Alors que le volume des tabacs livrés par les cigarettiers aux buralistes français accuse une baisse d’environ 10 %, cette année, avec un total de 44 millions de cigarettes, la consommation de tabac provenant du marché parallèle ne cesse de croître. Ce marché non officiel représente désormais 13,4 milliards de cigarettes qui se répartissent de manière égale entre les achats transfrontaliers (dans les pays voisins ou la marchandise est moins taxée) et les achats illégaux (contrebande ou contrefaçon). Une situation dont les conséquences financières sont loin d’être négligeables puisque le manque à gagner pour l’État est estimé à 2,2 milliards d’euros, chaque année. Quant aux buralistes, ils perdraient dans le même temps l’équivalent de 250 millions d’euros de recettes.
La France est aujourd’hui le pays européen qui consomme le plus de tabac d’origine non domestique, reléguant le Royaume-Uni à la seconde place. Et le phénomène connaît une ampleur particulière dans le sud de la France, plus encore à Marseille. Au 2e trimestre 2018, plus de la moitié (55,1 %) du tabac consommé dans la cité phocéenne n’était pas issu du réseau des buralistes, soit une hausse impressionnante de 20,7 points par rapport au dernier trimestre de 2017. La récente hausse de 1 € du prix de paquet n’y est sans doute pas étrangère.
« Beaucoup vont tenter de trouver du tabac moins cher »
« Plus on se rapproche du paquet à 10 € et plus les gens vontêtre incités à prendre leurs dispositions« , fait remarquer Hervé Natali, responsable des relations territoriales du groupe Imperial Brands, en charge de la lutte contre le tabac illégal pour le compte de la Seita, filiale depuis 2009 du géant britannique. Et de préciser son propos : « Certaines personnes vont arrêter de fumer, d’autres vont s’orienter vers le vapotage. Mais beaucoup vont tenter de trouver du tabac moins cher en s’approvisionnant sur le marché parallèle. » Un phénomène qui devrait d’ailleurs s’accentuer, l’an prochain, avec les deux hausses de 0,50 € prévues en mars et en novembre, puis à nouveau en 2020, aux mêmes dates, avec deux hausses supplémentaires de 0,50 € et 0,40 €.
Trop éloignée de l’Italie, d’Andorre et de l’Espagne pour que les fumeurs puissent s’approvisionner dans les pays où les taxes sur le tabac leur sont plus favorables, Marseille est en revanche la porte d’entrée principale du Maghreb en Europe pour les marchandises et les passagers. 81 % du tabac illégal consommé dans la ville arrive ainsi d’Algérie, essentiellement par voie maritime et dans une moindre mesure aérienne. Le produit alimente ensuite un immense réseau de vendeurs à la sauvette dont le maillage visible couvre essentiellement l’hyper centre (Noailles) et les quartiers Nord (Arnavaux). Pour les commanditaires, le jeu en vaut la chandelle puisque la Seita estime que pour 1 € investi, le gain est de 20 €…
Une situation qui a conduit les cigarettiers à organiser la riposte, notamment le group Imperial Brands. Ce dernier a tout d’abord mis en place un site internet où les buralistes peuvent signaler les trafics illicites. Outre des sessions de formation et d’information au profit de buralistes, des élus locaux et des autorités, le groupe mène également la traque sur les réseaux sociaux où 111 groupes d’au moins 1 000 membres chacun, sont dans son collimateur. Selon la Seita, plusieurs dossiers ont pu être ainsi transmis à la police, aux douanes et à la justice. L’un de ces enquêtes a conduit à l’interpellation de huit personnes, au terme de dix-huit mois d’investigation, pour un trafic estimé à 220 000 cartouches.
Mais comme le souligne Hervé Natali, des mesures efficaces pourraient être mises en oeuvre dans des délais beaucoup plus court. « Il faudrait tout d’abord créer un observatoire national, piloté par l’État, qui puissent fournir des données incontestables. Un autre axe de travail est de rendre plus fluides les échanges d’informations entre les institutions et les opérateurs privés. Nous demandons également une législation mieux adaptée, avec non seulement des sanctions plus dissuasives mais aussi une prise en compte du fait que les vendeurs à la sauvette sont souvent des mineurs ou des étrangers ensituation irrégulière. »
Concernant le cas spécifique de Marseille, le groupe Imperial Brands préconise le recours à deux techniques qui, selon lui, ont fait leurs preuves, l’une dans le XVIIIe arrondissement de Paris, l’autre en Grande-Bretagne. Il s’agit d’une part « du harcèlement des vendeurs afin de perturber leur activité » et de l’autre, la constitution d’une brigade cynophile spécialisée dans la recherche de caches de tabac.
« L’annonce de l’installation d’un scanner, l’an prochain, sur les quais de La Joliette, constitue une avancée notable, reconnaît Hervé Natali, tout comme la mise en place, au mois de mai 2019, d’un système de traçabilité et d’authentification des produits, piloté par l‘OMS et l’Europe et que les fabricants devront avoir adopté au plus tard en mai 2020. »
Un indicateur qui, selon ce spécialiste, « évitera aux acheteurs de produits frelatés, de s’approvisionner en cigarettes dont la dissection a révélé qu’elles pouvaient contenir de la sciure, des fragments de pneus, voire des déjections animales…«