le passage par excellence du plus fort contingent d’automobilistes. Le mécontentement des professionnels de l’import-export était d’autant plus grand qu’ils se voyaient victimes, contrairement à leurs concurrents du pays frère, de cette mesure qui s’apparente à du racket quand elle doit être assumée plusieurs fois par semaine.Les nombreux visiteurs tunisiens, eux, peuvent se consacrer à leur activité parallèle, qu’il s’agisse du trafic de carburants, d’ustensiles ou de vêtements, sans état d’âme depuis que la décision d’appliquer la taxe d’entrée aux ressortissants algériens a été acceptée par les autorités du pays qui ont été consultées postérieurement au vote de la loi par l’ARP. On peut comprendre les raisons qui ont pesé dans cette approche, la Tunisie ayant été le dernier bastion où les Algériens pouvaient au temps de la décennie noire trouver de l’oxygène. Partout, les frontières étaient verrouillées, les visas quasi impossibles à obtenir, et la suspicion outrancière.
Seul le gouvernement de Zine el Abidine Ben Ali avait résisté aux pressions internes et internationales pour maintenir en l’état une relation à la fois historique et stratégique.Conjuguée à la solidarité manifestée pendant sept ans de lutte pour l’indépendance par la Tunisie de Habib Bourguiba, cette démarche impliquait une dette et un devoir que les gouvernements algériens qui se sont succédé depuis 1962 ont tous honorés scrupuleusement. Voilà pourquoi le dossier mérite un examen attentif et serein car on ne sacrifie pas cette relation exemplaire pour un calcul intempestif.
Le gouvernement de Habib Essid a-t-il vraiment examiné l’enjeu dans ses tenants et ses aboutissants? Il est permis d’en douter, eu égard aux nombreux domaines dans lesquels le soutien de l’Algérie n’est ni marchandé ni inconséquent. La cause est entendue, depuis que les sirènes du printemps arabe ont retenti sur une Tunisie mortifère, nombreux sont les dirigeants qui s’emploient à se démarquer de la politique des prédécesseurs, y compris celle du voisinage, alléchés par les nombreuses promesses sans lendemains que les pays occidentaux ont fait pleuvoir sans discontinuer sur le palais de Carthage.
Mais quand on fait les comptes, il ne reste plus que le million de visiteurs algériens qui vont chaque été s’ajouter aux centaines de milliers dont la contribution à l’économie tunisienne est tout, sauf négligeable. Pour sauvegarder cette relation et continuer à commercer en bonne intelligence, il n’est pas nécessaire d’attendre que du côté algérien on en vienne aux mesures inscrites dans le cadre de la réciprocité. Au contraire, un geste de Carthage, d’ailleurs tenté un tantinet, avant de se résoudre à adopter la taxe «définitivement», aurait été le bienvenu. Et il aurait suffi à prévenir les échauffourées de ce mois d’août. A moins que, pour des raisons mystérieuses, des voix fielleuses interfèrent pour allumer un incendie dont n’ont nullement besoin les deux pays.