Maher El-Assad, cadet du président syrien, fait figure de suspect dans l’attaque chimique du 21 août.
Il est celui qui agit dans l’ombre de son frère. Celui que les ennemis du régime appellent « le méchant », comme si Bachar El-Assad pouvait encore tenir le rôle du gentil. Aujourd’hui, les deux frères ont leurs destins liés. Mais s’il ne devait en rester qu’un, Maher serait celui-là.
Impulsif et cruel… Ainsi décrit-on cet homme de 45 ans féru de kickboxing. « Il est celui qui fait la sale besogne », témoigne depuis un pays du Golfe un ancien du régime. « Il est psychologiquement perturbé », avance même le politologue Antoine Basbous, spécialiste du monde arabe.
Les frères Assad aux obsèques de leur père Hafez, en compagnie d’Assef Chaoukat (à gauche), qui s’est opposé l’année précédente à Maher. Reuters.
Quelques faits d’armes ont entretenu le mythe. Le plus impressionnant est la rixe qui l’a opposé en 1999 à son beau-frère, l’ancien ministre de la Défense Assef Chaoukat. Après les injures, Maher sort une arme et tire. Le blessé passera plusieurs semaines au Val-de-Grâce. On attribue aussi à Maher la mort de Ghazi Kanaan, ancien chef des renseignements syriens au Liban puis ministre de l’Intérieur. Officiellement, Kanaan s’est suicidé en 2005. « Quand Maher a appris que Ghazi avaient pris contact avec Rafic Hariri [ancien Premier ministre libanais], il l’a fait tuer », assure un Libanais bien introduit à Damas.
Un tempérament imprévisible qui aura eu raison de ses ambitions
Selon sa belle-sœur Majd Jadaan, aujourd’hui réfugiée aux États-Unis, Maher est un personnage « très intelligent, timide, complexe » mais surtout « terrifiant ». D’autres proches ont une version différente. « La fois où je l’ai rencontré, il était charmant, très à l’aise », confirme un ancien cadre du pouvoir. Mais le Libanais pro-Assad d’ajouter : « On ne sait jamais ce qu’il pense. » Maher cultive effectivement le goût du mystère. « C’est un fantôme », glisse un diplomate qui a ses entrées dans la région. Sa dernière apparition publique remonte à plus d’un an. Les photos de lui sont rares.
La famille Assad autour du président Hafez (assis), avec Maher, Bachar et Bassel (de gauche à droite). Reuters.
Pourtant, ce dernier-né de la fratrie Assad a sans doute rêvé un jour d’accéder au pouvoir. Son parcours l’y préparait. L’adolescent taciturne suit d’abord des études d’ingénierie mécanique. Puis embrasse une carrière militaire, couvé par son frère aîné, Bassel. En 1994, ce dernier meurt dans un accident de voiture. Maher prend alors le commandement de la garde républicaine puis, de manière fulgurante, celui de la prestigieuse 4e division blindée. Il épouse aussi Manal, une sunnite, avec qui il aurait eu quatre enfants, deux filles et deux garçons, même si certaines sources ne parlent que de deux filles. Lorsque son père Hafez meurt en 2000, Maher est prêt à lui succéder. « Il a promu certains hauts gradés de l’armée afin de s’assurer de leur fidélité », explique un partisan. Malgré cela, c’est Bachar qui sera choisi. Le tempérament imprévisible de Maher aura eu raison de ses ambitions. Il reste tout de même au cœur de la boîte noire syrienne. Tout en menant une activité de businessman. « Depuis longtemps, Maher et Bachar ont deux passions : l’argent et les femmes », confie l’ancien officiel.
« Il fallait l’appeler ‘maître’ »
Maher aurait notamment la main sur le trafic de cigarettes, de drogue et de matériel électroménager en pays alaouite. Il travaille aussi avec son cousin germain Rami Makhlouf, affairiste patenté. Les deux hommes ont été mis en cause, sans que cela ait été prouvé, dans l’affaire de la banque libanaise Al-Madina, mouillée dans le scandale « pétrole contre nourriture » irakien. Au début des années 2000, Emma Suleiman, aujourd’hui porte-parole du CNS à Paris (Conseil national syrien, opposition), a travaillé quelques mois pour un bureau dirigé en sous-main par Maher. Il s’agissait de faire transiter du pétrole irakien, alors sous embargo, par la Syrie pour lui donner le tampon « Produced in Syria » : « Il repartait ensuite. Maher touchait sa commission. » Elle se souvient des passages fréquents du boss. « Il fallait l’appeler ‘maître’ et il était impossible de discuter ses ordres. » La jeune femme s’occupait aussi des à-côtés. Par exemple, lorsque son épouse repérait des sacs à main de marque dans des magazines, « on envoyait les pubs scannées aux ambassades de Londres ou Paris pour qu’elle puisse les acheter. »
En mars 2011 survient la révolte. La répression est brutale. Signée Maher? « C’est Assef Chaoukat qui a pris la décision de frapper fort, mais Maher était forcément au courant », explique le témoin libanais. Aux premières heures de la révolte, il reste en retrait. « Pas besoin de s’alarmer, Maher est encore en pyjama », disait-on dans les cercles alaouites syriens. Mais rapidement, sa division d’élite, 10.000 à 15.000 hommes majoritairement alaouites, est en première ligne à Homs. « Maher représente le dernier rempart pour la communauté alaouite », résume le diplomate.
« Le seul interlocuteur de l’Iran et de la Russie »
Qu’en est-il aujourd’hui des relations avec son frère Bachar? Pour Antoine Sfeir, directeur des Cahiers de l’Orient, « Maher ne se pose pas en concurrent ». Mais avec la militarisation de la crise, il a gagné en pouvoir. « C’est lui qui contrôle l’armée et le gouvernement », affirme même le soutien libanais. « Il est devenu le seul interlocuteur de l’Iran et de la Russie. Il a aussi un réseau d’informateurs dans tous les hauts rangs de l’armée et du gouvernement pour savoir si l’on fomente un coup contre lui. » La paranoïa est un point commun entre les deux frères. Non sans raison. « Au sein du pouvoir, les plus anciens les méprisent », assure l’ancien du régime. « Ils estiment en outre qu’ils les emmènent dans le mur. » Pourraient-ils être trahis? Deux sources bien informées affirment que la sécurité autour des Assad est assurée par des Gardiens de la révolution iraniens.
Et la responsabilité de Maher dans les attaques chimiques du 21 août? « Je n’y crois pas », répond Antoine Basbous. L’ancien officiel est moins affirmatif : « Maher a tissé des liens avec quelques chercheurs du CERS [Centre d’études et de recherches scientifiques, l’organisme où s’est bâti le programme chimique syrien]. Il n’a sûrement pas été décisionnaire mais aurait pu participer à la mise en œuvre d’une attaque. » Selon les renseignements américains, les roquettes auraient pourtant été tirées depuis le mont Qassioun, base de la 4e DB, dirigée par Maher. Autant de soupçons, non confirmés, qui nourrissent un peu plus la légende noire de Maher.