Le dossier de la mémoire entre l’Algérie et la France ne trouve toujours pas le chemin de la réconciliation. Si la tâche s’avère encore très difficile, cela revient en premier lieu à la particularité de ce qu’était l’Algérie pour la France durant toute la période coloniale.
C’est en tout cas la conclusion à laquelle est arrivé l’historien français, Benjamin Strora, spécialiste de l’histoire de l’Algérie et chargé du dossier de la mémoire entre les deux pays du côté de la France. Dans un entretien accordé au journal français Ouest-France, l’historien a mis en avant la difficulté de la réconciliation des mémoires.
D’emblée, il estime que « le travail des historiens est considérable sur la guerre d’Algérie », précisant qu’à « la fin des années 1990, j’avais recensé près de 3 000 ouvrages ». Or, le travail de la réconciliation des mémoires demeure toujours difficile.
Pour lui, la difficulté réside dans le fait que « l’Algérie n’était pas une colonie française comme les autres. Contrairement au Maroc, à la Tunisie, au Sénégal ou à l’Indochine, c’étaient des départements français, une partie du territoire national ».
La guerre d’Algérie avait « ouvert une crise du nationalisme français »
Dans ce sens, Stora explique que « la fin de l’Algérie française a été ressentie comme une amputation d’une partie de la France, réduite ainsi à l’Hexagone. Ça a ouvert une crise du nationalisme français ».
L’historien a constaté que l’indépendance de l’Algérie avait provoqué une rupture dans la société française. Et il faisait ici référence à l’état de division provoqué par la guerre de libération nationale où les « Français étaient divisés entre les partisans de la guerre d’Algérie, qui étaient une minorité de pieds noirs et de côlons, et la majorité du peuple français, qui s’opposait fermement à cette guerre ».
Selon lui, cela a été démontré par les manifestations menées par les Français dans les villes françaises, refusant d’envoyer leurs enfants mourir en Algérie. Benjamin Stora a également évoqué l’état de division dont souffrait l’Algérie à l’époque coloniale soulignant à cet égard que les Algériens étaient complètement séparés des autres résidents.
Il convient de rappeler que pendant la période coloniale, l’Algérie avait connu l’arrivée de milliers d’Européens ramenés par les autorités coloniales, afin de créer une société alternative autre que la communauté autochtone, et ce, après leur avoir fait bénéficier des biens de l’Algérie.
« C’était assez incroyable et paradoxal, d’où la complexité de la situation »
À ce propos, il explique que « c’était à la fois la France et pas la France puisque la majorité, les Français musulmans, n’avait pas les mêmes droits que les citoyens français. On vivait dans une sorte de théâtre, de fiction ».
Dans ce sillage, il souligne que « les gens vivaient dans le même espace, mais avec aussi une différenciation sociale forte ». D’ailleurs, explique-t-il encore, « les citoyens français de plein droit n’avaient pas forcément une situation sociale supérieure aux gens de la Métropole. Beaucoup de pieds-noirs étaient pauvres. C’était assez incroyable et paradoxal, d’où la complexité de la situation ».
Par-delà tous ces facteurs et après plus d’un an après avoir déposé son rapport au niveau de la présidence française, Benjamin Stora a conclu en soulignant « qu’il est très difficile de parvenir à un consensus sur la guerre d’Algérie ». Tout porte à croire que le dossier de la réconciliation des mémoires demeure suspendu, du moins pour le moment.