Louisa Hanoune, secrétaire générale du parti des travailleurs, à l’expression : « Le peuple refuse un régime militaire »

Louisa Hanoune, secrétaire générale du parti des travailleurs, à l’expression : « Le peuple refuse un régime militaire »

Par Hocine NEFFAH

La première responsable du Parti des travailleurs, Louisa Hanoune, répond dans cet entretien à nos questions qui ont trait à la situation politique inédite qui traverse le pays depuis l’enclenchement du mouvement populaire historique du 22 février. Hanoune n’y va pas avec une main morte pour exiger le départ de tout le système et non pas uniquement ses symboles. Il s’agit pour la secrétaire générale du PT d’un changement de la nature du système.

L’Expression: Le pays se trouve dans une impasse politique et institutionnelle, le mouvement populaire du 22 février maintient sa mobilisation, mais les solutions tardent à venir. Comment le Parti des travailleurs appréhende cette délicate situation?
Louisa Hanoune: Nous sommes dans une situation révolutionnaire, la question du système du pouvoir est posée avec acuité. Pour ainsi dire, il est question de la nature du système et du régime. Nous savons très bien que le système en place est en pleine décomposition, donc par voie de conséquence, ce système doit partir définitivement. Il s’agit d’une véritable confrontation et une véritable bagarre de la part des partisans du système pour la survie dudit système qui les a servis, alors pour la majorité aussi, il est question d’un changement du système pour réaliser ses attentes et aspirations démocratiques et de souveraineté populaire…

S’agit-il d’un processus révolutionnaire qui s’inscrit dans le temps?
Tout à fait, il s’agit d’un processus révolutionnaire qui s’inscrit dans le temps, contrairement à ceux qui croient qu’il s’agit d’un orage d’été. Ce n’est pas une «intifada» de colère, ce n’est pas un «Hirak» comme certains aiment à le qualifier, mais personne ne peut savoir quand la deuxième vague commencera, certes, nous pouvons faire des analyses et des pronostics, seulement, il faut se préparer à toutes les éventualités, en ce qui nous concerne, nous assumons notre responsabilité. Pour rester dans la même lancée qui a trait au processus révolutionnaire, le mouvement du 22 février, c’est le cinquième mandat présidentiel qui en a été le déclic, le mouvement s’est enclenché immédiatement au niveau des étudiants et après, le premier vendredi c’était le 22 février.

Mais pourquoi les partis n’ont pas pu prévoir ce qui allait advenir comme mouvement populaire aussi massif et de mobilisation historique?
Vous savez, nous ne sommes pas dans la période de la révolution de 1917 ni en 1974 avec la révolution portugaise ni en 1962 ni en 1989, nous sommes en 2019, nous sommes dans un contexte mondial complexe et marqué par l’offensive de l’impérialisme sans précédent contre les nations, contre les travailleurs et les peuples, pour ainsi dire, nous sommes dans une situation de décomposition politique avancée. D’ailleurs, tous les pays européens, là où la démocratie est née vivent la même situation, il y a beaucoup de similitudes même si nous savons que ces similitudes ne sont pas identiques en termes de situations qui sont propres pour chaque pays. Nos problèmes aussi font partie intégrante d’un système mondial. Cela se traduit à travers des lois scélérates et antisociales et autres lois en rapport avec les revendications socio-économiques, etc.
Il faut savoir que nous ne vivons pas en autarcie, le mouvement, j’allais dire spontané, massif comme l’on en n’a jamais vu depuis le siècle dernier, des millions qui sont sortis d’une manière auto-organisée avec si peu d’incidents. Mais en réalité, dès le 1er mars, les forces de la réaction et la contre-révolution ont commencé à mettre en place leur dispositif…

Ce qui est normal dans un contexte révolutionnaire, n’est-ce pas?
Ce qui est normal, bien sûr, cela s’est fait à travers des groupes et je vais donner un exemple, vous allez voir qu’en fait ce qui se passe en Algérie, ils veulent nous faire croire que dans ce processus révolutionnaire il se déroule un conflit entre deux responsables militaires, un ancien responsable, l’ex-chef du département du renseignement et de la sécurité (DRS) et le chef d’état-major actuel. Alors qu’en réalité, il s’agit du même système, seulement le centre de décision a changé, il y a aussi des pôles où parfois des intérêts divergent et parfois des divergences qui relèvent du point de vue politique carrément.

Donc c’est le même système hérité de celui du système du parti unique, élargi au RND et aux autres partis de l’alliance et les partis du deuxième collège et à l’oligarchie, en bref, toute la clientèle du système. Le système ce n’est pas un homme, ce n’est pas la famille de Bouteflika, tous ceux qui ont tiré profit du système en font partie, et ils veulent le défendre. Et à l’intérieur vous pouvez trouver un ministre qui n’a jamais fait partie du système, c’est juste un technicien ou un commis de l’Etat, et cela aussi s’applique aux militaires et civils qui ont prêté allégeance à l’Etat, et à ses institutions. Mais maintenant, le système veut faire une diversion, ils essayent de réduire la crise du système en une crise qui a trait à des personnes. Le mouvement du 22 février a exprimé clairement son rejet du système et tous ses symboles et non pas uniquement Bouteflika et les trois «B».

Quelle lecture faites-vous de la déferlante qui s’exprime de manière catégorique en hissant l’étendard du dégagisme? 
Justement, j’allais continuer dans la même lancée pour faire le lien entre ce dégagisme et les groupes qui ont pénétré le mouvement populaire dans les marches du vendredi pour s’attaquer aux partis politiques. Nous les avions identifiés. Ce sont des groupes qui ont des liens avec des hommes d’affaires et la mafia. Nous pouvons comprendre la révolte des jeunes, mais les attaques contre les partis politiques dans les marches populaires sont l’oeuvre d’un groupe inhérent aux tenants du statu quo, c’est une manière de discréditer les partis et les mettre sur le même pied d’égalité et que tous les partis se valent, donc, il faut s’attaquer à tout le monde, il y a des centres d’intérêt qui ont intérêt à faire ça, c’est-à-dire faire dans la diversion en ciblant des personnes. Plus le temps passe, la décantation s’opère, il faut dire que la majorité du peuple a une conscience et une maturité extraordinaire par rapport aux enjeux, et elle sait que le système doit partir et pas uniquement ses symboles.

Ce n’est pas uniquement la franche oligarchique et la famille Bouteflika, ce sont toutes les ramifications de ce système, y compris au niveau local et de wilaya. En réalité, il s’agit d’une stratégie pour semer la confusion et essayer d’avorter la révolution, c’est-à-dire détourner cette révolution vers un cours dislocateur à l’image du printemps arabe. Il s’agit en clair, d’une entreprise contre-révolutionnaire. Il faut dire que vendredi dernier, la majorité du peuple a affiché une clarté politique à travers les slogans et les mots d’ordre qui traduisent une seule revendication qui exige que tout le système doit partir.

Comment voyez-vous le rôle de l’institution militaire dans cette situation sensible et délicate à laquelle fait face le pays?
En réalité, ceux qui appellent l’armée à intervenir, portent un réel préjudice à cette institution militaire, ils veulent l’impliquer dans une crise révolutionnaire, l’exemple du Soudan est devant nous. Nous sommes en train de suivre ce qui se passe dans ce pays. Les Algériens et les Algériennes ne veulent pas ça, ils ne veulent ni d’un régime militaire ni un partage du pouvoir entre les civils et les militaires. C’est pour cette raison que le Parti des travailleurs était contre les transitions avec des personnes qui sont propulsées ou autoproclamées comme porte-paroles de la révolution alors qu’en réalité ils n’ont pas de mandat populaire.

Pour nous, la démocratie c’est le mandat. C’est pour cette raison propre à notre position que nous constatons qu’il y a tant de haine envers le Parti des travailleurs et contre ma personne. Parce que nous sommes restés fidèles à notre ligne politique, celle qui consiste à exiger le départ du système totalement et entièrement, et puis il s’agit de l’aspiration de la majorité du peuple. Nous pensons que le rôle de l’armée est bien défini, à savoir la préservation du pays, surtout dans le monde d’aujourd’hui et la question de la souveraineté. L’armée ne doit en aucun cas interférer dans les affaires politiques, d’ailleurs les interférences de ce genre pourraient constituer un danger à l’échelle internationale, les ingérences dans les affaires du Soudan sont là pour nous rappeler ses conséquences. Chez nous, jusqu’à aujourd’hui, les manifestations sont restées pacifiques, parce que c’est le peuple qui l’a décrété. C’est cette majorité du peuple qui a rendu impuissant le système à travers le caractère pacifique du mouvement populaire, elle a rendu impuissantes aussi les grandes puissances en refusant toute ingérence étrangère. A côté des marches qui se poursuivent chaque semaine, il y a des débats qui se sont enclenchés partout dans la société, dans les cafés, les universités et les usines.

Quelle solution propose le Parti des travailleurs pour sortir de cette crise délicate et est-ce que la solution réside-t-elle dans une issue négociée avec l’armée? 
Pourquoi négocier avec l’armée? Il n’y a pas d’issue négociée, c’est la majorité écrasante du peuple qui décide. Qu’ils s’en aillent tous, et après on discutera de la solution. L’armée n’est pas une institution civile ni un parti politique. La solution réside dans l’élection d’une Assemblée nationale constituante qui sera souveraine pour choisir le système politique qui répond à ses aspirations démocratiques, qui sera chargée de rédiger une nouvelle Constitution où les intérêts socio-économiques, politiques et culturels seront reflétés de la manière la plus claire.
En somme, c’est à la majorité d’élire et de choisir ses représentants à travers une constituante souveraine.