Si la plupart des citoyens ne boudent pas leur plaisir de voir des ministres traînés devant les tribunaux, d’autres se demandent si l’opération ne procède pas de règlements de comptes dans le sérail.
Entamée avec l’ancien patron des services de renseignements, Mohamed Mediène, son successeur, Athmane Tartag, et le frère du président déchu, Saïd Bouteflika, la série d’arrestations de hauts responsables de l’État se poursuit à un rythme soutenu. Hier encore, deux ex-ministres, en l’occurrence, Amar Tou et Karim Djoudi, comparaissaient devant le juge d’instruction près la Cour suprême. Selon la télévision algérienne, ils ont été auditionnés dans des affaires liées à la “dilapidation de deniers publics”, “abus de fonction” et “attribution d’indus privilèges”. Avant eux, d’autres responsables, et non des moindres, ont été appelés à la barre, à l’image des ex-Premiers ministres, Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, avant de se retrouver sous les verrous.
Une première dans les annales de la justice algérienne. Qui aurait, en effet, imaginé, un jour, Ahmed Ouyahia, serviteur zélé du régime dont la loyauté n’avait d’égal que son cynisme et sa suffisance, l’homme qui martelait encore, il y a quelques mois à la face de l’opposition, que le régime était “uni”, finir aux arrêts ? Et au train où vont les choses, compte tenu de l’ampleur et des proportions prises par le fléau de la corruption dont quasiment aucun secteur n’est épargné, les multiples liaisons entre personnels du pouvoir, nul doute que la liste des inculpés risque de s’allonger davantage dans les prochains jours, voire les prochaines semaines. Selon certaines sources officieuses, des enquêtes sont actuellement menées, y compris dans les collectivités locales.
C’est dire qu’on a manifestement ouvert la boîte de Pandore. Reste que cette opération d’envergure, aux relents de “manipulite”, est accueillie avec quelque circonspection par l’opinion publique, en témoignent les réactions mitigées sur les réseaux sociaux mais également au regard des slogans scandés lors de la marche de vendredi dernier. Si la plupart ne boudent pas leur plaisir de voir des ministres qui, il n’y a pas si longtemps, multipliaient les dérapages au mépris d’un minimum d’éthique, traînés devant les tribunaux, il reste que beaucoup se demandent si l’opération ne procède pas de règlements de comptes dans le sérail. En plus de se demander, faute d’une communication transparente, comment par exemple sur les deux responsables Ouyahia et Zaâlane poursuivis pour les mêmes chefs d’inculpation, un seul se retrouve en prison, c’est le cas d’Ahmed Ouyahia, l’opinion semble peiner à se convaincre que la justice a retrouvé, comme par enchantement, son indépendance.
Cette même justice qui a envoyé en prison Hadj Ghermoul pour avoir brandi une pancarte s’opposant au cinquième mandat, celle qui n’hésitait pas à décréter des grèves illégales et qui n’a pas levé le petit doigt lorsque des scandales avaient été révélés par la presse, pour ne citer que quelques faits non exhaustifs. Autre zone d’ombre : comment expliquer certaines arrestations dont les chefs d’inculpation ne sont pas liés à des affaires de corruption, comme, par exemple, le cas de Louisa Hanoune, du général Benhadid ou encore de l’ex-candidat, Ali Ghediri ? C’est parce que la crise de confiance dans le personnel politique et les institutions a atteint des proportions telles que chaque entreprise, fût-elle animée de bonnes intentions, est frappée de suspicion.
Karim Kebir