Les corrompus connaissent les lois et savent que le flagrant délit est la procédure la plus efficace lorsqu’il s’agit de confondre.
Un décret publié dans le dernier Journal officiel détaille les postes de fonctionnaires désormais soumis à la déclaration de patrimoine. Le texte réglementaire n’épargne aucune fonction dans l’administration, de sorte à ce que l’ensemble des commis de l’Etat devront, au titre du décret, faire leur déclaration de patrimoine avant d’entrer en fonction.
Le nombre impressionnant, pas moins de 246 postes concernés, de fonctionnaires appelés à se soumettre à cette nouvelle obligation légale, suppose une volonté des plus hautes autorités du pays de s’attaquer très sérieusement à la petite corruption dont se rend coupable une minorité de fonctionnaires, mais dont les effets en matière d’image touche l’ensemble des agents de l’administration. L’obligation de déclaration de patrimoine permettra d’éviter les chasses aux sorcières et les accusations mensongères. En fait, en affichant leur patrimoine au départ, tous les fonctionnaires seront à l’abri d’une poursuite judiciaire engagée sur la base d’une dénonciation calomnieuse. En outre, la lutte contre la corruption est un combat permanent et concerne l’ensemble des acteurs sociaux.
L’enrichissement illicite, ou tout au moins suspect, de certains fonctionnaires produit un effet dévastateur dans l’entourage de tout responsable, admis du jour au lendemain à un statut qui ne correspond pas du tout à sa rémunération. Les fameux signes extérieurs de richesse que les Algériens constatent au quotidien contribuent à la diffusion d’un sentiment qui a tendance à se généraliser au sein de la société et qui colle aux institutions de la République, la mauvaise réputation de «repaire de la corruption».
La réalité quotidienne de millions de fonctionnaires est aux antipodes de l’image détestable qu’offrent d’elles certaines institutions du pays. La vérité est que les corrompus existent en Algérie, comme partout ailleurs dans le monde. Mais l’opinion nationale a surtout tendance à focaliser sur les brebis galeuses de la République qui, il faut bien le reconnaître, ne cachent même pas un niveau de vie, plusieurs fois supérieur à celui de leurs collègues.
Même s’ils ne représentent qu’une petite minorité, les fonctionnaires véreux trouvent le moyen d’être dix fois plus visibles au sein de la société, que leurs collègues, sans que cela ne les atteigne dans leur lieu de travail. En fait, les corrompus connaissent les lois et savent que le flagrant délit est la procédure la plus efficace, lorsqu’il s’agit de les confondre. Ils font très attention à ne pas se laisser prendre, bien que l’actualité foisonne de cas de corrompus pris la main dans le sac.
Tentations criminelles
Comme partout ailleurs, l’Algérie subit les agissements de cette faune nuisible de la société et cherchent au même titre que beaucoup de pays le moyen le plus efficace d’en réduire la nuisance. Dans ce registre, la déclaration de patrimoine est une mesure appliquée par de nombreux Etats. La législation nationale prévoit l’obligation de déclaration de patrimoine pour les cadres supérieurs, à la prise de fonction et en fin d’exercice.
L’idée est que tout haut cadre de l’Etat justifie, preuve à l’appui, toute évolution de son patrimoine. Cela est bien entendu valable pour le président de la République, les ministres, les députés et autres hauts responsables dans la pyramide de l’administration nationale. Cette disposition légale, qui élargit le contrôle des avoirs aux membres des familles des concernés, limite les tentations d’enrichissement illicite des hauts cadres de la République. Ces derniers se doivent de justifier toute nouvelle acquisition immobilière ou autre.
Cette démarche vise à stopper la grande corruption dans les passations de marchés publics et autres grandes opérations gouvernementales. Il serait naïf de penser que le dispositif est totalement étanche, comme dans n’importe quel autre pays du monde, mais l’obligation de déclaration du patrimoine constitue une très sérieuse base pour une éventuelle investigation en cas de soupçon de corruption sur un haut fonctionnaire de l’Etat.
La loi qui protégeait jusque-là les deniers publics de la tentation de quelques criminels en col blanc, laisse la voie libre à la petite corruption, celle qui fait plus de mal à la société, puisque la victime n’est pas le Trésor public, mais le citoyen.
Désormais, la loi traquera aussi, les petits fonctionnaires et les cadres moyens, puisqu’au regard du décret publié par le dernier Journal officiel, la déclaration de patrimoine est rendue obligatoire pour une multitude de postes dans l’ensemble des départements ministériels et autres institutions de la République.
Pas moins de 246 postes sont concernés par le décret. Cela va des agents de la Protection civile, aux fonctionnaires du Trésor, en passant par les inspecteurs de police, jusqu’aux commissaires divisionnaires et les contrôleurs généraux.
En fait, le texte réglementaire ratisse très large et n’oublie aucune fonction. Cela donnera à la justice les moyens de poursuivre des ripoux, sans devoir systématiquement tendre une souricière. Des soupçons d’enrichissements illicites permettront à la justice d’ouvrir une information judiciaire à l’encontre d’un suspect susceptible d’être confondu à la seule comparaison entre sa déclaration de patrimoine et la situation réelle de sa fortune exprimée par des signes extérieurs de richesse.
Un office pour mieux traquer les corrompus
De fait, le décret aura le mérite d’isoler une bonne fois pour toutes, tous les corrompus à quelque responsabilité qu’ils soient. Ces derniers qui sont, faut-il le rappeler, très minoritaires dans l’administration, n’auront plus à se pavaner devant leurs collègues en exhibant des acquisitions injustifiées au regard de leurs salaires.
Il est clair que l’élargissement de la déclaration de patrimoine à toutes les catégories de fonctionnaires ne mettra pas fin à la corruption, mais sera d’une aide précieuse aux auxiliaires de justice dans les enquêtes qu’ils engageront dans le futur.
Il faut souligner, à ce propos, que la lutte contre la corruption ne s’arrête pas à la publication de la lois et de décrets, mais encore faut-il déployer de grands moyens sur le terrain pour une lutte sérieuse et efficace. Dans ce registre, l’Algérie dispose déjà d’un Office central de répression de la corruption-Opérationnel depuis mars 2013, et placé sous tutelle du ministère des Finances, cet Office constitue un outil opérationnel dans le domaine de la lutte contre les atteintes aux deniers publics. «Il est érigé en service central de police judiciaire chargé des recherches et des constatations des infractions dans le cadre de la répression de la corruption et de déférer les auteurs devant les juridictions compétentes», en vertu des dispositions de la loi 06-01 du 20 février 2006.
L’Office traite les dossiers transmis par les instances officielles, en plus des lettres de dénonciations émanant des citoyens. B
La liste des fonctionnaires astreints à la déclaration de patrimoine
Dans la police: inspecteur, inspecteur ayant la qualité de police judiciaire, lieutenant, commissaire, commissaire principal, commissaire divisionnaire, contrôleur et contrôleur général figurent dans la liste. Dans les douanes: agent de surveillance, agent de contrôle, brigadier, officier de brigade, officier de contrôle, inspecteur principal, inspecteur divisionnaire, contrôleur général, contrôleur général en chef. Dans l’administration des impôts: agent de constatation, programmeur fiscal, inspecteur des impôts et l’analyste fiscal, inspecteur des finances 1ère classe, inspecteur des finances, inspecteur des finances en chef, inspecteur général des finances, inspecteur général des finances hors classe..