Roberto Martinez, entraîneur d’Everton, est au Brésil depuis le match d’ouverture en tant que consultant pour ESPN. Il a suivi de près les 60 rencontres qui se sont déjà déroulées.
Avant de retrouver ses Toffees et les entraînements de pré-saison, il évoque avec FIFA.comla fin de l’hégémonie espagnole, les tendances tactiques observées et les chances du Brésil sans Neymar.
Roberto, vous avez parlé de cette Coupe du Monde comme de la meilleure de l’histoire. Pourquoi ?
Je m’intéresse uniquement à ce qui se passe sur le terrain et j’ai été frappé par l’approche courageuse et positive mise en œuvre par les équipes pour forcer la décision. J’ai vu les Européens chercher des solutions pour faire face aux conditions climatiques. Au lieu d’adopter une approche négative destinée à ralentir le jeu, tout le monde a essayé de jouer. Et si le résultat n’a pas toujours été au rendez-vous, ce n’était pas faute d’essayer. J’ai vu d’ailleurs beaucoup de sélectionneurs faire des remplacements audacieux qui ont payé. On voit des matches ouverts et dynamiques. Tactiquement, il y a des tendances variées, avec pas mal de défenses à trois qui ont bien marché. De mon point de vue très neutre, je pense que c’est la meilleure Coupe du Monde de l’histoire sur le plan du jeu.
Pensez-vous que cette approche dynamique soit une réaction à la domination espagnole ?
Oui, j’en suis convaincu. Tout le monde est arrivé à la conclusion que l’on ne pouvait pas rivaliser avec l’Espagne en allant dans la même filière, c’est-à-dire avec un jeu de possession. La seule façon de contrer cette Espagne était donc de proposer un football dynamique, de privilégier la contre-attaque et d’aller défier très vite l’arrière-garde adverse. C’est ce qu’a fait le Real Madrid face au Bayern Munich ainsi que certaines équipes contre le FC Barcelone au cours de la saison dernière. Et c’est ce qu’on retrouve maintenant en Coupe du Monde. Les autres nations ont accepté que l’Espagne était imbattable à ce jeu et cela a complètement changé l’approche par rapport à 2010.
Le bilan de l’élimination de l’Espagne est négatif. Mais la relève est-elle assurée ?
Je ne pense pas que tout soit si négatif que ça en Espagne. Il y avait de la déception par rapport aux résultats, bien évidemment, mais on a aussi compris que Vicente del Bosque voulait que le changement de génération soit provoqué par des raisons footballistiques. Sitôt l’élimination acquise et la déception passée, l’Espagne a rendu hommage à cette génération dorée qui a tant donné au football espagnol et à toute la famille du football en général. Je ne crois pas qu’il soit à nouveau possible de voir une équipe remporter trois grandes compétitions d’affilée. Il y avait donc de la tristesse, bien sûr, mais aussi beaucoup de gratitude pour tout ce que ce groupe a apporté. Désormais, il faut que cette philosophie du jeu puisse perdurer. C’est un changement de cycle en termes individuels, mais pas au niveau de la mentalité et du jeu, parce que la jeune génération qui a déjà brillé en U-21 est prête à prendre le relais.
Beaucoup d’équipes ont réussi à s’imposer après avoir été menées. Est-ce lié à cette approche positive que vous évoquiez ou bien à la difficulté des équipes à tenir un résultat ?
Un peu des deux, je pense. Les conditions de jeu ont également joué là-dessus. Je pense notamment à la fatigue physique, qui influe sur les décisions et l’état mental des joueurs. Quand on fait un gros effort pour mener au score et que l’adversaire égalise, c’est très dur à digérer. A contrario, l’équipe qui revient à la marque se sent pousser des ailes et c’est encore plus le cas avec les conditions de jeu que nous connaissons en Amérique du Sud, notamment dans les sites les plus extrêmes comme Manaus. Ce sont donc à la fois les conditions climatiques sud-américaines et la pression psychologique inhérente à une Coupe du Monde.
Quelle équipe a été la plus efficace dans la gestion de son avance au tableau d’affichage ?
J’ai été impressionné par la façon dont l’Argentine a tenu le score contre la Belgique. Un spectateur neutre veut toujours que les équipes prennent des risques et proposent du jeu, alors que l’Argentine est parvenue à désactiver la Belgique. Ce n’est pas simple du tout. Cette expérience devrait servir à la Belgique dans les années à venir, mais l’assurance affichée par l’Argentine prouve qu’elle est prête à aller loin dans cette épreuve.
Les joueurs font-ils preuve d’une plus grande conscience tactique lors de cette Coupe du Monde ?
Au cours de ces dix ou 12 dernières années, toutes les fédérations ont beaucoup fait travailler leurs joueurs sur les plans de la conscience tactique, l’intelligence positionnelle et la perception spatiale. Cela permet aux équipes de mieux s’adapter à différents dispositifs tactiques. Cela n’a rien de récent. Il y a un vrai travail dans la formation des joueurs, pas seulement en Europe mais dans le monde entier. Aujourd’hui, les joueurs sont plus réceptifs. Ils savent que tout le monde doit être capable de défendre et d’attaquer. Cela permet beaucoup plus de changements tactiques entre deux matches, voire en cours de match.
Il y a beaucoup d’engouement autour du Brésil, mais le croyez-vous capable d’aller au bout sans Neymar ?
Cela va être difficile. Pour aller au bout, il faut parfois que le calendrier vous soit favorable. Pour le Brésil, sans Neymar, il sera difficile de jouer en position de favori. Contre l’Allemagne, ils peuvent s’accommoder d’un rôle d’outsiders. Mais ce n’est pas seulement Neymar qui leur manquera, ils seront aussi privés de Thiago Silva. Le remplaçant de Neymar aura peut-être besoin d’un peu de temps pour trouver les moyens d’être efficace. Le Brésil a la qualité suffisante pour remporter la Coupe du Monde sans Neymar, mais cela sera compliqué parce que Neymar a été impressionnant. C’est vraiment lui qui a fait la différence dans les derniers mètres.
La Coupe du Monde peut avoir une influence sur le football de clubs. Comment essayer de devancer les tendances ?
L’important, c’est surtout de trouver l’approche qui convient le mieux à son groupe de joueurs. C’est vrai que toutes les compétitions de la FIFA influent sur les championnats nationaux. Cela avait déjà été le cas après la dernière Coupe du Monde. À Afrique du Sud 2010, on avait compris tout l’intérêt de la possession et le 4-2-3-1 est rapidement devenu le système à la mode. Je pense que ça va changer maintenant. L’approche est plus dynamique. Il faut avoir une approche tactique plus souple. En tant qu’entraîneur, il faut trouver les moyens de tirer le meilleur de son groupe et non pas appliquer les derniers concepts en vogue.