Il avait donné à la peinture algérienne moderne ses lettres de noblesse avant même l’indépendance. M’hamed Issiakhem, disparu voilà trente ans, a imprimé un style propre à l’art plastique algérien et son legs éternel est encore visible dans les musées, bien sûr, mais aussi dans des lieux publics où son trait est reconnaissable entre tous.
Artiste accompli touchant à tout les domaines des arts plastiques, M’hamed Issiakhem avait apporté sa touche, si particulière et qui en a inspiré tant d’autres, à des oeuvres cinématographiques et littéraires.
Fondateur l’Union nationale des arts plastiques (Unap), il s’est aussi consacré un temps à l’enseignement. Peintre au trait de pinceau très expressif, M’hamed Issiakhem a aussi réalisé des billets de banques et des timbres postaux, outre les nombreuses fresques murales qui ornent les rues d’Alger.
M’hamed Issiakhem était aussi dessinateur de presse et créateur de décors pour des films comme « La voie » de Slim Riad ou « Poussières de juillet », réalisés pour le télévision algérienne avec son compagnon de toujours, l’écrivain, poète et dramaturge Kateb Yacine, qui lui avait donné le surnom d’ « oeil de lynx ».
Sa relation avec Kateb Yacine, rencontré à Paris au début des années 1950, se traduisait souvent dans les oeuvres de chacun d’eux par des poèmes et des textes illustrés ou des toiles agrémentées de poèmes manuscrits à l’exemple de la plaquette « Issiakhem, oeil de lynx et les américains, trente cinq années de l’enfer d’un peintre ».
Né en 1928 dans le village d’Aït Djennad en Kabylie, M’hamed Issiakhem avait fait ses classes à la société des Beaux-arts d’Alger en 1947, avant de rejoindre l’Ecole des Beaux-arts d’Alger, puis celle de Paris où il est admis après une exposition dans une galerie parisienne.
A 16 ans, il perd trois membres de sa famille et se voit amputé du bras gauche suite à la manipulation d’une grenade ramassée près d’un camp militaire français. Après le drame, Issiakhem vivra toute sa vie meurtri dans sa chaire et dans son âme et son oeuvre sera définitivement marquée du sceau de la douleur.
De l’enfer vécu par le peintre, Kateb Yacine dira avoir vu souvent Issiakhem travailler sur une toile pour la « détruire subitement (…) dans un suprême effort de tension créatrice », comme si toute son oeuvre était « cette grenade qui n’a jamais fini d’exploser dans ses mains … ».
Très influencé par la forte personnalité de sa mère, mais aussi par la relation cruelle entretenue avec elle après l’accident, l’oeuvre de M’hamed Issiakhem s’était naturellement focalisée sur un portrait, souvent sombre et meurtrie, de la femme algérienne comme l’explique le peintre Noreddine Chegrane qui retrouve cette mère en filigrane dans toutes les oeuvres du peintre.
Pour sa part, le biographe de Kateb Yacine et de M’hamed Issiakhem, Benamar Mediene, historien de l’art et compagnon de route de ces deux « génies créatifs forgés dans le drame », compare le peintre à Vincent Van Gogh, deux créateurs « instinctifs » rongés par la douleur qui trouvera son exutoire, dira-t-il, dans le grand nombre d’autoportraits « sombres et dénués d’artifices esthétiques »que les deux artistes ont réalisés.
En 1980, M’hamed Issiakhem reçoit à Rome le premier Simba d’Or, une distinction de l’Unesco dédiée à l’art africain, avant de s’éteindre le 1er décembre 1985, laissant derrière lui un très important patrimoine aujourd’hui conservé au musée des Beaux arts d’Alger et auquel s’ajoute les tableaux détenus par des particuliers et des proches du peintre.
L’exposition que lui consacre, en 2010, le Musée des arts modernes d’Alger (MaMa) pour commémorer les 25 ans de sa disparition attire en deux mois plus de 30 000 visiteurs.
Aujourd’hui le style Issiakhem qui avait inspiré le mouvement « Aoucham » à ses débuts par l’utilisation des tatouages berbères dans les portraits de femmes, reste facilement reconnaissable sur les fresques et décorations d’édifices, et omniprésent dans l’enseignement des arts plastiques et dans les palettes d’un très grand nombre de plasticiens algériens.