«Voulez-vous que l’Algérie devienne un Etat indépendant coopérant avec la France dans les conditions définies par les déclarations du 19 mars ?»
Telle est la question que soumet Abderrahmane Farès, lors d’une rencontre secrète à l’Elysée, au général de Gaulle, au cours de laquelle il suggère aussi la fixation du référendum au 1er juillet(1) . Le chef de l’Etat français, qui adoube les deux propositions de Farès, souligne : «L’essentiel est que le référendum puisse se dérouler normalement.»(2)
De retour à Alger, le président informe ses collègues de l’Exécutif provisoire de sa démarche et obtient l’accord du président Benkhedda sur la teneur de la question et la date de tenue du référendum. «Le soir même j’annonçai à la télévision que le référendum aurait lieu le 1er juillet et qu’une seule question serait posée à tous les Algériens.»(3) En place au Rocher-Noir depuis le 7 avril 1962, l’Exécutif provisoire(4) s’attache, en rapport avec le haut commissaire français, Christian Fouchet, à mettre en place et à gérer les institutions d’une transition compliquée, marquée par la violence et dont l’organisation du référendum sur l’indépendance demeurait l’objectif central. Peu de choses ont été, à bien y regarder, écrites sur cette séquence qui va de l’annonce des accords d’Evian à la proclamation des résultats du référendum du 1er juillet 1962 qui devait conditionner l’émergence formelle de l’État nation algérien. La politique de la terre brûlée de l’OAS, en application de la circulaire Salan de février – «leur rendre l’Algérie dans l’état dans lequel nous l’avions trouvée» disaient les porte-parole de l’OAS –, la mise en avant des départs massifs des Européens d’Algérie, a largement brouillé la complexité des missions d’un Exécutif provisoire, gouvernement improbable, dont la composition mixte – Algériens musulmans et Européens – procédait plus du passé qu’elle ne préfigurait l’avenir.
1- La transition de tous les dangers
En relation quotidienne avec le Haut Commissariat de la France, le préfet de police de la capitale et avec les structures administratives – préfectures, sous-préfectures – reconduites et partiellement algérianisées, soumis aussi plus ou moins formellement à l’aval du GPRA – le FLN y étant représenté par un groupe dirigé par le Dr Mostefaï –, l’Exécutif provisoire avait notamment en charge la lancinante question de la sécurité. Alors qu’aux termes des Accords d’Evian les forces armées adverses devaient se maintenir dans leur cantonnement – les éléments de l’armée dite des frontières ne pouvant rejoindre le territoire national qu’au lendemain de l’indépendance –, la responsabilité de l’ordre public relevait des «Forces locales» dont la composition comme la direction étaient controversées. «J’apprends avec stupéfaction que l’unité de la Force locale stationnée aux environs d’El-Harrach est commandée par le “colonel” Cherif Saïdi, l’assassin du colonel Ali Mellah et de plus de mille djounoud de la Wilaya VI. Cet ancien sergent de l’armée d’occupation, colosse bouffi de graisse et affamé de pouvoir, m’a échappé une fois alors qu’il était au bout de mon fusilmitrailleur »(5), témoigne le commandant Azzedine, commandant de la Zone autonome d’Alger. Les institutions de la transition pouvaient-elles aussi – les hommes, les ambitions – être à l’abri des projections politiques et des calculs de l’après-indépendance d’autant qu’à quelques semaines de la date du référendum, il était difficile tant pour les acteurs que pour les observateurs de dire quel scénario pouvait prévaloir au lendemain du 1er juillet ? Prévenir les provocations demeurait, dans ce contexte, l’un des soucis prioritaires du GPRA, et Benyoucef Benkhedda l’exprime sans ambiguïté à Abderrahmane Farès lors de leur rencontre du début juin à Tunis : «Pour tous nos militants civils et militaires, la consigne doit être le calme absolu»(6), qui rappelle aussi les responsabilités de l’armée française face aux exactions de l’OAS. Dans la capitale en particulier, cible privilégiée avec Oran, de l’OAS, terrain aussi de la lutte contre l’organisation ultra des militants du mouvement pour la coopération de Lucien Bitterlin – les fameux barbouzes – en butte avec les stratégies obliques de la Force locale, les missions de protection des populations musulmanes et de leurs quartiers étaient particulièrement ardues pour les responsables de la Zone autonome d’Alger. C’est entre tous ces feux contraires – auxquels la crise de plus en plus ouverte et spectaculaire au sein de la direction du Front allait rajouter le poids des incertitudes et des déchirements – que l’Exécutif provisoire devait travailler à assurer les balises de l’indépendance, à savoir la tenue dans des conditions acceptables de sécurité du référendum décisif du 1er juillet. Tout en s’y attachant, l’Exécutif provisoire, au travers de commissions paritaires algéro-françaises, s’attelait à définir les cadres juridiques de la coopération projetée entre les deux États par les Accords d’Evian – qui devaient être signés à Paris le 28 août –, ne sachant pas trop par quelle crise ses efforts seront rattrapés. L’initiative de Abderrahmane Farès d’engager, à la mi-mai, des contacts directs avec Susini et l’OAS, soutenue du bout des lèvres par le GPRA, décriée et convoquée dans la crise du FLN par l’EMG et ses alliés, aboutira, après moult contacts et suspicions à l’accord du 17 juin(7) qui, quelle que soit la lecture que l’on en fasse, contribuera peu ou prou à lever l’une des hypothèques sur l’organisation du référendum auquel, sans illusion, l’OAS appellera à voter en faveur du oui. L’OAS continuera son œuvre criminelle, notamment à Oran – qui, au passage donne une indication claire sur les dissensions entre les dirigeants d’Alger et la branche oranaise de l’organisation – alors que les départs massifs des Européens frappent déjà d’obsolescence certaines des hypothèses politiques de l’après-indépendance liées à la place et au rôle de la communauté européenne dans les institutions et l’économie du nouvel État. Comment alors ne pas relever qu’aux lourdes hypothèques politiques pesant sur la tenue du référendum pouvaient s’ajouter des soucis plus véniels comme en témoigne Abderrahmane Farès : «Il a fallu des prouesses pour obtenir en temps voulu les enveloppes (introuvables en Algérie, elle furent acheminées de Hollande) et bulletins de vote destinés aux préfectures et sous-préfectures pour être distribués aux communes.»(8)
2- L’indépendance : Une irrépressible maturation
C’est en juin 1926 que l’objection d’indépendance de l’Algérie est pour la première fois assignée comme objectif par une organisation politique, en l’occurrence l’Etoile nord-africaine, créée sous influence du PCF, mais c’est en février 1927 qu’il est publiquement déclaré à Bruxelles devant le congrès tenu par «La Ligue contre l’oppression coloniale.» Messali Hadj énonce les objectifs de l’Etoile qui, note André Nouschi, «frappait par la nouveauté des thèmes, notamment celui de l’indépendance de l’Algérie que Messali était le premier à revendiquer »(9). Le discours de Bruxelles peut être tenu à tous égards comme fondateur de la démarche indépendantiste qui devait largement cliver les débats politiques sur le destin de l’Algérie, particulièrement au sein des formations et des élites indigènes. L’indépendance s’inscrivait clairement en contrechamp des demandes des autres acteurs du mouvement national algérien – Fédération des élus, communistes, association des Oulémas – portant sur la promotion des droits civiques et politiques des indigènes dans le cadre de la République française. L’indépendance comme horizon du combat politique devait être spectaculairement rappelée lors du meeting d’août 1936 du stade municipal d’Alger par le même Messali qui, s’adressant aux Algériens et à ses contradicteurs, une poignée de terre à la main déclarait : «Cette terre n’est pas à vendre. Elle a ses propriétaires et ses héritiers.» Au lendemain de la dissolution de l’Etoile, la création en mars 1937 du Parti du peuple algérien (PPA) et de son enracinement en Algérie, la question de l’indépendance s’ancre de manière marquée dans la conscience collective et l’espace public. Les travaux de Omar Carlier, entre autres, rendent compte de manière fine et documentée sur l’acculturation «étoiliste » des acteurs plébéiens dans les villages et bourgs algériens(9), et l’adhésion aux thèses du PPA trouvera sa spectaculaire validation dans le cadre des AML, Association des amis du Manifeste et des libertés, regroupant tous ceux qui adoubaient la démarche du Manifeste initié en mars 1943 par Ferhat Abbas et des élus indigènes et à laquelle le PPA clandestin avait donné son aval. C’est à l’appel des AML que les Algériens sortiront manifester le 8 mai 1945, et tous les historiens s’accordent, à dater de l’insoutenable répression du Constantinois –qui s’était poursuivie jusqu’à octobre 1945 – à reconnaître la fracture décisive devant aboutir à l’insurrection de novembre 1954. La formation du MTLD, vitrine légale du PPA, comme celle, en février 1947, de l’Organisation spéciale (OS) indiquent, au-delà des querelles qui allaient marquer l’organisation, la réalité politique de la nationalisation de l’idée de l’indépendance d’une part, et d’autre part son inscription dans les diverses strates de la société algérienne. L’histoire, qui aura à trancher la question de Messali et de ses rapports avec la guerre d’indépendance, doit d’ores et déjà lui reconnaître le mérite d’avoir porté la revendication de l’indépendance des cercles parisiens et des milieux de l’émigration dans le cœur des campagnes et des viles algériennes, et les fondateurs du Front de libération nationale, reprenant à leur compte l’objectif de l’indépendance et décidant du recours aux armes, rompront plus avec l’homme, ses méthodes qu’avec l’esprit qui avait animé ses combats. Il reviendra à Abane, alors le moins messaliste d’entre eux, de négocier le consensus historique autour de l’indépendance avec les autres acteurs du mouvement national, faisant du FLN un véritable front chevillé à l’objectif porté comme un rêve sur les bords de la Seine un demi-siècle plus tôt.
3- Une marche française vers l’indépendance algérienne
Le cours de la guerre d’indépendance aura tôt montré que l’adhésion des Algériens au FLN ne fut ni immédiate, ni unanime, ni par la suite dénuée de calculs, alors que du côté français l’opposition à la guerre d’Indochine – encadrée alors par un puissant parti communiste français – ne s’est que peu reportée sur un conflit algérien bien plus proche. C’est même le rassemblement des gauches qui imprimera un virage décisif à la guerre avec le vote des pouvoirs spéciaux en mars 1956. Le rappel du général de Gaulle par les insurgés algérois de mai 1958 se fera sous le signe de l’ambiguïté et des équivoques. L’homme du «Vive l’Algérie française » de Mostaganem se donne le temps de mesurer l’état des lieux, et l’une de ses convictions demeurait que quels que fussent les choix de la France, ils ne pouvaient s’appuyer que sur une position forte sur le terrain. Ce fut les grandes opérations du général Challe – Jumelles, Pierres précieuses, Couronnes – contre les maquis de l’ALN, les déplacements de populations, la création des camps de regroupements, dont l’objectif restait de couper le FLN et l’ALN des populations musulmanes et de tout soutien logistique et politique. Le tournant historique du 16 septembre 1959 et de la reconnaissance publique par le président français du «droit des algériens à l’autodétermination » ne procédait ainsi pas d’une forme de sympathie du général de Gaulle envers la cause algérienne mais s’inscrivait dans une stratégie de désengagement du «bourbier algérien» dictée par des considérations géopolitiques. La dégradation continue de l’image de la France dans le concert international, la perte de ses soutiens traditionnels, son isolement aux Nations unies, le désir gaullien de reconquête d’une position d’influence dans le monde, tous ces facteurs pèseront sur la politique algérienne française dont les intérêts des Européens d’Algérie – et les pressions concomitantes des ultras de l’Algérie française – constituent un inextricable volet. Entre tournées des popotes algériennes et déplacements provinciaux en métropole, le chef de l’État français affine ses positions sur l’Algérie et lance des petites phrases sur «l’Algérie algérienne» puis sur «une république algérienne qui n’existe pas mais qui existera» qui suscitent le rejet violent des Européens d’Algérie dont les épisodes de la semaine des barricades (janvier 1960) et le putsch des généraux (avril 1961) préfiguraient la séquence de l’OAS. Le 8 janvier 1961 le général de Gaulle voit sa politique algérienne plébiscitée en France (75% des suffrages) et largement soutenu en Algérie même (69% des voix). En dépit de manœuvres dilatoires, c’est bien avec «les représentants extérieurs de la rébellion» que les autorités française entament de laborieuses négociations dont l’objectif à terme est bel et bien la reconnaissance formelle de l’indépendance algérienne, démarche qui sera, au demeurant, très largement soutenue à travers le référendum du 8 avril 1962.
4- L’indépendance à l’ombre de la crise
De quoi sera faite l’indépendance algérienne ? Cette question, tous les observateurs de la guerre d’indépendance se la posent. Elle évoque, pour certains d’entre eux, le spectre de la guerre civile. Les motifs d’inquiétude les plus manifestes puisent d’abord dans les travaux du Conseil national de la révolution algérienne, instance suprême du FLN, (CNRA) réuni à Tripoli depuis le 27 mai, marqués par un climat de violences verbales, de diatribes et de mises en cause qui mettent à mal l’unité et la crédibilité du GPRA. Le CNRA se sépare dans la confusion dans la nuit du 5 juin, livrant le destin du FLN à la course au pouvoir dont l’alliance entre Ahmed Ben Bella et l’EMG constitue l’un des axes. Le constat reste que le crédit du CNRA, celui du GPRA, symboles aux yeux des Algériens et du monde du combat pour l’indépendance, était définitivement entamé alors que sur un autre registre des fédérations du FLN signalaient les agissements des éléments militaires relevant de l’autorité de l’EMG remettant en cause les instances régulières du Front. «On savait que Boumediène, chef de l’état-major, avait, par l’intermédiaire de Si Abdelkader, sollicité l’appui de Boudiaf dans le conflit qui, depuis quelques mois, l’opposait au GPRA. Face aux réticences de Boudiaf, il se résout à convaincre Ben Bella dont le soutien fut aussi acquis»(10), relève Ali Haroun, dirigeant de la Fédération de France du FLN.(10) La crise prend le pas sur le proche référendum et, de l’intérieur, se met en place une initiative d’appel à «rester unis jusqu’à l’élection de l’Assemblée nationale constituante pour la sauvegarde de l’unité territoriale et des intérêts de la nation»(11). Cette réunion des 24 et 25 juin, dite Zemmorah, rassemblait les responsables des Wilayas II, III, IV, de la Zone autonome d’Alger et de la Fédération de France du FLN et appelait à la dénonciation des membres de l’état-major. Le 30 juin, un communiqué du président du GPRA rendait publique la décision de destitution de l’EMG et de dégradation du colonel Boumediène et des commandants Mendjeli et Slimane. Décision aussitôt dénoncée par Ben Bella et déclarée illégale par les éléments de l’EMG. C’est en Algérie même que la crise se transportera dans la violence qui aura, miraculeusement, épargné ce dimanche 1er juillet. «Alger s’est réveillée de bonne heure ou peut-être n’a pas dormi toute à son attente fiévreuse. Les Algériens s’apprêtent à se rendre dans les bureaux de vote comme à une fête religieuse, silencieux, graves et disciplinés. Nous allons tous sceller notre serment du 1er Novembre», écrit le commandant Azzeddine(12). Le «non» remporte seize mille cinq cent trente-quatre voix, le «oui» six millions. Le mardi 3 juillet, le Conseil des ministres français, réuni sous la présidence du général de Gaulle, prend acte officiellement des résultats du référendum et rend publique sa reconnaissance officielle de l’État algérien, indépendant et souverain. Le général de Gaulle adresse un message en ce sens au président Farès qui en accuse réception et fait lever officiellement le drapeau national dans le ciel d’Alger. Le GPRA fait son entrée à Alger.
A. M.
NOTES
1- Farès (Abderrahmane) : La cruelle vérité. Casbah Editions – Alger 2000.
2- Farès op cité
3- Farès op cité
4- Farès op cité
5- Commandant Azzedine : Et Alger ne brûla pas, Enag Editions – Alger 1997.
6- Farès op cité
7- Merdaci Abdelmadjid : L’accord FLN-OAS,in Le
Soir d’Algérie 16 juin 2012.
8- Farès op cité.
9- Nouschi (André) La naissance du nationalisme algérien,Editions de Minuit Paris 1962.
10- Haroun (Ali) L’été de la discorde,Casbah Editions –Alger 2000.
11- Haroun (Ali) op cité
12- Commandant Azzedine op cité.
Les confusions du 5 juillet
La journée du 5 juillet est officiellement inscrite au calendrier des fêtes légales en Algérie au titre de «Fête de l’indépendance et de la jeunesse». Le fait est que l’indépendance ne peut se fêter qu’à la seule date de son avènement et de sa pleine reconnaissance par la communauté internationale, à savoir le 3 juillet. Quel serait en effet le statut de l’Algérie entre le 3 et 5 juillet, dans quel no man’s land juridique la placent ceux qui ont pris la décision d’ériger le 5 juillet en symbole en rapport avec les débuts de l’entreprise coloniale ? Les armées françaises débarquent à Sidi Fredj le 14 juin 1830 et le 5 juillet le Dey Hussein, représentant de la Sublime Porte, signe sa reddition aux autorités militaires d’occupation, leur livre Alger, déclarée ville ouverte et prend la mer avec sa smala. Comment justifier que la chute de la régence puisse devenir un symbole national algérien ?
Lettre du général de Gaulle à A. Farès
Paris le 3 juillet
Monsieur le Président,
La France a pris acte des résultats du scrutin d’autodétermination du 1er juillet 1962 et de la mise en vigueur des déclarations du 19 mars 1962. Elle a reconnu l’indépendance de l’Algérie. En conséquence, et conformément au chapitre 5 de la Déclaration générale du 19 mars 1962, les compétences afférentes à la souveraineté sur le territoire des anciens départements français d’Algérie sont, à compter de ce jour, transférés à l’Exécutif provisoire de l’Etat algérien. En cette solennelle circonstance, je tiens à vous exprimer, Monsieur le Président, les vœux profondément sincères, qu’avec la France toute entière, je forme pour l’avenir de l’Algérie. Je vous prie de croire, Monsieur le Président, à ma haute considération.
C. de Gaulle
Lettre du président Farès au général de Gaulle
Rocher Noir le 3 juillet
Monsieur le Président,
J’ai l’honneur, au nom de l’Exécutif provisoire algérien, de vous accuser réception de votre message et de prendre acte de la reconnaissance officielle, par la République française, de l’indépendance de l’Algérie. Conformément au chapitre 5 des déclarations d’Evian du 19 mars 1962, l’Exécutif provisoire a ainsi reçu à ce jour le transfert des compétences afférentes à la souveraineté sur le territoire algérien. Je vous remercie des vœux sincères que vous formez à l’adresse de l’Algérie, et j’exprime, à mon tour, au nom de l’Exécutif provisoire, en cette journée historique, les vœux sincères pour la France et pour une coopération féconde entre nos deux pays. Je vous prie de croire, Monsieur le Président, à l’expression de ma haute considération.
A. Farès
L’Exécutif provisoire
Président : Farès Abderahmane
Vice-président : Roth Roger
Finances : Manoni Jean
Affaires générales : Mostefai Chawki.
Agriculture : Cheikh M’hamed.
Ordre public : El Hassar.
Affaires sociales :Hamidou Boumédiene.
Travaux publics : Koenig Charles.
Affaires culturelles : Cheikh Bayoud.
Postes : Benteftifa Mohamed.
Affaires économiques : Abdesselam Belaïd
Affaires administratives : Chentouf Abderrazak
Le GPRA (septembre 1961-août 1962)
Benkhedda Ben Youcef : président.
Krim Belkacem : vice-président, ministre de l’Intérieur.
Ben Bella Ahmed : vice-président.
Boudiaf Mohamed : vice-président.
Aït Ahmed Hocine : ministre d’Etat.
Bentobbal Lakhdar : ministre d’Etat.
Bitat Rabah : ministre d’Etat.
Khider Mohamed : ministre d’Etat.
Mohammedi Saïd : ministre d’Etat.
Boussouf Abdelhafid : ministre de l’Armement et des Liaisons générales.
Yazid M’hamed : ministre de l’Information.
Dahlab Saâd : ministre des Affaires Etrangères.
Les dispositions du chapitre V de la déclaration générale du 19 mars 1962
Chapitre V : Les conséquences de l’autodétermination
Dès l’annonce officielle des résultats prévue à l’article 27 du règlement de l’autodétermination, les actes correspondants à ces résultats seront établis. Si la solution d’indépendance et de coopération est adoptée :
– l’indépendance de l’Algérie sera immédiatement reconnue par la France ;
– les transferts de compétence seront immédiatement réalisés ;
– les règles énoncées par la présente déclaration générale et les déclarations jointes entreront en même temps en vigueur ;
– l’Exécutif provisoire organisera ,dans un délai de trois semaines, des élections pour la désignation de l’assemblée nationale algérienne à laquelle il remettra ses pouvoirs.
ALGER LE 4 JUILLET 1962
La déclaration de Benkhedda président du GPRA
Après un long séjour imposé par les nécessités de la guerre, le Gouvernement provisoire de la République algérienne, détenteur de la souveraineté nationale, rejoint le sol algérien au moment où notre patrie accède à l’indépendance. Ces trente-deux ans d’occupation coloniale prennent fin. Ces trente deux ans de lutte héroïque, de sacrifices incalculables et de souffrances, sept ans et demi de guerre atroce nous ont été imposés pour arracher le droit le plus sacré pour un peuple : celui de vivre libre et indépendant. C’est grâce à l’unité, pétrie dans la lutte et l’épreuve, au sein du Front de libération nationale, et autour du gouvernement provisoire de la République algérienne, que le peuple a gagné la bataille de l’indépendance. Nous tenons à exprimer, au nom du gouvernement et du peuple algérien, notre gratitude profonde aux gouvernements et aux peuples frères et amis qui n’ont pas cessé de nous accorder leur appui durant les longues et dures années de notre combat. De même, nous n’oublions pas le rôle qu’ont courageusement joué les démocrates de France et d’ailleurs. L’Algérie est aujourd’hui indépendante, mais la lutte est loin d’être terminée. L’indépendance n’est pas une fin en soi, elle est un moyen qui permet d’atteindre les objectifs économiques et sociaux sans lesquels on ne peut parler de révolution. A ce titre, des tâches immenses nous attendent. Il faut rebâtir le pays, créer une économie nationale au service du peuple, réduire la misère et l’analphabétisme, recaser les regroupés et les réfugiés. Il faut donner à l’Algérien et à l’Algérienne les moyens de vivre décemment et d’épanouir leur personnalité dans le cadre de notre culture nationale. Par ailleurs, nous sommes liés aux Accords d’Evian conclus entre le Gouvernement provisoire de la République algérienne et le gouvernement français et ratifiés par le vote massif du peuple algérien le 1er juillet. Ces accords, qui ont mis fin à la guerre atroce, constituent une grande victoire. Ils consacrent l’intégrité du territoire et l’indépendance politique de l’Etat algérien. Nous les appliquerons loyalement. A côté des objectifs à terme, se posent des problèmes plus immédiats dont la solution conditionne impérativement la réalisation de ces objectifs. Il s’agit d’assurer le fonctionnement normal dans tous les secteurs de l’économie et de toutes les activités sociales et humaines. Le problème de l’heure, c’est l’Etat. Il est fondamental que l’Etat algérien repose sur des institutions démocratiques saines et solides. Il est capital pour la révolution de restaurer le cadre légal de l’ordre public, de la justice et de la défense nationale. La souveraineté nationale ne peut s’exprimer que dans le cadre de l’Etat. L’Etat aura la charge de garantir le droit des gens et des libertés fondamentales. Il aura la charge de promouvoir la politique économique, sociale et internationale, conformément aux objectifs de la révolution et aux vœux intimes du peuple. Il aura la charge d’assurer la défense de l’intégrité du territoire grâce à notre glorieuse Armée de libération nationale. Nos institutions étatiques seront le reflet fidèle du peuple algérien qui aspire profondément à l’ordre intérieur, à la paix pour s’adonner aux tâches immenses de la reconstruction. L’Etat sera le serviteur du peuple, et non son gendarme. Il doit s’appuyer sur le peuple, sans lequel il n’est rien. Nul gouvernement ne pourra opérer la reconstruction s’il n’est aidé par la discipline des citoyens, en général, et des militants, en particulier, et sans le respect de tous ceux qui vivent sur cette terre, quelles que soient leur origine et leur confession. Nous devons assurer la sûreté des biens et la sécurité des personnes. En cette circonstance solennelle, et au nom du GPRA, je tiens à rappeler ce que nous n’avons cessé de déclarer depuis le 1er novembre 1954 et concernant les Européens, à savoir qu’ils ont leur place en Algérie. L’Algérie est une République démocratique et sociale. Telle a été la volonté du peuple. Elle sera ce que le peuple lui-même voudra qu’elle soit dans la démocratie et la liberté. La volonté populaire constitue le barrage le plus solide contre la dictature militaire dont rêvent certains, contre le pouvoir personnel, contre les ambitieux, les aventuriers, les démagogues et les fascistes de tous bords. La volonté populaire a été le moteur du combat pour l’indépendance. Elle est la garantie de la victoire dans la bataille pacifique mais gigantesque de la reconstruction.