Malgré une situation sécuritaire incertaine, Azeffoun-Tigzirt : un été comme au bon vieux temps

Malgré une situation sécuritaire incertaine, Azeffoun-Tigzirt : un été comme au bon vieux temps

Les cités balnéaires d’Azeffoun et de Tigzirt sont prises d’assaut par les estivants. Plages bondées, terrasses de café animées, hôtels affichant complet. Un rush synonyme de bras d’honneur aux terroristes qui voulaient faire les trouble-fêtes.

À proximité du centre de formation professionnelle, quelques impacts de balles sont encore visibles sur le mur d’une bâtisse. Un mur qui se révèle être le seul à vouloir encore témoigner de l’attentat terroriste qui a coûté la vie à trois policiers le 6 août dernier. “C’était ici, mais je n’ai rien vu, j’ai juste entendu d’interminables rafales”, balbutia, craintif, le plus téméraire des riverains avant de s’éloigner. Les autres ? Motus et bouche cousue. Une semaine après ce sanglant attentat, les habitants semblent encore traumatisés. Sur la place de la mairie, sur les hauteurs d’Azeffoun d’où l’on domine une vaste proportion du littoral de la région, l’ambiance est toujours maussade. Au milieu de la journée, quelques habitants encore attablés dans les cafés maures continuaient de dévorer des yeux leurs journaux qui ont largement médiatisé la marche populaire de la veille contre le terrorisme. L’attentat a eu lieu à une centaine de mètres de là, en empruntant la pente qui descend à droite et qui mène jusqu’au nouvel hôpital. C’est sur cette route délabrée que le 6 août dernier un véhicule de police en patrouille roulait lentement peu avant la rupture du jeûne, lorsqu’il essuie un déluge de feu projeté, sous les regards médusés des riverains, par 4 terroristes qui étaient aux aguets dans un véhicule de marque Renault Kango en stationnement sous un eucalyptus qui étend son ombre jusqu’au mur du CFPA. Moins de 500 mètres au nord de cet endroit, l’ambiance tranche bruyamment avec le calme de la ville.

La vie reprend ses droits. L’ambiance estivale aussi. Le front de mer, vitrine de la ville des artistes, ne se départit pas de son brouhaha habituel. On musarde par-ci, on effectue quelques emplettes avant de reprendre le chemin de la plage par-là. Dans les cafétérias et les restaurants du boulevard, les serveurs peinent à satisfaire toutes les demandes des clients attablés. Une place pour le stationnement ? Il faut s’adonner à des allers-retours tout en guettant une hypothétique place qui se libère sur les accotements. Il est 13h, et les estivants continuent d’y affluer.

Le terrorisme n’y peut rien devant le charme de Tigzirt et d’Azeffoun

Dans le vaste parking de l’hôtel le Marin, le plus important dans la région, il n’est pas aisé de trouver une place pour le stationnement. “Ni pour l’hébergement d’ailleurs”, prévient un employé de l’établissement. “Et dans aucun des établissements de la ville”, ajoute un client à la recherche d’une location. Dans un camp de toile, il ne reste de libre aucun des 25 appartements en location. Sur la plage, Madjid A., qui a obtenu une des plages d’Azeffoun en concession, est affirmatif : “La fréquentation des plages est toujours aussi importante. Je n’ai pas senti de baisse notable en matière de véhicules reçus dans le parking ou sous mes parasols et tentes en location.” L’attentat n’a pas dissuadé les estivants, dit-il. Même son de cloche chez de nombreux commerçants et aussi des élus aux APC d’Azeffoun et de Tigzirt. À Tigzirt, l’autre station balnéaire de la wilaya de Tizi Ouzou, située à 38 km à l’ouest d’Azeffoun, il n’y avait pourtant pas grand monde sur les plages durant la matinée. À Tassalast et à Feraoun, il y avait peu de véhicules dans les parkings et peu de monde sur le sable. Mais il n’était encore que 11h. La température encore douce.

La mer agitée.

À l’office du tourisme de cette ville côtière où aucune action terroriste n’est enregistrée depuis le début de cet été, M. Azouz explique que l’affluence d’estivants est même en augmentation comparativement aux années précédentes. Pour preuve, il fait appel à des données objectives.

“Les 10 hôtels de la ville affichent tous complet jusqu’au 3 septembre, beaucoup de vacanciers se rabattent sur la formule d’hébergement chez l’habitant qui, avec des prix d’environ 60 000 DA pour 21 jours, a donné des résultats impressionnants”, dit-il. Certains axes, comme celui menant vers le port, ont été fermés aux automobilistes pour pouvoir gérer la situation. “On a enregistré une affluence moyenne de 902 500 estivants du 10 juillet au 10 août, le port, la ville et les plages grouillaient de monde jusqu’à 2h du matin”, dit-il tout en rappelant, confiant, que Tigzirt a ses atouts.

Les plages, l’îlot, les ruines romaines, la basilique chrétienne, le mausolée de Taksebt puis encore la réouverture de la RN24 reliant Tigzirt à Dellys y est pour quelque chose. Tigzirt a aussi l’hospitalité de sa population. Par dessus tout, souligne ce responsable, la situation sécuritaire a connu une amélioration. Les derniers attentats qu’a connus la région, c’était en mois de mai à Mizrana, la commune limitrophe où la présence militaire est encore fortement remarquable.

Les herses, les futs de sable, la vigilance et les jeunes couples

À l’entrée de Tigzirt, comme celle d’Azeffoun, les barrages de gendarmerie et de police placés durant les années de braise sont toujours là. Comme pour rappeler que la menace existe toujours. Avec leurs lots de herses que l’on traverse en zigzag, leurs guérites de fortune et parfois les mêmes futs remplis de sable par des mains déjà mutées ou buttées.

“Ils sont là pour le meilleur et pour le pire”, ironise un jeune automobiliste. “Pour rassurer et pour créer des embouteillages au même temps”, explique-t-il. “On se croirait à Kandahar”, lâche un autre, la cinquantaine, après avoir traversé le barrage de la BMPJ à l’entrée de Tigzirt, puis, 200 mètres plus bas, celui de la gendarmerie, à l’entrée dégradée de la plage Tassalast où les gendarmes, dont le poste de surveillance a déjà fait l’objet de plusieurs attentats à la bombe entre 2007 et 2010, passent au contrôle tout jeune couple de passage. “C’est devenu quasi systématique dans les barrages, on dirait une police des mœurs”, se plaint un jeune et sa fiancée.

À l’entrée de la ville d’Azeffoun, une longue file de véhicules s’est formée devant le barrage de la police. Échaudés par le dernier attentat, les hommes en uniforme sont aux aguets. Vigilance accrue, point de répit, semble-t-il écrit sur leur front tendu. Dans la ville, par contre, aucun dispositif particulier n’est remarquable. “Les mauvaises langues” parlent d’une présence plutôt considérable d’agents en civil. “C’est durant le soir que la différence devient facilement perceptible, les soirées estivales ne sont plus les mêmes depuis cet attentat. À partir de 21h, le front de mer se vide. Même les deux soirées artistiques nocturnes et quotidiennes sont supprimées depuis l’attentat”, confie un commerçant établi sur le front de mer. “Peut-être juste en raison de la fin du Ramadhan”, relativise-t-il toutefois. Mais à Azeffoun, tout porte à croire que si les estivants qui, terrorisme ou pas terrorisme, continuent d’affluer quotidiennement par milliers vers cette région à laquelle ils donnent ainsi toutes ses couleurs estivales, les habitants, quant à eux, sont toujours sous le coup de la tristesse et de l’indignation. Les victimes, notamment Ramdane H., étaient estimés par tous dans la région. Des gens ont assisté en direct à leur assassinat donc pas de place à l’indifférence, explique Hend A., un des initiateurs de la marche contre le terrorisme.

L’impact psychologique de l’attentat a été tel qu’il n’a pas tardé à faire réagir la population locale dans une spontanéité qui contraste avec la marche, téléguidée, qui a été organisée en 2007 dans les 48 wilayas suite à l’attentat contre le Palais du gouvernement. Azeffoun avait enregistré, rien que l’année dernière, plusieurs attentats, dont trois ont ciblé en moins de deux semaines les garde-côtes. La population a été indignée mais n’a pas réagi. Celui de la semaine dernière “était l’attentat de trop”, “la goutte qui a fait déborder le vase”, “l’atteinte à la dignité”, “l’horreur devant laquelle il n’était plus question de se taire”… qualifient les habitants.

La réaction populaire ? : “Un cri de révolte” et de “résistance citoyenne” pour les uns, “une résurgence de l’esprit d’Igoujdal”, ce premier village à prendre les armes contre le terrorisme en 1994, pour d’autres. “On n’accepte ni la mort ni la violence. On veut vivre et on a le droit de vivre”, dira A. H., un citoyen d’Azeffoun, d’une cinquantaine d’années, attablé dans une cafétéria située en face du siège de la daïra où s’est achevée la marche populaire. Pour lui, sa participation à la marche de la veille “est un devoir de conscience”. Parmi les initiateurs de cette action, les langues se délient plus facilement.

Ce sont de vieux militants rompus à l’action et la discussion. Le parfum du Printemps berbère, les réflexes de leur passé partisan, la résistance contre le terrorisme durant la décennie noire et la révolte citoyenne de 2001 leur collent encore à la peau.

Ils signent leur retour sur le terrain de la résistance tout en se défendant de toute appartenance politique ou de velléité de manipulation. “La population d’Azeffoun est excédée de voir sa région se transformer en théâtre d’attentats à chaque début de saison estivale. L’indignation avait atteint son paroxysme, il fallait juste servir de catalyseurs”, assure Djamel R.-C., un cadre d’une société nationale et ancien militant qui figure parmi les initiateurs de cette marche. “Puis, si on se tait, c’est comme si on cautionnait cet attentat”, ajoute son camarade Hend A. “Il faut que cesse l’effusion du sang, on en a marre de creuser des tombes”, se lamente-t-il.

S. L.