Maître de la Russie depuis 25 ans, il est une énigme pour les Occidentaux. Vladimir Fédorovski trace un portrait sans concession de l’espion devenu président.Vladimir Poutine est à nouveau dépeint par les Occidentaux comme un grand épouvantail. Son activisme pour annexer la Crimée a réveillé ses détracteurs, qui, après sa réélection à la tête de l’État russe, ses premiers succès économiques et l’incontestable réussite des Jeux olympiques de Sotchi, avaient préféré faire profil bas.
Ces derniers jours, les Américains le soupçonnent d’avoir dissimulé en Suisse près de 40 milliards de dollars et menacent de mettre la main sur son magot. Barack Obama annonce presque chaque semaine de nouvelles sanctions contre la Russie. On n’en finit plus de se demander qui est le vrai Vladimir Poutine, s’il est un dirigeant clairvoyant, un tsar autoritaire, un leader nationaliste ou un James Bond parvenu sur un malentendu à grimper au sommet du pouvoir ? Vladimir Fédorowski, moitié russe, moitié ukrainien par ses parents, tente de nous faire découvrir le vrai Poutine. Pour ce faire, il se penche sur l’enfance du chef dans son dernier livre Poutine l’itinéraire secret (*).
À égale distance entre les réformateurs et les conservateurs
Agent du KGB sans génie ni disposition particulière, il peine à sortir du lot. Ses supérieurs le décrivent (déjà ?) comme asocial et ne lui confient à Leningrad puis à Dresde que des missions subalternes. Au moment où l’URSS se disloque, les espions ne veulent plus de lui et le cantonnent à un rôle d’adjoint du directeur de l’université de la Venise du Nord. Anatoli Sobtchak, maire de la ville, le remarque et en fait son chef de cabinet. L’édile et son collaborateur sauront se maintenir à égale distance entre les réformateurs et les conservateurs dans une période où chaque camp marque des points, avant de perdre quelques mois plus tard le terrain conquis. Des centaines d’hommes et de femmes capables perdent leur énergie et leur crédit dans cette guerre de positions qui durera près d’une décennie. Derrière eux émerge une autre génération, sans doute pas la plus compétente, mais en tout cas rompue aux intrigues de cour et apte à tenir tête en milieu hostile…
Poutine est de ceux-là. Il s’acoquine avec une famille de mafieux, mais pas trop, profite de son tropisme allemand pour favoriser l’installation des banques allemandes à Saint-Pétersbourg et ne succombe pas trop aux prébendes que la corruption ordinaire offre aux hommes de pouvoir. Ajoutez à cela qu’Anatoli Sobtchak se rêve un destin national et voyage beaucoup. Pendant ses absences, il laisse la bride sur le cou à son poulain… Celui-ci se fait rapidement un nom, au point d’intégrer bientôt le cabinet et la proche administration de Boris Eltsine. Alcoolique, malade, usé et fatigué, le premier président de l’été post-soviétique use ses favoris, comme certaines femmes usent leurs amants. Certains sont trop mous, d’autres trop impopulaires, certains sont trop corrompus, d’autres trop impatients… En 1999, la roue cesse de tourner et s’arrête sur Vladimir Poutine, l’homme presque idéal qui a su se concilier au bon moment les différents clans qui s’affrontent dans le dos d’Eltsine. Il est le dernier Premier ministre du tsar Boris, et la route est droite. Il n’a plus qu’à attendre que le premier président de l’ère post-soviétique se retire.
L’argent pour les oligarques, le pouvoir pour lui
Reste ensuite à accorder une sortie décente à sa cour, et notamment à sa fille Tatiana. Ce fut fait en quelques semaines. Les oligarques qui avaient déjà amassé de solides fortunes purent encore multiplier leurs trésors. À une seule condition : ne pas faire d’ombre au nouveau maître du Kremlin et lui laisser l’intégralité de son pouvoir. Boris Berezovsky (mort à Londres en mars 2013) et Mikhaïl Khodorkovski (emprisonné pendant dix ans en Sibérie) mis à part, la plupart des milliardaires obtempérèrent. Poutine est alors le maître incontesté du pays. Il est élu deux fois président, en 2000 et 2004, « nomme » à sa place le docile Dimitri Medvedev en 2008 avant de récupérer son fauteuil en 2012. Que faut-il retenir de cette biographie et des chemins de traverse pris par Poutine pour accéder au pouvoir ? L’homme est incontestablement courageux et audacieux. Il ne recule ni devant les difficultés ni devant l’adversité. Il ne déteste pas la brutalité et a toujours su enflammer l’âme russe longtemps enfouie sous le communisme et la dérive du système soviétique. Il a fait du nationalisme une arme politique et économique, mais surtout un ferment d’union nationale.
Sobtchak décédé, on ne lui connaît pas d’ami. Économiquement, il a fait subir un traitement de choc à son pays, sabrant dans les retraites, construisant de grands consortiums sur les débris des méga-usines du communisme. Poutine a imposé un capitalisme à marche forcée à son peuple. Il a également tenté – sans succès pour le moment – de sortir la Russie de sa dépendance aux exportations gazières et pétrolières. La fin n’est pas écrite et Fédorovski se garde bien de jouer les voyants. Mais son encre se colore autant d’admiration que d’inquiétude. Happy end ou éternel retour aux crises russes ?