En Libye, le scénario des observateurs, notamment occidentaux, est que rien ne pourra être fait dans le sens de la paix dans ce pays sans le concours du maréchal Haftar, l’homme fort de Tobrouk.
Les informations qui circulent depuis plusieurs semaines déjà est que tous les acteurs directement ou indirectement influents dans le dossier libyen travaillent à ce que M. Haftar, qui se prévaut d’une forte armée soutenue par l’Egypte et les Emirats, du moins pour les plus connus des Etats qui lui prêtent main forte, joue les premiers rôles dans le processus en cours et qui consiste à donner davantage de consistance au gouvernement chancelant d’union nationale, le GNA, de Fayez Sarraj.
Des rôles pour lesquelles le maréchal Haftar sollicite tous les appuis et soutiens possibles, y compris russe, notamment pour s’emparer du portefeuille de la Défense, estiment des observateurs de la très compliquée scène libyenne, mais qui ne plaisent pas à tout le monde. Surtout pas aux milices qui ont fait l’essentiel pour la précipitation de la chute du régime de Kadhafi en 2011 et qui ont continué après, notamment à Tripoli et dans l’Ouest libyen où elles sont bien implantées. D’ailleurs, ce sont probablement ces milices qui sont venues de la région de Misrata pour rejoindre cette semaine la capitale Tripoli où elles ont annoncé la création d’une force armée «indépendante», suscitant l’inquiétude des autorités locales et de Washington. Hier, samedi, une source proche du gouvernement d’union (GNA) a précisé que la plupart des groupes armés arrivés dans la capitale faisaient partie des forces qui ont chassé l’an dernier le groupe Etat islamique (EI) de Syrte. «Ils se sentent maintenant marginalisés et sont à la recherche d’un appui», a ajouté cette source sous couvert de l’anonymat, précisant que des réunions étaient en cours samedi avec leurs commandants «pour tenter de trouver une solution». Aux yeux du maréchal Haftar, qu’on dit proche d’un accord avec le gouvernement de Fayez Sarraj, ces milices et autres groupes armés sont considérés comme des «terroristes». On peut alors deviner le sens du mot «marginalisation» que M. Sarraj a utilisé à propos de ces groupes venus à Tripoli de Misrata, une région qui, pour rappel, le maréchal Haftar n’aime pas beaucoup l’entendre, a été le point de départ de l’offensive militaire contre Syrte, le bastion de l’Etat islamique en Libye, aujourd’hui en net repli dans le pays. Il est donc probable que l’arrivée de ces groupes armés à Tripoli soit une manière de rappeler leur présence comme leur rôle sans doute encore prépondérant sur la scène politico-militaire libyenne, notamment dans sa partie Ouest et là où les troupes du maréchal Haftar, qui contrôlent tout de même le «croissant pétrolier», n’y sont pas. Jeudi dernier, Mahmoud Zagal, un commandant militaire de Misrata, a annoncé la création d’une «Garde nationale libyenne sans appartenance politique» qui aura pour mission de combattre l’EI, de sécuriser les institutions de l’Etat et les missions diplomatiques. M. Zagal n’a pas précisé si cette «Garde nationale» appuyait ou non le GNA. Mais selon des sources locales, plusieurs des milices qui la composent étaient loyales à Khalifa Ghweil, un ancien dirigeant qui avait autoproclamé en 2014 à Tripoli un «gouvernement de salut national» et n’avait ensuite pas voulu reconnaître le GNA quand ce dernier s’était installé dans la capitale en 2016. L’annonce de la création de «la garde nationale» affaiblit encore plus le GNA et inquiète les Etats-Unis dont le département d’Etat a déclaré vendredi dernier dans un communiqué qu’ils remarquent «avec inquiétude l’entrée à Tripoli de nombreux véhicules armés d’une organisation prétendant être la garde nationale libyenne». «Ce déploiement risque de déstabiliser davantage la sécurité déjà fragile à Tripoli», a ajouté le département d’Etat en appelant à la construction d’une «force militaire nationale unifiée sous commandement civil capable de fournir la sécurité à tous les Libyens et de lutter contre les groupes terroristes».
A l’ONU, c’est aussi la discorde
Ces développements interviennent dans un contexte de constat d’échec de la mission de paix menée par l’émissaire onusien Martin Kobler qui cumule ainsi un deuxième revers après avoir raté sa mission à la tête de la Monusco en République démocratique du Congo, RDC. Jeudi dernier, le secrétaire général de l’ONU en a informé le Conseil de sécurité ainsi que les protagonistes libyens que M. Martin Kobler est en fin de mission car il n’est pas parvenu à favoriser l’extinction des dissensions et des violences. Le problème est que son remplaçant désigné, Salam Fayyad, ancien Premier ministre de l’Autorité palestinienne de 2007 à 2013, est bloqué par Washington. Vendredi dernier, l’ambassadeur des Etats-Unis aux Nations unies a annoncé que son pays n’a pas l’intention de soutenir la nomination M. Fayyad comme émissaire des Nations unies en Libye. Après son élection mais avant son arrivée à la Maison Blanche, Donald Trump avait critiqué une résolution de l’ONU adoptée en décembre – à la faveur d’une abstention des Etats-Unis – qui réclamait la fin des colonies israéliennes. Mme Haley avait ensuite promis devant l’ONU de défendre les intérêts d’Israël. «Depuis trop longtemps, les Nations unies ont injustement favorisé l’Autorité palestinienne au détriment de nos alliés en Israël» (sic), a fait valoir l’ambassadrice Nikki Haley dans un communiqué, en exprimant sa «déception» à propos de cette nomination. «Les Etats-Unis ne reconnaissent pas actuellement un Etat palestinien ou ne soutiennent pas le signal que cette nomination enverrait aux Nations unies. Cependant nous encourageons les deux parties à unir leurs efforts directement pour trouver une solution», a-t-elle ajouté. La nomination de l’ancien Premier ministre de l’autorité palestinienne est la première désignation majeure d’un émissaire dans une zone de conflit par Antonio. Guterres depuis son arrivée à la tête de l’ONU début janvier. Hier, samedi, les Palestiniens ont qualifié de «discrimination flagrante» la décision de Washington de bloquer à l’ONU la nomination de l’ancien Premier ministre palestinien Salam Fayyad comme émissaire des Nations unies en Libye. «Bloquer cette nomination constitue un cas flagrant de discrimination fondé sur la base d’une identité nationale», a déploré dans un communiqué Hanane Achraoui, une dirigeante palestinienne membre du comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). «Il est impensable que l’ambassadeur des Etats-Unis bloque la décision du secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres de nommer l’ancien Premier ministre palestinien Salam Fayyad comme envoyé de l’ONU, en prenant comme piètre excuse que l’ONU a été injuste et en faveur de l’Autorité palestinienne au détriments de nos alliés en Israël», a dénoncé Mme Achraoui.