« Si elle est finalement élue, ce sera pour de mauvaises raisons, comme pour Hitler à l’époque. Et ce seront les Algériens de là-bas qui subiront la fille Le Pen après avoir subi les exactions du père, ici, pendant la guerre d’Algérie. Car il faut s’attendre à des mesures discriminatoires envers les Algériens, les Maghrébins et les musulmans en général. »
Othmane Aouameur, la trentaine, militant des droits de l’homme, lâche la sentence d’un coup en parlant de Marine Le Pen, « une sorte de Donald Trump, mais avec un peu plus d’expérience en politique ».
« Elle perpétue l’héritage politique de l’extrême droite »
Pour nombre d’Algériens, la candidate à la présidentielle reste la fille de son père, lieutenant parachutiste, engagé volontaire, durant la terrible Bataille d’Alger (1956-1957) qui marqua le summum de la répression contre le FLN indépendantiste. « J’ai torturé parce qu’il fallait le faire », assumait même Jean-Marie Le Pen auprès du quotidien Combat le 9 novembre 1962. C’est cet héritage qui marque le plus Marine Le Pen chez les Algériens. Elle perpétue, selon le directeur du quotidien Reporters, Nordine Azzouz, « l’héritage politique de l’extrême droite qui, pour faire court, va d’Édouard Drumont jusqu’à Jean-Marie Le Pen, en passant par le colonel de La Roque, les croix de fer, et les ligues que son courant a inspirées jusque dans les milieux estudiantins comme celui du Groupe Union Défense [GUD] encore très actif aujourd’hui en France. Son ADN politique se trouve là : une France impériale à ses heures de gloire, une France xénophobe, nostalgique de l’empire colonial, adepte de l’Europe des nations, et pas de l’Europe communautaire. » « Le Pen est la représentante d’un courant raciste de haine profonde des Algériens, sa montée en France est l’expression d’une maladie sérieuse : le populisme régressif et xénophobe », tranche l’éditorialiste Saïd Djaafar. Justement, sa percée depuis quelques années a été très suivie ici, inquiétant les Algériens dont tous ont un membre proche ou éloigné de la famille installé en France.
Haro sur les binationaux
Les officiels algériens évitent toujours de commenter cette poussée anxiogène, même en off. Seule exception : en 2014, quand la présidente du FN avait fulminé contre les binationaux franco-algériens qui avaient manifesté leur joie en France après la qualification de l’équipe nationale algérienne au Mondial du Brésil. « Il faut choisir, être Français ou être autre chose. On est algérien ou on est français. […] Il faut supprimer l’acquisition de la nationalité automatique au motif qu’on naît sur le territoire français », avait-elle déclaré. « L’extrême droite française nous a habitués à de telles déclarations qui restent sans importance et ne représentent nullement la position officielle du gouvernement français », avaient alors réagi les Affaires étrangères algériennes.
Racisme et xénophobie se conjuguent
Pas d’amalgames donc entre une « France raciste » et la ligne dure d’un parti d’extrême droite ? Certains à Alger voient dans les « succès » du Front national un symptôme plus inquiétant. Mehdi, la cinquantaine, prof de mathématiques, dit ne pas faire de provocation en souhaitant que Le Pen gagne cette présidentielle : « Il faut crever l’abcès. Marine Le Pen est utilisée (et ça l’arrange) par les partis de l’administration française (droite et gauche) pour assurer un statu quo qui ne permette pas aux Français de chercher d’autres horizons que les traditionnels partis. » À ses yeux, « même les rebeus [beurs] constatent sur le terrain qu’en termes de racisme la droite n’est pas mieux que le FN, alors que la gauche fait du racisme cyclique. En fait, sur les grandes questions concernant les étrangers, tout le monde est d’accord finalement, droite et gauche. Alors, pourquoi priver le FN d’une victoire aux législatives ou à la présidentielle ? »
La réponse à un besoin de changement radical ?
« Pire, les électeurs veulent un changement radical, ils en ont assez des promesses non tenues, alors ils veulent un bouc émissaire ! Donc Marine leur promet de punir les responsables de ce mal-être : nous, les Arabes, les profiteurs, les musulmans, les binationaux, les étrangers comme si nous n’étions plus français », observe Yacine, la quarantaine, Franco-Algérien travaillant à Alger dans la restauration. Pour Hakim Addad, cofondateur du mouvement Rassemblement Action Jeunesse et qui a beaucoup travaillé avec les associations de banlieue en France, le vote Le Pen est aussi le témoin d’un échec plus général : « Tant que la gauche et la droite, classique et républicaine, ne répondront pas aux attentes, ce seront les radicaux et les extrêmes qui auront le vent en poupe et pousseront vers les replis et tous les maux qui en suivront. Cela est valable en France pour cette élection, pour l’Algérie pour le jour où il y aura une élection comme cela le fut aux États-Unis avec Trump. » Quant aux pronostics, Mehdi le mathématicien ne prévoit pas une victoire immédiate de la candidate frontiste : « Elle ne passera pas cette fois. Mais elle passera en temps de crise. Et ce n’est pas la meilleure solution. C’est comme ici, pour les islamistes. À la première crise, ils seront élus, et ils risquent d’être dans une situation qui ne permette aucun équilibre entre les différentes forces de modération. »