Dimanche 1 juillet 1962, référendum d’autodétermination. Le scrutin est libre et honnête, le premier du genre, et accouche naturellement d’un vote massif en faveur de l’indépendance. Mardi 3 juillet 1962, l’Algérie est officiellement indépendante, même si elle décidera de faire du 5 juillet la date anniversaire. C’est l’été et la fin de mission pour le maquisard Lakhdar Bouregâa, engagé dans la guerre en 1956 à la wilaya IV, l’Algérois, de Chlef à Boumerdès, qui comprend l’Atlas Blidéen et l’Ouarsenis.
Pourtant, il n’a pas encore 30 ans et hostile à l’armée des frontières et au coup de force de l’été 62, il devient opposant et fonde le FFS avec Aït-Ahmed tout en se rapprochant d’autres opposants, Mohamed Boudiaf et Krim Belkacem.
5 ans jour pour jour après l’indépendance officielle, lundi 3 juillet 1967, rue Larbi Ben M’Hidi à Alger, Lakhdar Bouregâa est arrêté par deux agents en civil et embarqué dans une Peugeot 403 noire. Conduit de cachot en cachot où il subira de nombreux sévices jusqu’à son jugement deux ans plus tard, en juillet 1969, toujours en été, il est condamné à 30 ans de prison, soit plus que la peine requise par le procureur de la Cour révolutionnaire.
Il n’est pas seul, sous la houlette du Chef d’Etat-major de l’époque, Houari Boumediene, Boudiaf est arrêté le vendredi 21 juin 1963, en été, à Hydra par deux hommes en civil. Le vendredi 3 juillet 1964, c’est Ferhat Abbès qui est arrêté dans sa maison de Kouba, Alger, par deux hommes en civil. Mardi 7 juillet 1964, c’est Abderrahmane Farès, ancien président de l’Exécutif provisoire, qui arrêté en plein Rue Didouche par deux hommes en civil.
Lakhdar Bouregâa est libéré en 1975 après 7 ans de prison, soit la durée de la guerre d’indépendance, et reste opposant, à Boumediene, puis à Chadli, puis à Bouteflika, les renvoyant tous dos à dos, avec quelques nuances : « Du temps du président Boumediene, la corruption était centralisée et Boumediene connaissait les corrompus. Avec Chadli, la corruption s’est décentralisée. Sous le règne de Bouteflika, la corruption et les passe-droits se sont généralisés »
Retiré de la politique, il n’a pourtant pas oublié, à commencer par les hommes de la Cour qui l’ont condamné en 1969, Draia, qui deviendra chef de la police puis ministre, Abdelghani, futur ministre de l’intérieur et chef du gouvernement, Touati, qui deviendra général major et idéologue du régime, ainsi que Kasdi Merbah et Zerhouni, qui deviendront aussi chef du gouvernement et ministre de l’intérieur. Sans omettre le Commandant Azzedine de la Zone autonome d’Alger, cité dans le procès Boumedieniste comme le témoin qui a dénoncé la rencontre Bouregâa-Krim Belkacem, ce qu’à cruellement expliqué le moudjahid qui n’aimait pas l’été par : « je connaissais son aptitude à la trahison. »
44 ans plus tard, il a 86 ans, et le samedi 29 juin 2019, toujours en été, il est arrêté à Hydra, Alger, par deux agents en civil à son domicile et emmené dans un fourgon utilitaire à la caserne Antar de Ben Aknoun, puis placé en détention. Proche de l’opposition, soutenant le Hirak, il avait déclaré deux jours avant que le pouvoir, sous contrôle militaire, est une « mafia organisée », qui a « déjà le nom du futur président de la république et cherche un moyen pour le légitimer. » Ce qui sera interprété par le juge comme « outrage à corps constitué et atteinte au moral de l’armée ». Pour justifier son arrestation et le salir, la télévision nationale et d’autres télévisions privées proches du pouvoir affirment qu’il a usurpé le titre de moudjahid et l’identité de son frère. Indignés par ces méthodes, l’Organisation des moudjahidines et le Youcef Khatib, dernier colonel de la wilaya IV, interviennent pour réparer l’infamie. Lakhdar Bouregâa est bien né en hiver, le mercredi 15 mars 1933 à El Omaria, dans l’Atlas blidéen entre Chréa et Berrouaghia. Après son service militaire obligatoire comme sapeur alpin dans les neiges de Médéa, il rejoint en 1956 à 23 ans la wilaya IV alors dirigée par le colonel Ouamrane, puis par Slimane Dehilès et Mhamed Bouguerra, devient chef de la katiba Zoubiriya sous Youcef Khatib, dont il deviendra l’adjoint jusqu’à l’indépendance. En été.
Après 86 années d’une longe vie, six ans de maquis, deux ans de torture, sept ans de prison, cinq décennies d’opposition et deux opérations chirurgicales, Lakhdar Bouragaa vient de passer son quatrième mois de prison et vient juste d’obtenir sa première prolongation de mandat de dépôt. Il encourt jusqu’à 10 ans de prison. « Vous êtes illégitime », avait-il dit au premier juge à qui il a refusé de répondre. Surtout pas en été.