“Il n’y a pas assez de paillasses pour les dizaines de détenus entassés dans une même salle. Ils n’ont pas accès aux livres de leur choix et voient leurs familles 15 minutes deux fois par mois”, rapporte l’avocat.
L’avocat, inscrit au barreau de Boumerdès, défend bénévolement les détenus d’opinion et des militants politiques, à l’instar de quelque trente autres confrères engagés pour la même cause. Il se déplace régulièrement à la prison d’El-Harrach pour s’enquérir de la situation de ses mandants.
Ils sont environ 80 à être incarcérés dans ce centre pénitentiaire pour port de la bannière amazighe, pour une pancarte ou pour leur activisme dans la révolution citoyenne contre le régime. L’avocat apporte son témoignage sur les conditions de détention des manifestants et militants politiques “sans surenchère et sans fioritures”, a-t-il tenu à préciser. Les échos parvenus des détenus évoquent un comportement correct du personnel pénitentiaire. “Nous n’avons enregistré aucun dépassement à ce niveau-là. Les conditions d’emprisonnement sont, toutefois, aux antipodes des critères internationaux en matière de dignité humaine”, affirme-t-il. Au pavillon des hommes, les manifestants, placés en mandat de dépôt depuis le 23 juin pour les plus anciens pensionnaires de la prison d’El-Harrach, s’entassent par dizaines dans des salles sans climatisation (plus de soixante, selon notre interlocuteur). Ils ont des difficultés à respirer. Ils ne peuvent pas prendre une douche, même en période de grandes chaleurs. Il n’y a pas assez de paillasses pour tout le monde. “Parfois, ils doivent se défendre pour garder leur matelas. Des détenus m’ont dit dormir à même le sol”, dénonce Me Mouhous. Il cite le cas de Smaïl Chebili, un étudiant en dernière année de chirurgie-dentaire, placé en détention préventive le 29 septembre dernier. “Je lui ai rendu visite deux jours après son arrestation. Il m’a dit qu’il a contracté une grippe car il a dormi deux nuits sur le sol froid”.
Parmi les détenus d’opinion, beaucoup d’intellectuels. Ils n’ont pas accès aux livres aisément et ceux qu’on leur propose ne font vraiment pas partie de leurs lectures fétiches. Ils ont droit à une visite de leurs proches, pendant un quart d’heure, une fois tous les quinze jours. Ils reçoivent à l’occasion le couffin de victuailles, des vêtements et un peu d’argent liquide. “Mouloud Chatri est originaire de Batna. Il n’a pas de famille. Les parents de ses codétenus le prennent en charge à chaque visite autorisée. Les familles d’Alger hébergent aussi celles qui résident hors wilaya”, rapporte-t-il. En prison, les détenus d’opinion sont dispersés dans des salles par groupes. Ils ne se connaissaient pas avant, mais sont parvenus à se lier d’amitié. La cause les rapproche fatalement. “Ils s’entraident et se remontent mutuellement le moral”, atteste l’avocat. “La plupart des jeunes assument leurs actes et leur engagement. Mais ils sont déçus d’être en prison pour avoir revendiqué un État de droit, la démocratie et la liberté”, poursuit-il.
De ses entrevues avec les détenus, il a décelé une détermination extraordinaire, particulièrement chez Tahar Oudihat, Messaoud Leftissi, Bacha Billel… et Messouci Samira. “Tahar Oudihat est un jeune ouvrier originaire d’Ifri-Ouzellaguen. Il m’a dit : ‘Si je n’aimais pas mon pays, je ne prendrais pas, chaque vendredi, un taxi pour pouvoir exprimer pacifiquement à Alger ma vision d’un État de droit et de démocratie.’ Il a été arrêté à cause d’une pancarte”, raconte l’homme de loi. Selon lui, la militante du RCD, âgée d’à peine 25 ans, n’a aucune intention de renoncer à ses idéaux. Elle se préoccupe des dossiers des citoyens dont elle avait la charge en sa qualité d’élue à l’APW de Tizi Ouzou. “Son souhait est de récupérer l’emblème amazigh à sa sortie de prison. C’est vrai que certains détenus s’inquiètent pour leurs enfants, leurs parents à charge, leurs études ou leur travail. Mais la plupart arborent le sourire à chacune de mes visites. Ils ont le moral”, soutient notre interlocuteur, qui ajoute que les avocats s’arrangent pour les voir régulièrement au courant de la semaine afin qu’ils puissent garder un lien avec l’extérieur.
Souhila Hammadi