Malek Ouary Journaliste et romancier algérien (1916 – 2001), Le grain subsiste par delà tout

Malek Ouary Journaliste et romancier algérien (1916 – 2001),  Le grain subsiste par delà tout

La langue berbère constitue le réceptacle de toute une culture, de toute une tradition et de toute une façon de vivre et de penser.

Par S. Ait Hamouda

J’y suis très attaché, sans pour autant être contre que l’on s’instruise dans d’autres langues : plus on connaît de langues, plus on s’ouvre sur d’autres cultures, ce qui nous enrichit. Mais de-là à vouloir nier ou détruire la langue berbère, je suis radicalement opposé. À ce propos, je rejoins Mohammed Dib qui me confia un jour : «Si l’Algérie veut se réconcilier avec elle-même, il faut qu’elle reconnaisse son identité berbère».

Malek Ouary

Malek Ouary est écrivain, journaliste et enseignant épisodique de français qui a touché à l’ethnologie à travers «Poèmes et chants de Kabylie», publié aux éditions Saint-Germain-des-Prés Paris 1972. Mais le vrai Malek Ouary a de tout temps été un homme écartelé, séparé de sa langue, de sa culture et des dalles de schiste bleu, qui ne l’ont pas abrité, pour paraphraser Jean El Mouhoub Amrouche. Il est natif du même village que Taos et Jean, et tout comme eux, il était chrétien. Il est venu au monde le 27 Janvier 1916 à Ighil Ali chez les Ath Abbas et décédé le 21 décembre 2001. Interrogé sur son rapport avec la langue française, dans un dernier entretien qu’il a accordé à deux confrères, il répond sans ambages : «Certes, la culture française est l’une des plus vastes et plus riches au monde. Mais ce n’est pas la mienne. Evidemment, l’avoir acquise n’a rien de déshonorant. Au contraire ! Puisque, au-delà de l’instruction que j’ai pu avoir par son truchement, elle m’a permis d’ouvrir les yeux sur mon Histoire, ma culture et ma langue propres. Contrairement à ce que préconisait le colonialisme français qui ne nous imprégnait que de sa langue et de sa culture, nous ne sommes pas déracinés. Personnellement, ma berbérité ne s’est jamais endormie en moi. La preuve, à mon âge, je travaille encore régulièrement à la traduction berbère des poèmes et chants de Kabylie, qui seront réédités par Bouchène, ici, à Paris. Tous les matins, je suis à ma table de travail de neuf heures jusqu’à midi et demie». «Butin de guerre» qui lui a «ouvert les yeux» sur lui-même sans rien perdre de ses racines. Étant de la même génération que Féraoun, Mammeri, Dib, les Amrouche, quelles ont été ses relations avec eux, ou certains d’entre eux ? Il rétorque, «j’ai toujours eu d’excellents rapports avec eux. Concernant Féraoun, quand j’ai découvert son livre, Le fils du pauvre, à la bibliothèque du Gouverneur général d’Alger, je me suis dit : voilà encore un misérabiliste qui va pleurnicher sur son sort à longueur de pages. Mais le livre en question a eu le Prix de la ville d’Alger. Et sa lecture, loin de me livrer un lamento, elle m’a révélé une œuvre autobiographique et sincère d’un écrivain talentueux, plein d’humilité et de courage. Un jour, alors que radio-Alger m’a envoyé à Tizi-Ouzou pour un reportage sur l’artisanat, je n’ai pas hésité à aller le voir à Taourirt Moussa Ouamer, où il était instituteur. On ne se connaissait pas, bien sûr. Il m’a accueilli avec sa générosité légendaire, autour d’un couscous. Pour ce premier contact, on ne s’est pas dit grand chose. Mais l’ayant revu à Alger, au cours d’une réunion d’instituteurs, j’ai pu l’interviewer en lui consacrant toute une émission à la radio». Au cœur de l’activité littéraire et journalistique de Malek Ouary, se trouve donc son intérêt passionné pour la langue et la littérature kabyles qu’il a (re) découvertes après la «rupture intégrale», lorsque, étudiant à Alger, il a été sevré de sa culture et de sa langue par l’exclusivisme culturel du système scolaire français de la période coloniale. «Mon entrée à l’école a revêtu pour moi un caractère singulier : «on m’y envoyait en quelque sorte pour y désapprendre ma langue afin de m’initier à une autre» (Poèmes et chants de Kabylie, 1974 : 13). Il mentionne la grande impression, «l’illumination», suscitée en lui par la lecture de Chants berbères de Kabylie; ce texte de J. Amrouche, lui fit prendre la décision durable de travailler de toutes ses forces, en utilisant la culture française acquise, à la sauvegarde et à la diffusion de la culture kabyle et berbère. Son expérience individuelle et la situation socio-historique lui faisait craindre, comme à Jean Amrouche, la disparition du patrimoine culturel kabyle. Son activité se concentre alors sur la collecte de documents, souvent uniques, comme l’enregistrement des chorales féminines du pays des Aït-Abbas dans les années 50, la traduction de poèmes et de contes, l’enquête sur la narration littéraire dans la société kabyle. Dans son écriture littéraire, on retrouve l’interaction de tous ces éléments. Par exemple, le noyau du récit dans «Le grain dans la meule», ce lien tragique entre amitié, honneur et mort, est l’élaboration d’un événement narré en tant que fait authentique par un compatriote de l’auteur et initialement recueilli pour une transmission radiophonique. Le manuscrit du roman montre également l’interaction et le passage entre différents registres linguistiques, fruit de l’expérience de l’auteur en tant que journaliste et traducteur de poèmes kabyles. Malek Ouary nous dit que «les dialogues sont modelés par l’usage quotidien en Kabylie, et que des parties entières des discussions à la tajmaat ont été reprises à partir des conversations enregistrées lors de ses enquêtes journalistiques en Kabylie. L’écriture ainsi élaborée donne un ton aulique et élevé au roman et le pose au-delà de l’écriture française «classique», trait qui – et ce n’est pas un hasard – a fait l’objet des recensions diverses, bien que le roman ait été apprécié par la critique de l’époque. La critique littéraire actuelle présente les romans en français des auteurs kabyles contemporains de Malek Ouary (Mouloud Feraoun* et Mouloud Mammeri*) comme expression de la période dite «ethnographique» de la littérature algérienne [2]. Cette caractérisation tient à la fois au cadre temporel choisi : des romans situés dans la période précoloniale ou qui ne rompent pas complètement avec l’histoire coloniale; au cadre dit «régional»: le choix d’un espace narratif kabyle et de personnages kabyles; et à la question du lectorat : le public français auquel ces romans s’adressent. Bien que de façon moins explicite, on a aussi fait une telle lecture des romans de Malek Ouary.

Malek Ouary le journaliste

Son activité journalistique, riche au demeurant, lui a permis de s’imprégner du patrimoine culturel berbère dans le domaine de : la danse, le chant, la poésie, la musique et les contes. C’est ainsi qu’il a commencé à recueillir les productions orales kabyles avant de regrouper, grâce à son travail de reporter, 17 reportages consacrés à l’immigration sous le titre les chemins de l’immigration, en 1955. À son époque, il était loin d’imaginer qu’un « indigène » puisse mettre sa plume aux services d’un journal français. Plus qu’un passionné de la tradition orale, Malek Ouary a également versé dans l’écriture romanesque, comme l’atteste d’ailleurs bien son premier roman, Le grain dans la meule, en 1955 devenu un classique de la littérature algérienne. C’est l’histoire d’une vendetta, comme il en existe un peu partout dans le monde. Idir commet un meurtre sur la personne d’Akli. Pour échapper à la vengeance, il s’enfuit et se réfugie dans la région du Sud. Ne supportant pas son exil, Idir décide de revenir au pays bravant la mort. Le père d’Akli refuse d’aller venger son fils tué mais propose à Idir l’opportunité de rester en vie. La condition ? Changer d’identité et renier sa famille. Dans ce roman, Ouary décrit l’abondance de la nature et l’opiniâtreté des hommes à vouloir défricher des terres abruptes. Un véritable hymne à la dure condition montagnarde. Emmanuel Roblès dira du roman : «il me semble distinguer, à travers le dialogue de Malek Ouary, les qualités authentiques d’un dramaturge. De toute façon, le récit est conduit avec fermeté». Etabli en France à partir de 1958, Il y poursuivit sa carrière de journaliste et d’écrivain en publiant une brassée de poèmes kabylies, sous le titre Poèmes et chants de Kabylie (1974) et un second roman «La montagne aux chacals (1981)». Une œuvre pleine de vérité qui s’inscrit dans la réalité de la guerre de 1939. Malek Ouary revient au crépuscule de sa vie avec un nouveau roman en 2000 aux éditions Bouchéne, La robe kabyle de Baya. La prise de conscience chez Ouary, jeune étudiant à Alger qui y a été sevré de sa culture et de sa langue maternelle par l’ostracisme et l’exclusivisme du système scolaire colonial français de l’époque. «On m’y envoyait en quelque sorte pour désapprendre ma langue afin de m’initier à une autre» (Poèmes et chants de Kabylie.1974 /13). Il faut souligner que la lecture de Chants berbères de Kabylie, une autre œuvre monumentale de Jean El Mouhoub Amrouche, a été pour lui l’illumination qui lui fit prendre conscience de la nécessité d’utiliser la langue de Molière pour la sauvegarde et la vulgarisation de la culture berbère. Abusé par l’adaptation cinématographique de son roman «Le grain dans la meule» par le réalisateur Mohamed Iftissen qui n’avait même pas pris la précaution d’en parler à l’auteur du récit Malek, répond : «Mohammed Iftissen et son équipe se sont comportés envers moi comme des goujats. Ils m’ont trahi. L’adaptation cinématographique de «Le grain dans la meule», sous le titre «Les rameaux de feu», fut le pire des mépris que j’avais à essuyer dans ma vie d’écrivain. D’ailleurs, je n’ai jamais vu le film. Mais d’après la presse, ils ont réalisé le film comme bon leur a semblé, comme si le livre était leur propriété. Mohammed Iftissen et son équipe sont allés jusqu’à changer carrément la fin de l’histoire authentique, disant qu’ils la trouvaient «inadmissible» car, pour eux, ce type de vengeance «n’existait pas chez les Kabyles». Ils déclarent, sans vergogne, que «Malek Ouary étant chrétien, il ne peut donner qu’une solution chrétienne à la fin de l’histoire». Evidemment, l’issue de l’histoire du roman est fondamentalement d’inspiration Kabyle. Profondément offensé, j’ai écrit personnellement à Iftissen. Il est certain que ne je prétends nullement remettre en cause son travail, en tant que réalisateur. Mais, étant donné que l’œuvre en question m’appartient, il est légitime que je sois informé du projet, et normal que j’en fasse des suggestions en mettant, surtout, des barrières là où il ne faut rien toucher». Toutefois, comme le roman de Mammeri «L’opium et le bâton», «le Tala» de Mohamed Rachedi, invité le grand romancier à visionner l’œuvre a tout de go répondu au réalisateur «Vous avez réussi un bon western, Monsieur Rachedi. Celui de Malek Ouary, «Le grain dans la meule» n’a pas eu la même chance ni les mêmes égards. Mort le 21 décembre 2001 à Argelès-Gazost en Franceloin de sa terre natale, à l’instar de plusieurs de ses compatriotes, nous citerons Jean el Mouhouv, Marie Louise Taos, Fadhma Ath Mansour Amrouche, Mahamed Tazerout, Mohamed Arkoun, et tant d’autres.

S.A.H

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