Hamid Bellagha
«Il fait du hirak avec nous, il vocifère chaque vendredi ‘klitou lebled yassaraqine’, mais ça ne l’empêche pas de nous voler et de pratiquer des prix démentiels pour ses produits». Reproche d’un quinquagénaire à un «ami» de manifestations qui sourit des reproches qui lui sont adressés, tout en continuant à louer les vertus de sa marchandise.
Encore le Ramadhan et encore une histoire de prix records, de produits inabordables, de contrôles inefficaces et d’engagements ministériels qui disparaissent aussitôt déclarées.
A chaque mois de jeûne, c’est la même litanie. Le ministère du Commerce promet un contrôle rigoureux, les commerçants de détails accusent ceux de gros et ces derniers pointent un doigt crasseux vers les chambres froides. Dans tout ça, le consommateur jure qu’on ne l’y reprendra plus, mais à l’annonce du mois de la piété, il se lance «corps et âme» à l’assaut de tout ce qui fait ventre.
Une semaine avant le coup de starter, c’est le «black friday» tous les jours. Les caddys, les couffins et les sachets regorgent de produits les plus improbables, et, bien entendu, la sacro-sainte loi de l’offre et de la demande se fraie une place entre la fièvre acheteuse des consommateurs et la cupidité devenue légendaire des commerçants. Et là, notre consommateur achète vraiment n’importe quoi. «Tout le stock, prévu pour deux mois de papiers absorbants et de toilettes a été épuisé en deux jours», nous dira un gérant d’une grande surface célèbre à Ali-Mendjeli, à Constantine, «les olives dénoyautées sont parties en une demi-journée et les boîtes de confiture, tous fruits confondus, d’habitude très lentes à écouler, ont aussi été liquidées». Nous vous épargnerons les quantités de poulets et de viandes écoulés, la décence nous l’interdisant, mais un boucher du coin nous avouera n’avoir jamais vu ça : «Maintenant ce n’est plus les côtes d’agneau et l’épaule qui intéressent les gens, mais c’est toute la carcasse. Des centaines de clients se présentent à moi depuis une quinzaine de jours pour acheter un agneau entier, et bien sûr, je n’ai pas pu satisfaire tout le monde.»
Pourtant, les viandes blanches et rouges n’ont jamais manqué, ni avant le Ramadhan ni pendant et encore moins après, et les prix n’enregistrent qu’un léger écart, car apparemment la courbe a atteint le sommet.
L’agneau entier à la cote !
Les légumes qui affichaient des prix démentiels avant le Ramadhan n’ont pas pris l’ascenseur cette fois, vu qu’ils y étaient déjà depuis des mois. Les étals bien achalandés, Hichem qui officie au marché Boumezzou depuis des années est à chaque fois étonné du comportement du consommateur constantinois. «Il y a un rush illogique sur la courgette dès l’annonce du Ramadhan.
De 80 DA, elle est passée à 140. C’est le seul produit qui grimpe démesurément. Je comprendrai l’engouement si j’étais à Alger, la courgette faisant partie des habitudes culinaires des Algérois pendant le Ramadhan, mais à Constantine, c’est le contraire.»
Le lait n’échappe pas à la folie consommatrice d’un homo qui a cessé d’être economicus. L’Office du lait constantinois a beau multiplier sa production par deux, voire trois, à chaque mois de jeûne, rien n’y fait. Cette année, l’Onalait a créé sept points de vente, cela n’a pas dissuadé pour autant les adeptes des bousculades et des chicanes. The last but not the least, sa majesté zlabia et ses dérivés trône toujours au pinacle des fantasmes du mâle jeuneur. A Souika, un marchand de sucrerie improvisé à chaque Ramadhan, ne commence la cuisson de ses « trésors » qu’à partir de 10h du matin. Pourtant la chaîne commence à se former devant son magasin dès 8h dans une pagaille indescriptible. Un « fidèle » des lieux nous certifiera qu’un « zlabji » à Ali-Mendjeli commence sa « production » juste après la prière du matin, avec attroupement conséquent.
Tout cela pour dire que si le consommateur se fait plumer par le vendeur de poulet, grugé par la superette du coin, volé par l’épicier de quartier et emmiellé par le zlabji occasionnel, sans oublier le marchand de légumes, c’est peut-être en grande partie de sa faute, le jeûneur ayant comme toujours les yeux plus gros que le ventre et la raison moindre que le raisonnement.