L’immigration algérienne en France du XXe siècle (2e partie) : Une main-d’œuvre disponible et bon marché

L’immigration algérienne en France du XXe siècle (2e partie) : Une main-d’œuvre disponible et bon marché

Les immigrés algériens, cible privilégiée du discours raciste, sont aussi au centre des discours antiracistes. En effet, la guerre d’Algérie a provoqué à la fois une exacerbation du racisme et de l’antiracisme.

Dans les années 1950 les communistes, qui avaient joué un grand rôle pour la défense des immigrés depuis les années 1920, sont débordés sur leur gauche par la mouvance anticolonialiste, fortement soutenue par des intellectuels comme Jean-Paul Sartre.

Dès cette époque, sa revue : les Temps Modernes établit une équivalence entre colonialisme, racisme et immigration, focalisée sur les émigrés algériens [21]. Lors d’un meeting organisé en janvier 1956 par le Comité d’action contre la poursuite de la guerre d’Algérie, Sartre donne une légitimité philosophique à ce point de vue, en affirmant : « le colonialisme est un système ».Cette période se caractérise aussi par un fort développement du racisme anti-algérien, alimenté par les nostalgiques de l’Algérie française. L’OAS, malgré son interdiction, conserve une certaine influence dans les milieux d’extrême droite, notamment en raison des amnisties dont ont bénéficié ses chefs. Ses membres prennent régulièrement pour cible les travailleurs algériens vivant en France. Entre mars et juin 1971, huit Algériens sont victimes d’attentats racistes. Le paroxysme de ces violences, qui touchent surtout le sud de la France, est atteint pendant l’année 1973, à Marseille. Là encore, c’est un fait divers qui sert de prétexte. A la suite du meurtre d’un traminot par un déséquilibré d’origine algérienne, des expéditions punitives sont organisées contre les immigrants. Des appels à la « ratonnade » sont suivis par le mitraillage de plusieurs foyers SONACOTRA et des bidonvilles. Au total sept personnes d’origine algérienne et marocaine sont tuées. Un très fort climat d’insécurité règne dans la population immigrée.

L’assassinat de Lounès Ladj, le 28 août 1973, abattu à la sortie d’un café, entraîne une révolte collective de la communauté algérienne. Une grève de plusieurs jours est organisée aux usines de La Ciotat. Elle s’étend ensuite à l’ensemble des départements des Bouches du Rhône et du Var. Quelques mois plus tard, en décembre 1973, Marseille est à nouveau le théâtre de cette violence raciste. Un attentat contre le consulat d’Algérie est organisé par le mystérieux club « Charles Martel ». Il fait quatre morts et douze blessés graves. C’est à la suite de ces événements que le gouvernement algérien décide de suspendre l’émigration en direction de la France [20]. Au total, on peut estimer qu’entre 1971 et 1977, au moins 70 Algériens ont été victimes de crimes à caractère raciste en France.

Cette intensification de la haine à l’égard des immigrés est due aussi à l’exploitation qu’en a faite la presse, notamment les journaux d’extrême droite, comme Minute. L’exemple de « l’été rouge » de Marseille montre clairement que certains journaux locaux soufflent eux aussi braise sur le feu. Les titres des articles du Méridional sur ces événements se passent de commentaire : « Les immigrés attaquent » (20 juin 1973) ; « Ceux qui vont nous amener la guerre raciale » (5 septembre 1973).

Les immigrés algériens, cible privilégiée du discours raciste, sont aussi au centre des discours antiracistes. En effet, la guerre d’Algérie a provoqué à la fois une exacerbation du racisme et de l’antiracisme. Dans les années 1950 les communistes, qui avaient joué un grand rôle pour la défense des immigrés depuis les années 1920, sont débordés sur leur gauche par la mouvance anticolonialiste, fortement soutenue par des intellectuels comme Jean-Paul Sartre. Dès cette époque, sa revue : les Temps Modernes établit une équivalence entre colonialisme, racisme et immigration, focalisée sur les émigrés algériens [21]. Lors d’un meeting organisé en janvier 1956 par le Comité d’action contre la poursuite de la guerre d’Algérie, Sartre donne une légitimité philosophique à ce point de vue, en affirmant : « le colonialisme est un système ».

En Mai 68 et dans les années suivantes, les militants d’extrême gauche, dont beaucoup sont nés à l’action politique au moment des luttes contre la guerre d’Algérie, multiplient les actions en faveur des travailleurs immigrés, soutenant les nombreuses grèves que ceux-ci déclenchent, notamment dans l’industrie automobile. Cette période est également très importante pour la lutte contre le racisme. Le meurtre d’un jeune algérien, Djellali Ben Ali, tué par le concierge d’un immeuble de la Goutte d’Or, le 27 octobre 1971, entraîne une riposte de grande envergure. Sous l’impulsion des militants du Mouvement des travailleurs arabes (MTA), ses obsèques donnent lieu à une manifestation qui rassemble plusieurs milliers de personnes. Un « comité Djellali » est créé dans la foulée, qui réunit des intellectuels prestigieux, comme Jean-Paul Sartre, Michel Foucault, Gilles Deleuze, Michel Leiris et Jean Genet.

Grâce aux romanciers, aux sociologues, aux chanteurs de rock et aux cinéastes, le racisme anti-arabe commence à être systématiquement dénoncé. Une bonne partie de la jeunesse et des nouvelles classes moyennes adhèrent progressivement aux idéaux antiracistes. Une sorte de consensus apparaît entre la gauche et la droite républicaines sur ce sujet, à tel point que la loi du 1 er juillet 1971 visant à réprimer les actes racistes et xénophobes est adoptée à l’unanimité par le Parlement. Du coup, la droite va légitimer les mesures prises pour restreindre l’immigration algérienne, en mobilisant elle aussi à la rhétorique antiraciste. Le discours prononcé à l’Académie des sciences morales et politiques en 1970 par Michel Massenet, le premier directeur de la Direction Population et Migration (DPM), illustre parfaitement cette nouvelle logique. Après avoir insisté sur la présence d’« une immigration d’un type nouveau dont les capacités d’adaptation et plus encore d’assimilation à notre vie sociale ne sont pas évidentes », il ajoute : « Si la situation pouvait devenir explosive, ce ne serait pas sur le plan politique, ce serait sur le plan de la tolérance sociale, des tensions entre communautés » [22]. Nous voyons clairement ici l’élaboration d’un nouveau discours d’exclusion. Le « problème » de l’assimilation des immigrés est plus important que jamais, mais ce n’est plus pour des raisons biologiques ou militaires. La « menace » est désormais posée en termes sociaux, en raison des difficultés de cohabitation entre « communautés ». Les références aux États-Unis deviennent systématiques pour alimenter le discours sur les risques d’« émeutes raciales ».

Quelques années plus tard, le secrétaire d’État à l’immigration Lionel Stoleru, va utiliser le même type d’arguments « antiracistes » pour tenter de justifier les retours forcés des immigrant algériens (autour du thème : il faut réduire le nombre des immigrés pour empêcher la montée du racisme).

La nouvelle politique d’immigration adoptée au début des années 1970 va provoquer une rapide décroissance des flux migratoires. Désormais, seuls le droit d’asile et le regroupement familial permettent aux étrangers de s’installer en France. Conséquence : la population étrangère commence à diminuer au cours de cette période, passant de 3,7 millions de personnes en 1982 à 3,3 millions en 1999. On note aussi une modification importante de la répartition entre nationalités. Le nombre des Italiens et des Espagnols baisse fortement, mais la chute la plus spectaculaire concerne les Algériens dont les effectifs sont réduits de moitié entre 1982 et 1999 (805 000 à 475 000 personnes). Inversement, on constate que la population marocaine augmente (441 000 à 506 000), la progression la plus nette concernant les immigrants en provenance des États de l’Afrique subsaharienne (157 000 à 282 000) et de l’Asie (289 à 410 000). Les Portugais constituent toujours la communauté étrangère la plus nombreuse sur le territoire français à l’aube de l’an 2000.

Ces chiffres montrent que l’immigration algérienne est engagée dans le même cycle que l’immigration italienne avant elle. Le nombre des étrangers de nationalité algérienne a diminué rapidement ces dernières années, en raison de l’accélération du processus de « francisation » des travailleurs venus d’Algérie et fixés en France entre les années 1950 et le milieu des années 1970