Le marché du travail en Algérie, fortement impacté par la crise économique et sanitaire, ne donne aucun signe de rétablissement sur le terrain. En ce qui concerne les chiffres, on peut leur faire dire ce qu’on veut.
Le regard porté au marché de l’emploi par le prisme des chiffres risque de s’avérer distordu aujourd’hui, notamment à cause de la crise sanitaire et son impact sur le marché en général et sur les postes de qualité en particulier.
C’est le directeur de l’Agence de l’Emploi à Oran qui a qualifié certains demandeurs d’emploi de « chômeurs de luxe ». Le responsable, dans une déclaration faite à nos confrères du quotidien Liberté, affirme qu’il peut « placer n’importe quel demandeur à Oran, sur le champ, dans un poste d’emploi, à condition qu’il ne soit pas trop exigeant ».
Le même intervenant assure que « des jeunes sans aucune qualification professionnelle boudent les métiers manuels réputés pénibles ». Il confie aussi que ces chômeurs « préfèrent les postes d’agent de sécurité et, si possible, dans la société 2SSP chargée de la sécurisation des zones pétrochimiques et des installations de la Sonatrach, à Bethioua et à Arzew ».
Chômage : faut-il choisir la précarité ?
À entendre le directeur de l’Emploi à Oran, on peut penser que les jeunes qui refusent des postes « pénibles » ne sont pas dans leur droit le plus absolu. Ce serait oublier la réalité du terrain, et la précarité qui caractérisent ces postes non seulement pénibles, mais souvent mal payés, toujours en CDD, et sans la moindre chance de faire carrière.
Quand on propose à un jeune de travailler 6 jours sur 7, pour un salaire ne dépassant pas les 35.000 dinars, de plus dans un chantier ou le risque d’y perdre un bras ou un pied lui pend constamment au nez, il ne faut pas s’étonner qu’il refuse, et qu’il lorgne des postes plus surs, mieux payés, et même s’ils n’offrent pas de débouchées professionnelles, ils lui garantissent quand même une retraite pour ses vieux jours.
Avec la dévaluation du dinar, la cherté de la vie et la dégradation sans précédent du pouvoir d’achat, les salaires proposés par le secteur privé, qui vont souvent de 25.000 dinars à 35.000 dinars, sonnent comme une indécence face aux espérances et aux besoins des travailleurs.
Chômeurs de luxe ou protestataires silencieux ?
Traiter de chômeurs de luxe des jeunes qui ne songent qu’à assurer leur avenir revient à insulter l’intelligence populaire qui a vite fait le calcul que « naviguer » sa croûte est nettement plus judicieux que de vendre son âme au « privé » pour des clopinettes.
De plus, ce boycott du secteur privé, qui commence à avoir ses répercussions, notamment dans le BTPH, a des allures de protestation silencieuse. Selon les chiffres de l’ANEM, Agence Nationale pour l’Emploi, 46% des chômeurs ont refusé, lors du mois de novembre dernier, de travailler dans le secteur privé. Pour cause, des salaires indécemment accompagnés d’une pénibilité du travail.
Le secteur du bâtiment, ou la demande de main d’œuvre est gourmande et les salaires sont délivrés au compte-goutte, connait désormais une pénurie d’ouvriers. Toujours selon le quotidien Liberté, le BTPH connait une pénurie à Oran, mais aussi dans d’autres wilayas.
Travaillant parfois dans des conditions climatiques extrêmes, que cela soit au nord, mais aussi au sud du pays, les ouvriers bâtiments sont rarement payés plus de 35.000 dinars, ce qui leur permet à peine de subvenir à leurs dépenses en nourriture et en transport. Au lieu de dénoncer un « chômage de luxe » ne fallait-il pas s’inquiéter d’un « esclavage moderne » ?