Michel canesi, écrivain, à l’expression : « 60 ans d’attraction-répulsion entre la france et l’algérie »

Michel canesi, écrivain, à l’expression : « 60 ans d’attraction-répulsion entre la france et l’algérie »

Les deux auteurs du livre

Il sera adapté au grand écran et produit par Alexandre Arcady. Un livre coup de coeur sorti aux éditons Daliman et disponible au Sila. A lire absolument. Il s’agit d’un roman à trois voix qui vont nous raconter leurs péripéties dans l’Algérie avant et post-indépendance. Portrait tragique d’une femme au destin fragile mais forte qui se dégrade à l’image de sa ville et son rapport avec Sofiane symbole de l’Algérie de demain et puis de Marc…

Alger sans Mozart est le nom de ce livre. Un roman choral publié à l’occasion du 50e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. Une écriture imagée qui s’écoule toute seule. Un livre qui tente de restituer ce lien indéfectible entre deux pays, mais aussi des êtres que le temps sépare mais n’affecte jamais par l’oubli…Un livre profondément émouvant.

L’Expression: Tout d’abord est-ce une histoire autobiographique?

Michel Canesi: Non, on ne peut dire cela. Comme toute fiction on s’est inspiré de personnages que nous connaissons. D’ailleurs, le personnage principal de Louise je l’ai encore rencontré ce matin. C’est une femme qui existe et qui sans avoir lu le livre, elle m’a encore dit ce matin des phrases entières comme si elles étaient sorties du livre. Disons que ce personnage est très inspiré de la tante de Jamil qui est une intellectuelle, une dame âgée, au fort caractère. On s’est beaucoup inspiré pour écrire notre personnage principal qui est le pivot autour duquel tourne tout le roman.

Votre roman écrit à quatre mains, avec Jamil Rahmani, est un roman choral à plusieurs voix. Pourquoi ce choix?

On a choisi ce mode d’expression car on voulait s’amuser à avoir plusieurs styles d’écriture. Quand vous écrivez un roman choral, forcément les styles d’écriture se mélangent. Par exemple, Louise, on a essayé de lui trouver une langue française extrêmement châtiée. Que l’on ne trouve qu’en Algérie; d’ailleurs, beaucoup d’Algériens parlent bien mieux qu’en France. Elle est imprégnée de culture classique française.

Louise parle un français très beau et pur. Sofiane, le petit garçon a au départ un français très approximatif et au fur et à mesure qu’il grandit, avec le temps qui passe grâce au contact de Louise il acquiert un français de plus en plus sophistiqué. Et cela nous a beaucoup amusés. On s’est servi de ça en rajoutant les négations. Au début du roman, Sofiane ne dit jamais «je ne sais pas», il dit «je sais pas».

Puis, plus il côtoie Louise, elle le corrige et son style évolue. Nous avons aussi le troisième personnage qui est Marc, le réalisateur de cinéma. Lui, il représente le monde d’aujourd’hui, de l’argent facile en France. C’est un réalisateur qui a connu le succès très jeune. Il n’est pas très sympathique. Il est un peu arrogant au début. Son contact avec l’Algérie va beaucoup le changer.

Comment pourriez-vous résumer ce roman?

D’une phrase, c’est 60 ans d’amour, d’attraction-répulsion entre la France et l’Algérie.

Justement, ce livre est écrit à deux mains, d’un Français et d’un Algérien. Il y a une histoire d’amour de Louise avec un Algérien, Kader qui ne dure pas ou n’a pas supporté les aléas du temps puisqu’ils se séparent à la fin après avoir combattu pour se marier en Suisse. Pourquoi ce choix de les faire rompre? Et puis le désenchantement de Louise sous -entend-il une certaine forme d’échec?

Toute vie comporte en elle une part d’échec. C’est très intéressant ce que vous dites-là. Je considère que l’on apprend beaucoup plus de ses échecs que de ses succès. Ce dernier vous anesthésie. L’échec vous remet en question. C’était plus intéressant et puis il ne faut pas oublier que c’est une fiction. Si l’amour entre Louise et Kader aurait été éternel jusqu’à la fin, le roman perdait beaucoup de son intérêt.

Louise ne se serait probablement pas intéressée à Sofiane si elle n’avait pas été abandonnée. C’est Sofiane qui choisit Louise à la mort de sa mère. Il se dit j’ai dix ans, je suis un petit garçon, je ne peux pas rester toute seule sans mère, la Française qui habite au-dessus est seule, ça va être ma mère parce qu’il me faut quelqu’un qui me guide. Cet abandon de Louise jusqu’au titre du roman Alger sans Mozart…le titre est venu de Louise qui dit à un moment quand elle reste et traverse cette décennie noire: «Comment puis-je vivre aujourd’hui à Alger sans pouvoir écouter Mozart?».

Donc si elle n’avait pas été abandonnée par son mari Kader, si il n’y avait pas tout ça, le roman perdait beaucoup en densité… Cet abandon donne une dimension au roman. C’est une chose universelle comme dans toutes les histoires d’amour. C’est quelque chose d’universel et d’atemporel. Les histoires d’amour vieillissent, les gens se séparent. Cela n’a rien à voir avec le contexte politique. Encore que, un peu quand même quand elle dit que son mari l’abandonne car il y a la pression familiale qui demande d’épouser une vraie musulmane. Ce qu’elle n’est pas.

Il y a beaucoup de lyrisme qui traverse ce roman et qui correspond à cette impression de choses surannées lorsqu’on écoute de la musique classique finalement… comment avez-vous choisi donc le titre du livre. Cela n’a pas été un peu difficile?

Alger sans Mozart. C’est en fait un raccourci pour dire Alger sans sa part occidentale… C’est une signification métaphorique. Je vous raconte une petite anecdote. Le titre ce n’est pas nous qui l’avons trouvé. Dans sa forme raccourcie oui, mais en fait, j’ai fait lire le manuscrit avant publication à un écrivain maghrébin célèbre, qui n’est autre que Tahar Bendjelloun.

En lisant le manuscrit Tahar nous dit qu’il y a un passage qu’il adore. C’est quand Louise dit à propos des islamistes radicaux: «Ils voudraient nous empêcher d’écouter Mozart.» Il voulait que ça soit ça le titre et nous on l’a raccourci. Je suis assez content car vu les réactions des gens autour du titre, tout le monde se demande pourquoi on l’appelle comme ça…

Que vouliez-vous dire par «la part occidentale de l’Algérie?»

Je pense que l’Algérie, de par sa position géographique, est tournée vers le Nord, de par son histoire, la période ottomane etc. C’est une terre où il y a eu beaucoup d’influence. Il y a une période où des choix politiques ont été faits pour isoler, pour revenir et être plus proche du Monde arabe on va dire, mais il y a cette part occidentale quand vous vous promenez à Alger.

Vous, vous êtes algérienne, peut-être que vous ne le remarquez plus en habitant ici, mais moi français, quand je vois tous ces vestiges de l’époque coloniale, je le pense… C’est un fait. Je n’ai aucune nostalgie par rapport à ça. Ce n’est pas du tout le propos du roman. Mais il y a un fait, il y a une part qui est là. Comme dirait votre grand écrivain Kateb Yacine, il y a la langue française aussi qui est un butin de guerre.

J’ai cru comprendre que le livre sera adapté au cinéma par Alexandre Arcady. Va-t-il être un Ce que le jour doit à la nuit bis? Pourquoi s’intéresse-t-il à votre roman?

Alexandre Arcady est actuellement à Alger, avec nous. Il s’intéresse à notre roman parce que je crois que tout simplement il l’a aimé. Que cela l’a touché. Alexandre Arcady produira le film mais il ne va pas le réaliser. Il ne veut pas le réaliser. Il veut un jeune pour le réaliser, probablement maghrébin. On ne sait pas encore qui, mais la production sera assurée par sa maison de production, mais on met tout cela au conditionnel.

Vous savez bien pour les projets artistiques comment ça se passe. Alexandre Arcady est là à Alger pour justement rencontrer les autorités algériennes. Je pense qu’il a même rendez-vous avec la ministre de la Culture. Demain avec le Premier ministre pour essayer de faire avancer le projet. Mais il ne veut pas le réaliser. Il m’a dit qu’il ne veut pas faire le énième film sur l’Algérie…

Pour le scénario?

Je ne sais pas encore. Mais j’espère qu’on aura une collaboration étroite là-dessus. En tout cas les premières conversations qu’on a eues avec Arcady, il ne veut pas enlever l’essence du film. Vous avez vu que parmi les trois personnes qui sont autant métaphoriques, Louise qui est le pivot, Sofiane qui représente l’Algérie de demain, il y a aussi Marc dont on a très peu parlé..

Oui, Marc réalisateur homosexuel fantasque qui va s’amouracher de l’Algérie…

J’ai entendu un jour une interview du cinéaste français François Ozon qui disait: «C’est formidable quand vous mettez un personnage homo dans un roman ou dans un film, ça introduit une problématique.» Vous ne savez jamais ce que cela va se passer. Si on avait fait de Marc un père de famille qui est rentré en Algérie avec ses quatre enfants et sa femme je peux vous dire que ça aurait été tout conventionnel, moins sensationnel, oui peut-être?… on a voulu à travers Marc, en tout cas, dépeindre un personnage occidental dans ce qu’il peut avoir de mauvais. Au départ il est négatif.

Il est attachant….

Beaucoup de gens l’aiment c’est vrai…parce qu’il change. Il est bouleversé par son retour en Algérie. Il revient mais avec de très mauvaises intentions. Il veut redorer son blason parce qu’il a été malmené dans une émission télé par des islamistes. Mais il va en prendre plein la figure. De toute façon, vous savez, notre premier roman a été adapté au cinéma par André Téchiné. Nous avons déjà écrit quatre romans avec Jamil. Alger sans Mozart c’est le 3eme. Il y en a eu un autre après. André Téchiné nous a dit une chose qui guide tout notre travail d’écriture.

C’est quand vous prenez un personnage, il ne doit pas être le même à la fin de l’histoire. Il faut qu’il ait évolué. Louise évolue. Elle n’a pas encore de conscience politique au début. Elle l’acquiert au cours de son histoire d’amour avec Kader. Sofiane pareil. Et Marc aussi. Un personnage un peu cynique, désagréable au départ qui, finalement, s’enrichit au contact de sa terre natale.