Près de 300 commerçants, installés sur ce terrain, attendent de savoir quelle sera, après sa saisine, la décision du Conseil d’Etat dans cette affaire où le ministère de la Justice et la commune d’El Biar se disputent 19.140 m² situés à proximité du Conseil Constitutionnel.
Après une intégration de 28 ans dans le patrimoine de la commune, voilà que le ministère de la Justice, le revendique. Selon les documents détenus par des parties concernées, depuis maintenant près de deux ans, le ministère de la Justice demande l’annulation de l’acte de propriété de la commune d’El Biar, car il est en possession d’un document similaire depuis 1976.
Le ministère avance que son document est authentique parce que l’arrêté lui a été remis par les services des Domaines, et qu’il contient toutes les mentions légales, dont l’enregistrement de l’acte de propriété. Pour récupérer ce terrain, le ministère de la Justice fait valoir, aussi, qu’il est destiné à des fins d’utilité publique.
S’il est admis en tant que partie civile, le ministère entend obtenir réparation du préjudice subi par «l’occupation illégale» du terrain et il réclame notamment que les frais de démolition des locaux commerciaux bâtis sur ce terrain, soient à la charge des commerçants.
UNE «HIBA» NON NOTIFIÉE
Les documents, dont un plan cadastral, révèlent que ce terrain a une histoire juridique particulière. A l’origine, il appartenait à des Français à travers un établissement dénommé «Bon Pasteur» qui en ont fait don, par un acte de «hiba» (donation), en 1976 au ministère de la Justice.
Cet acte de «hiba» n’a jamais été notifié ni à la commune, ni aux commerçants, tous ignoraient son existence, relève-t-on. Selon le plan cadastral que nous avons pu consulter, la parcelle litigieuse n’entre pas dans la surface objet de la «hiba».
On se demande alors, s’il n’y aurait pas deux plans ou, si simplement il n’y aurait pas confusion sur les parcelles ? Quoiqu’il en soit sur ce terrain de 19 140 m² dont a pris possession la commune d’El Biar, en 1981, plusieurs commerces ont vu le jour. Ce terrain avait été acquis par la commune d’El Biar, qui à l’époque lui avait coûté 765.000 dinars. Quand bien même cette transaction aurait pu être entachée juridiquement, la commune a été propriétaire de cette parcelle continuellement et «sans interruption pendant quinze ans» depuis 1981, et selon le code civil elle devient propriétaire par «prescription acquisitive», soulignent des juristes.
Cela dit, le 28 décembre 1981, c’est le wali d’Alger qui avait transféré la propriété de douze lots dont celui-là, à la commune d’El Biar, en la sommant de verser la valeur vénale de ces lots à la Caisse Centrale des Domaines d’Alger. Ce qui fut fait, indiquent des fonctionnaires communaux. Par ailleurs, un avocat interrogé sur cette affaire souligne que «cette parcelle est sortie du champ du domaine public au domaine privé de la commune par la volonté du propriétaire légal des biens de l’Etat».
En portant sa revendication en justice, le ministère de la Justice a remporté la première manche. La Chambre administrative de la Cour d’Alger, à Bir Mourad Rais, a dernièrement tranché en sa faveur. N’ayant pu avoir accès au jugement, on en ignore pour le moment l’argumentaire juridique. Par contre, on sait qu’il ordonne l’expulsion des commerçants du «Centre commercial de Ben Aknoun», lesquels n’ont pas encore eu notification de cette décision. Pour certains d’entre eux, il ne reste plus que le Conseil d’Etat comme recours.
LES COMMERÇANTS DÉPITÉS ET TENDUS
La quiétude habituelle du centre commercial a été bouleversée par cette décision. Ils sont près de 300, entre commerçants et artisans, à être installés dans les lieux depuis 28 ans. «Nous nourrissons au moins 1.500 personnes», affirme un des occupants, fils de chahid. D’autres dont des moudjahidine, soulignent qu’ils sont devenus propriétaires de leur fonds de commerce, des fonds qu’ils ont valorisés.
Naturellement, ils sont très inquiets et ils s’interrogent sur leur sort. «Nous expulser signifierait que nous sommes des indus occupants, alors que nous occupons les lieux de la façon la plus légale par rapport à nos obligations vis-à-vis de la commune d’El Biar et des impôts, notamment», souligne un de ces commerçants.
«C’est navrant parce qu’on nous met au ban de la société, alors qu’on est des citoyens à part entière, qu’on paie nos impôts, que nous avons des familles à charge», renchérit un autre commerçant qui se demande pourquoi il ferait les frais d’une affaire qui le dépasse complètement. Plusieurs locataires de ce centre commercial ne désespèrent pas qu’une solution «où prime la raison» soit trouvée, une solution qui ferait l’économie de l’exacerbation de la tension sociale, déjà perceptible sur place.
Laquelle? On suggère que la commune d’El Biar, si elle ne parvient pas à conserver «son bien», puisse recaser tous ces commerçants dans un autre espace similaire. D’autres commerçants entendent saisir le Conseil d’Etat pour qu’il tranche définitivement dans ce singulier dossier foncier.
Oualid Ammar