Métamorphosé par les routes, l’électricité, le gaz de ville et l’internet: Fini le village kabyle des cartes postales

Métamorphosé par les routes, l’électricité, le gaz de ville et l’internet: Fini le village kabyle des cartes postales

Il ne peut pas vivre éternellement lié à un passé lointain qui s’accroche à l’Histoire. Le village kabyle ne peut rester éternellement synonyme de pauvreté de ses habitants qui défient la rudesse de la nature et l’avarice de la terre.

Le village de Kabylie ne peut pas vivre éternellement enveloppé dans ces clichés que lui ont collé les colons et perpétués par ses enfants peuplant les grandes cités européennes. Ces dernières décennies, l’Etat a mis les moyens financiers et matériels pour sortir les villages de ces chaînes qui les collent à la pauvreté. Des routes, de l’électricité, de l’eau dans les robinets, l’Internet dans les foyers et du gaz de ville jusque dans les villages les plus hauts perchés. En contrepartie de ces efforts de sauvegarde de cette authenticité, d’autres phénomènes représentent un véritable danger. Les constructions qui ne respectent pas l’authenticité architecturale locale poussent comme des champignons défigurant les villages. Les maisons des particuliers comme les infrastructures de l’Etat ne semblent guère prendre en compte la préservation du paysage typique du village kabyle.

Contrairement aux premières années de l’indépendance, le village de Kabylie a les moyens de se restructurer après une entreprise de destruction menée par le colonialisme qui a visé sa structure architecturale et sociologique. Si dans les années soixante, les villages de la Kabylie se sont vidés de leurs populations, une partie s’est fondue dans l’émigration en France alors qu’une autre, plus importante, est allée s’installer dans les villes du pays. En cause: la misère et la pauvreté sur tous les plans. Les villages sifflaient le vent. Ils étaient dépeuplés. L’on ne rencontrait que des femmes, des vieillards impotents et des enfants. L’exode rural a failli tuer la vie dans les villages.

Aujourd’hui, il serait temps d’arrêter de perpétuer le cliché du village kabyle où l’on ne voit que les vieilles ramasser du bois ou les vieux à la canne suivant quelques moutons. Cette Kabylie ne reviendra pas. Le village kabyle a droit à la modernité et ceux qui l’aiment comme, il y a quelques siècles, doivent se réveiller au sifflement du train de l’Histoire. Ceux qui vivent en Occident en vendant l’image de leurs villages kabyles en carte postale doivent chercher un autre gain. Le village est, de nos jours, peuplé de jeunes connectés à Internet et habillés comme ceux des rues branchées de Paris ou de Londres.

L’anarchie prospère

L’architecture canadienne et celle de Chine débarquent dans les villages. Cependant, un autre danger guette le village en grignotant peu à peu son authenticité. L’architecture anarchique défigure dramatiquement l’image de la maison kabyle et par conséquent de tous les villages. Finalement, toutes les oeuvres de destruction qui ont visé le village kabyle n’ont pas fait autant de dégâts que le béton et l’acier. Les constructions individuelles ont fini par défigurer le visage du village à cause de l’absence de planification et l’adaptation à l’architecture locale. Aujourd’hui, dans les villages, poussent des villas à l’architecture ramenée du Canada, de France et d’Orient. L’on assiste également au débarquement de l’architecture japonaise et celle de Chine dans nos villages. De leur côté, les services de l’urbanisme de l’Etat ne prennent pas en charge ce souci de sauvegarder l’architecture locale. Ces dernières années, alors que des milliards sont dépensés pour les logements ruraux, aucune mesure n’est venue accompagner cette politique louable pour contraindre les bénéficiaires à respecter des plans particuliers. Pis encore, l’on voit de plus en plus de bâtiments de plusieurs étages pousser comme des extraterrestres au milieu des villages. C’est ce carnage qu’il faut arrêter. Car si cette mascarade ne prend pas fin, aucune politique de sauvegarde ne pourra éviter au village kabyle la déperdition.

Où sont les architectes et les sociologues formés par l’université algérienne?

Dans tous les pays soucieux de sauvegarder leur authenticité, l’urbanisme est une affaire non seulement de techniciens du béton et de l’acier, mais aussi de la sociologie, l’architecture, voire de recherches historiques. Hélas, jusqu’à présent, à côté des enveloppes énormes investies par l’Etat dans le secteur du logement, c’est le désert qui règne dans la recherche architecturale. Ce vide a permis l’apparition dans les villages de villas dont les plans sont ramenés du Canada, de Suisse et d’Allemagne. Pis encore, des constructions poussent sous l’apparence architecturale chinoise et japonaise dans les villages.

Connaissez-vous la dernière?

Pourtant, si les étudiants consacraient leurs recherches et travaux de fin d’études à ces questions, ils auraient pu apporter des réponses et des solutions. Jusqu’à aujour-

d’hui, les mémoires auxquels nous avons eu accès à la bibliothèque universitaire sont complètement déconnectés de la réalité locale. Ils sont, dans leur quasi-totalité tirés du monde virtuel de l’Internet. Des travaux de recherches qui se pencheront aussi sur les manières de sauvegarder les anciens modes de répartition de l’eau. Hormis quelques études plutôt liées à la poésie et l’histoire, aucune étude ne traite du rôle de la fontaine dans le futur. Pourtant, ce lieu est un pan non négligeable de l’identité des villages et surtout de la construction mentale des individus. Le danger de perdre son identité ne se résume pas uniquement à la langue mais à tout ce qui structure l’imaginaire et la personnalité. C’est le même sort réservé à «tajmaât» qui a disparu. Le mode de gestion de la collectivité ne prend plus en compte ces structures d’organisation villageoise qui auraient pu apporter des idées et des améliorations dans les assemblées élues au niveau des communes.

Se dirige-t-on vers la fin du clivage ville-campagne?

A bien des égards, l’espoir est grand de voir ce clivage diminuer d’intensité. Les moyens qui attirent les populations vers les villes arrivent peu à peu dans les campagnes du moins du point de vue matériel. Il devient évident que ce qui a provoqué l’exode rural des années soixante n’est plus d’actualité. En ce temps-là, le village souffrait de pauvreté, d’enclavement, de manque d’infrastructures, de routes et de tous les moyens d’une vie moderne. Des attraits qui font courir le pauvre montagnard vers les grands centres urbains.

Aujourd’hui, cette ligne de séparation s’estompe peu à peu. Les hôpitaux sont plus proches des villages avec des moyens de transport plus rapides. Les villages sont tous électrifiés permettant d’accéder à toutes les commodités existant en ville. Les écoles sont présentes dans chaque village contrairement au passé où le «fils du pauvre» recourait à la valise pour partir loin étudier. L’eau arrive au robinet et le gaz de ville dans les foyers des villages les plus reculés. Il apparaît donc que seul le mode de vie dans les villes reste différent de celui des villages. Et encore, ce clivage est vite battu en brèche quand on voit que les villes les plus importantes d’Algérie se vident de la majorité de leurs populations qui regagnent les villages les jours de l’Aïd et des vacances.

Aujourd’hui, le paysan est décomplexé de sa ruralité. Les jeunes s’habillent comme ceux des villes et sont autant branchés à la modernité. L’Internet est disponible dans les coins les plus reculés de la campagne permettant aux gens de rester connectés au monde entier. Seul bémol dans ce décor, l’architecture qui défigure le paysage rural.