« Made in Algeria » au MuCEM : l’Algérie à la carte

« Made in Algeria » au MuCEM : l’Algérie à la carte

Jusqu’au 2 mai, à Marseille, la cartographie retrace la colonisation de l’Algérie comme on ne l’avait jamais racontée. Une exposition-événement.

D’abord, il y a la beauté des pièces qui saisit d’emblée le visiteur de la nouvelle exposition du MuCEM : les cartes manuscrites invitent l’oeil à explorer cette « terra incognita » que resta longtemps l’Algérie, sujet de l’exposition « Made in Algeria, généalogie d’un territoire ». Une splendide « cosmographie universelle selon les navigateurs tant anciens que modernes » (1556) la situe approximativement. Et un siècle plus tard (1662), on observe sur le portulan de François Ollive, hydrographe marseillais, que le terme de Barbarie (ou Berbérie) a remplacé celui de Numidie et Mauritanie désignant jusque-là le vaste Nord du continent africain. L’Algérie « Vue de loin » est la première étape d’un parcours qui en compte quatre, de la pénétration française de 1830 jusqu’à l’indépendance de 1962. Les représentations du pays suivent, tambour battant, la colonisation en marche et, si la guerre d’Algérie n’est pas « traitée » en tant que telle, sa genèse se dessine, tout comme ses conséquences jusque dans le paysage contemporain des deux rives. Une impressionnante variété de documents (près de 200 pièces), cartes, dessins, tableaux, photos, affiches, films, dialogue admirablement avec le point de vue (algérien) d’artistes contemporains.  On doit à un vrai duo de commissaires cette exposition-événement : Zahia Rahmani, née en 1962 en Algérie, fille de harki arrivée à l’âge de trois ans en France, écrivaine et responsable du programme « art et mondialisation » à l’INHA, et Jean-Yves Sarazin, directeur du département des cartes et plans de la Bibliothèque nationale de France. On recommande les visites guidées retransmises sur le site internet par les commissaires et certains des artistes. En effet, l’exposition mérite temps et attention : un grand livre s’ouvre, jamais écrit de cette manière, nourri de documents rares et aboutissant effectivement à une relecture posée de la colonisation, dont voici quelques étapes-clés.

Reconnaître le terrain

Dépêché par Napoléon, l’espion Vincent-Yves Boutin signe cette superbe carte de « reconnaissance générale d’Alger faite en 1808. Comme bien d’autres, ces cartes proviennent du Service historique de la Défense, l’une des sources majeures de cette exposition : « Le service détient plus de 3 000 cartes sur l’Algérie », précise Zahia Rahmani. On y découvre les militaires en artistes…

Conquérir

À partir de 1830, après le débarquement à Sidi-Ferruch (le 14 juin), les peintures (peu nombreuses en proportion) témoignent d’artistes oeuvrant pour la plupart en « service commandé » : Gudin peint l’attaque d’Alger d’après les souvenirs des assaillants. Horace Vernet, dans une toile représentant la prise de Bône en 1832, a, quant à lui, suivi l’armée française : « Il oppose le fatalisme de l’Arabe à la détermination de l’armée d’Afrique », souligne la commissaire.  En 1847, Abd el-Kader est vaincu. En trois ans, Alger a disparu. Entièrement détruite comme le montre une maquette jamais exposée depuis 1941. L’une des étapes légendaires de la conquête reste « le passage des portes de fer » (1841) que les aquarelles de Dauzats ont immortalisé.

Peupler

Peu à peu, les documents racontent le peuplement de la colonie : cet « Avis aux ouvriers » exhorte dès 1848 les plus pauvres de France à trouver en Algérie de meilleures conditions de vie. Dans la représentation picturale, les grandes étendues sont magnifiées comme si tout un territoire vierge attendait ses maîtres… Jusqu’aux villes, telle Oran : disparue du paysage !

Renommer

En 1840, une carte des collections de la BNF représente les environs de « Philippeville » avec un terrain proposé pour servir de « réserve des indigènes »… La toponymie est un des axes passionnants de l’exposition qui montre comment l’on rebaptise chaque lieu de référents français effaçant le passé.

Piller

En 1846, le général Randon note dans son joli carnet autographe l’importance des ruines archéologiques et des sites romains.Les légionnaires emporteront des têtes et pièces diverses, et voilà comment le passé romain de l’Algérie lui échappe.

Cohabiter

Ces terrains vendus aux enchères (1930) ne le seront qu’« à des Français » (on est en 1930), lit-on sur une autre affiche. Ces derniers sont invités par une campagne publicitaire intense à s’installer dans le pays. Mais, en 1958, les scènes très émouvantes de ce film amateur sur la vie d’une exploitation agricole disent déjà que la cohabitation des colons et de leurs ouvriers vit ses derniers instants. Mais où sont les Algériens ? Les voici dans leur quotidien, sur le panneau de photographies prises à Tlemcen par l’écrivain Mohammed Dib « le premier photographe du peuple algérien », selon Zahia Rahmani. Et de nouveau visibles, sous l’objectif d’un instituteur français qui s’approche, d’une année sur l’autre, de ceux avec lesquels il cohabite vraiment avant d’être expulsé. Communiste.

Tracer, retracer

En 1845, le traité de Lalla-Maghnia extrait des archives diplomatiques du ministère des Affaires étrangères (avec autorisation spéciale de Laurent Fabius !) montre comment s’est imposée la frontière entre l’Algérie et le Maroc, encore un sujet brûlant… « Made in Algeria » a cette force :  expliquer par la carte comment un territoire passe entre les mains d’un pouvoir. Le film final de l’artiste Zineb Sedira, montrant son père arpentant sa terre d’autrefois, rend organique la cicatrice que laissent ces tracés. Dans une approche plus ludique, Hellal Zoubir avec Map Monde réinvente dans une caustique liberté la cartographie des puissances mondiales.

De Kateb Yacine à Mohammed Dib

En écho à l’exposition, la programmation culturelle enrichit le parcours, avec un temps fort du 10 au 15 mars qui débute sur une rencontre autour de Mohammed Dib. Ce cycle a commencé le 26 février autour de Kateb Yacine, célébré par un concert-lecture mémorable de Brigitte Fontaine réalisé par Tewfik Hakem, à l’occasion des 60 ans de Nedjma, le roman fondateur de la littérature contemporaine algérienne. Entre deux lectures de la chanteuse accompagnée de son groupe, à commencer par son compagnon Areski Belkacem, on y a vu Kateb, filmé au cours de l’émissionLectures pour tous, évoquant l’Algérie « aux origines obscures et complexes », soulignant « l’opacité d’un pays qui est en train de naître » : c’est exactement à ce constat que répond l’éclairante exposition « Made in Algeria ». Et les textes de son catalogue coédité par le MuCEM et les éditons Hazan.