Violenté puis arrêté par des policiers, vendredi lors de la marche hebdomadaire à Alger, Me Salah Dabouz revient sur cet événement et donne sa lecture de ce recours à la répression. Il évoque, également, la répression que subissent les militants mozabites.
Liberté : Vous avez été, vendredi, lors de la marche populaire, victime d’une agression, suivie d’une arrestation. Peut-on connaître exactement les circonstances dans lesquelles s’est déroulée cette violence ?
Me Salah Dabouz : En effet, vendredi 17 mai 2019, j’étais dans la foule qui voulait traverser le grand mur érigé par des engins et des agents de police pour nous empêcher d’accéder au parvis de la Grande-Poste qui est devenu notre “Speakers Corner” du vendredi, je me suis soudainement retrouvé pris au piège entre un camion de police et un groupe d’agents, et c’est là qu’un policier m’a donné un coup de poing au visage, tandis qu’un autre m’a frappé avec son casque sur la tête, je me suis évanoui, puis j’ai été évacué derrière la muraille policière et secouru par des bénévoles du Croissant-Rouge. Une fois remis en forme, et ayant constaté que je me trouvais de l’autre côté de la muraille policière, j’ai donc voulu prendre place dans la tribune de la Grande-Poste le plus normalement du monde. Et c’est là qu’un policier est venu me chercher pour me demander de quitter cette espace, et lorsque je lui ai dit qu’il n’y avait aucune raison pour m’obliger à quitter les escaliers de la Grande-Poste, il m’a alors violemment saisi par la ceinture du pantalon, en me poussant vers le bas des escaliers. Rejoint tout de suite par d’autres agents en uniforme et en civil, ils m’ont tous malmené, ils m’ont frappé et insulté jusqu’à ce que je sois embarqué dans un fourgon de police, puis emmené au commissariat de Draria. Sur place, des PV nous ont été dressés une première fois pour contrôle de situation, mais quelques heures plus tard, ils les ont changés en PV d’audition avec accusation de troubles sur la voie publique. Seulement, ces PV-là ont été dressés par des agents qui ont usurpé l’identité d’un officier de Cavaignac, et au sein de ce commissariat d’Alger-Centre, ce qui est complètement faux et ce qui me donne droit au dépôt d’une plainte pour acte arbitraire et attentatoire à ma liberté et à mes droits civiques et pour faux et usage de faux en écriture publique, conformément aux articles 107 et 214 du code pénal.
D’autres citoyens, notamment des P/APC, ont été également arrêtés. Comment expliquez-vous cette répression ?
Je pense que le régime en place n’admet pas que le peule le rejette. Il tente désespérément de se maintenir. C’est ce qui l’a poussé à tenter une opération de lifting en remplaçant quelques “têtes” par d’autres, ou en convoquant des personnalités devant une justice pas encore indépendante, ou même en ordonnant la détention d’ex-dignitaires du régime en place, ce qui n’a pas servi à grand-chose, puisque le peuple reste déterminé à aller au bout de son action de changement radical et s’il la réussit, restera un repère fondamental dans l’histoire du pays après avoir réussi à mettre à la porte le régime colonial.
Comment faudrait-il se comporter face à cette situation de répression ?
Il est évident que le régime va tenter de se maintenir en place par la répression. Il tente déjà de fermer des espaces symboliques tels que le Tunnel des facultés et la Grande-Poste, comme il tente de procéder à des arrestations musclées de personnalités publiques comme il l’a fait avec les P/APC venus exprimer leur refus d’encadrer l’élection. Il est question actuellement de résister et de déjouer ces manœuvres et de continuer cette révolte pacifique sereinement et avec détermination pour atteindre les objectifs recherchés. Nous comptons beaucoup sur la conscience des différents services de sécurité, qui doivent se positionner franchement dans ce combat pour les libertés et la modernité. Soit ils protègent un régime périmé, soit ils protègent le peuple et la patrie.
Des militants mozabites subissent depuis plusieurs années ce que vous avez qualifié d’acharnement, dont le Dr Fekhar et le syndicaliste Aouf, entre autres. À quoi rime, selon vous, cet acharnement ?
Lors de la crise qu’a connue le M’zab entre 2013 et 2014, un procureur général et un wali avaient, semble-t-il, obtenu une sorte de dérogation pour gérer les affaires de la wilaya de Ghardaïa sur le plan administratif, sécuritaire et judiciaire en dehors des lois de la République. Ce qui a causé d’énormes dégâts. Des projets d’auto-construction communautaires traditionnellement érigés dans la région et qui ont obtenu des prix au niveau mondial comme celui de Tafilalt ont été tout simplement bloqués par le wali, et ce, bien qu’ils répondent à toutes les exigences sur le plan légal et technique. C’est le cas aussi à Guerrara, par exemple, où des citoyens sont mis en prison sur ordre du procureur général sans aucun fait comme base d’accusation, comme c’était le cas de Kameleddine Fekhar et ses compagnons. Et tel que constaté par le groupe de travail sur la détention arbitraire qui avait pratiquement ordonné au gouvernement algérien dans un avis portant la référence A_HRC_WGAD_2017_34 datant du 27 avril 2017 de libérer immédiatement Kameleddine Fekhar et de ne plus l’arrêter pour les mêmes raisons.
Apparemment, cet avis aurait vexé le procureur général de Ghardaïa, qui a récidivé, mais cette fois, en tentant d’emprisonner aussi l’avocat de Fekhar, qui était derrière cette procédure, et le syndicaliste Hadj Brahim Aouf, qui pensait bien faire en dévoilant d’énormes affaires de corruption et de malversation surtout au sein de la direction de l’éducation de Ghardaïa. Ce procureur général a, d’ailleurs, commis l’indélicatesse en rendant public un communiqué m’attaquant personnellement, prétendant que je fais partie d’un plan d’un certain Levy, mais où il dévoile toute la haine qu’il a contre des activistes politiques et humanitaires, ce qui m’a poussé à déposer une plainte contre lui, et à demander la délocalisation de toutes mes affaires et celles de Hadj Brahim Aouf et Kameleddine Fekhar vers une autre juridiction. J’attends la décision de la Cour suprême à ce propos. Le fait de mettre la wilaya de Ghardaïa hors du système légal national, et en plus des agissements autoritaristes de ces deux responsables, des états d’exception ont été décrétés par le wali en violation de la Constitution. Ce qui est très grave et qui explique cette facilité avec laquelle les responsables de cette wilaya emprisonnent tout le monde et n’importe qui par de simples décisions, sans aucun respect des procédures légales.